Registre des enquêtes internes, page 133

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Limier Tinekerbas In Uksem, garde royale de Kuvalzum

Premier Micer de Daeclys, année 1212 de l'Arche de Torn

L'enquêteur Kobi est mort. J'ai été dépêché par le Haut-Conseil des Six lui-même. Pas moyen de voir le Padishah ou le Vizir. Fichue administration jahade.

Ils ont fait appel à mes services indépendants. Je n'aime pas me frotter aux affaires du palais, je préfère de loin les affaires macabres qu'il peut y avoir dans les bas-quartiers. Ils payent grassement, c'est déjà ça. Par conséquent, j'ai le devoir de consigner dans ce journal la moindre de mes pensées. S'il m'arrivait le même destin funeste qu'à mon pauvre prédécesseur – ce dont je doute – mes successeurs pourront prendre ma suite avec une certaine continuité dans l'enquête.

Parlons-en de l'affaire. Aux notes de Kobi, il apparaît qu'une succession de meurtres entache la caste des Oraculaires. Ils ne valent pas mieux que des camés au qifa, pourtant ils ont l'oreille attentive du Padishah. Enfin surtout une. Hila.

Les meurtres. Très bien maquillés, mais trop nombreux pour paraître accidentels. Le coupable doit être gourmand, imprudent, ou pressé par le temps.

Le mobile. C'est une question intéressante qui a été négligée par Kobi, à mon sens. Pourquoi en vouloir à des diseurs de bonne aventure ? Cela me paraît évident. Celui qui contrôle les visions du Padishah peut l'aiguiller sur une fausse vision, l'induire en erreur, même l'influencer s'il se révèle assez faible ou assez drogué pour gober n'importe quoi. Les Jahads peuvent être tellement crédules, parfois. Mais en venir à assassiner les autres devins ?

Je suis allé me renseigner auprès de l'Oraculaire. Les carnets de Kobi étaient encore une fois bien trop incomplets. Un haut-trameur m'a révélé qu'Hila avait des divergences d'opinions avec beaucoup d'autres de ses semblables. De la petite différence d'interprétation à la vision fondamentalement contradictoire. Est-ce là ce qui l'a motivée ? Faire taire les avis étrangers au sien ?

La façon de procéder. Un mystère. À moins que cette gourgandine possède des talents d'ubiquité, sa présence au palais est attestée en continu depuis des mois par la garde royale. Jamais elle n'a mis un pas dehors depuis que l'enquêteur Kobi ne l'avait croisée à l'improviste une nuit. La magie se cache peut-être derrière cette énigme, mais elle est interdite au sein de l'Oraculaire. Les trameurs obtiennent leur don dans les visions et les songes, pas dans la magie. De plus, ils sont très stricts et possèdent des outils qui permettent par je ne sais quel moyen de détecter la magie et sa manipulation. Mais si Hila avait trouvé le moyen de contourner ces détections ? D'après la teinture de galène, elle se dissimule sous une autre identité, ou se fait passer pour Hila. Ce ne serait donc pas une hypothèse à écarter.

Reste le pendentif majaghan. Son inscription, "Zari", ne fait aucun doute sur sa provenance. C'est un prénom assez commun pour mon peuple. Soit Hila a volé ce pendentif, soit c'est le sien. Reste à savoir qui est cette Zari. Si c'est son véritable prénom, ou celui de quelqu'un d'autre. Kobi avait commencé à éplucher les archives des enquêtes internes, certain d'être sur une piste. Je vais prendre sa suite afin de voir quels autres détails il aurait pu négliger.

Premier Viden de Daeclys, année 1212 de l'Arche de Torn

Pour me sortir la tête de tous ces registres gribouillés de pattes de mouches, je suis allé constater par moi-même les lieux de la mort de l'enquêteur Kobi. Pour le coup, ça ressemble vraiment à un accident. Déambulant dans les couloirs de l'aile de la garde royale, il a trouvé la mort lorsqu'un des massifs de bougainvillier suspendu au-dessus de sa tête s'est décroché et a chu d'une quinzaine de mètres. Il est très rapidement mort. Sa femme ne m'a été d'aucun secours, il était devenu obsédé par cette enquête et ne revenait quasiment jamais au domicile conjugal. Pauvre femme et pauvre enfant. Ils ne méritaient pas ça.

J'ai interrogé le garde qui l'a découvert, quelques instants plus tard, alerté par le bruit. Ce dernier a trouvé Kobi sur le dos, le crâne ouvert, se vidant de son sang, la main tendue vers le plafond. Il a tenté de le secourir, mais Kobi a perdu connaissance rapidement, pour ne plus jamais se réveiller. Après avoir alerté les autres, le garde est revenu inspecter les hauteurs d'où était tombée la suspension. Rien n'indiquait le moindre indice de chute prévisible ou de matériau usé. Les fixations étaient solides et les câbles en bon état. Un seul détail me donna la chair de poule. Dans la pénombre, le garde aurait juré voir un chat noir. Un très gros chat noir. Aux yeux jaunes.

Je ne peux m'empêcher de me dire que Kobi a été assassiné, au même titre que les autres trameurs. Parce qu'il était sur une piste et qu'il allait toucher au but. Mais comment le coupable en a-t-il eu vent ? Si c'est Hila, comment avait-elle réussi ce prodige ? Si ce n'est pas Hila, y'a-t-il en plus un complice à l'extérieur du palais ?

Premier Sidam de Daeclys, année 1212 de l'Arche de Torn

J'ai parcouru en long et en large les archives des enquêtes internes. Il n'y a rien concernant Hila, ou cette Zari. Mais un autre détail m'inquiète. Il manque un certain nombre de pages à deux registres. Ils datent respectivement des années 1204 et 1205 de l'Arche de Torn. L'enquêteur en charge des missions internes était alors une femme du nom de Farhat Bin Mirza. D'après ce que j'ai entendu auprès d'un des membres du Haut-Conseil, Farhat séjourne depuis quelques années au sanatorium d'Edsai. Elle était d'un tempérament instable et aurait perdu la raison. Je n'en crois pas un mot. Il y a forcément une explication plus rationnelle à tout cela. De toute façon, elle est la seule piste que j'ai. Au vu des tensions croissantes entre les différents royaumes de la province, il va me falloir voyager à couvert jusqu'à Edsai pour pouvoir la rencontrer, si elle est encore en vie.

En parallèle, j'envoie une missive au Tribunal des Lunes et du Soleil, afin d'obtenir une permission pour ausculter leurs dossiers. Ils sont tellement lents que je n'espère pas de réponse, mais on ne sait jamais.

Je prends donc le chemin d'Edsai, en priant les Déesses pour que mon identité reste secrète et qu'aucun autre meurtre n'ait lieu au palais en mon absence.

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