Tjeb Alhilal (Partie 4)

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Le chemin du lendemain fut teinté d'une douceur inhabituelle. Un vent léger balayait la mesa, les feuillages bruissant frémissaient dans son souffle alors que la caravane s'avançait parmi la végétation. Même les heures les plus ardentes de la journée ne ralentirent pas la progression des trois compagnons. Sur le toit du Dhazzem, l'âpreté du désert paraissait lointaine.

Au loin sur le sentier, Kalaar vit une hutte habitée par une famille de trois Majaghans. Des éleveurs de scarabées topaze. Reconnaissables d'entre tous avec ces curieuses constructions de bois percées de mille trous, dédiées à l'habitat et la reproduction de ces coléoptères si prisés. L'un d'eux s'était envolé et se posa sur la main de la Ligresse, comme pour se rendre compte des intrus pénétrant les environs de son nid. Long de deux pouces, l'insecte était large et plat, aux élytres tachées de blanc en un motif de dentelle noire complexe. Une grande corne dépassait de sa tête, couronnée d'un noir brillant. Lourd et pataud sur ses pattes, il déploya ses ailes et s'envola gracieusement d'un bond, regagnant son précieux habitat.

  • Ils ne sont pas agressifs, mais ils sont curieux, lui affirma un Majaghan d'une quarantaine d'année.

Il s'était rapproché de Kalaar en souriant, en gardant la main posée sur la poignée du sabre court porté à la ceinture.

  • Je n'en doute pas, le rassura la Ligresse. Je n'en avais jamais vu de si près. Ils sont magnifiques.
  • Merci. Je m'en occupe avec ma famille. Je m'appelle Narafi. Qu'est-ce qui vous amène dans ce Tjeb, voyageurs ? reprit le bédouin.

Il portait un tegelmoust blanc crème chatoyant dans la lumière du jour. Kalaar sortit le médaillon de bois de la matriarche Auzia Bin Awad, dont l'inscription scintilla dans la lumière. Narafi eut un moment de recul puis le reconnut en souriant.

  • Je n'ai que peu de possessions, déclara-t-il, mais si vous souhaitez l'hospitalité, vous êtes les bienvenus.
  • Nous ne voulons pas abuser de votre accueil, bien que votre offre soit très généreuse, lança Ashka en arrivant à portée. Nous sommes à la recherche de la tribu Asharifane. Sauriez-vous où les trouver ?
  • Les Asharifane ? Vous en avez devant vous ! Qu'y a-t-il pour votre service ?
  • Nous cherchons ceux qui lisent Dhazzem, indiqua Kalaar. Le qadim de Touz nous a affirmé qu'ils peuvent nous aider à trouver une antique cité oubliée.
  • Ah, vous voulez voir nos liseurs de dunes. Ils sont avec la majeure partie de la tribu, sur la grande mesa lunaire d'Alqamar. C'est à quelques jours d'ici, en suivant le Sentier d'Argent en direction du nord. Vous ne pouvez pas la manquer.
  • Je vois. Merci de votre obligeance, Narafi. Notre route est longue et notre temps compté.
  • Ma hutte vous sera ouverte si vous le souhaitez. Ainsi ai-je parlé. Merci de votre visite, et que vos pas soient sûrs.

Le Majaghan les salua, puis ils reprirent le sentier dans la direction indiquée. En passant devant sa maison, une jeune femme et une petite fille leur firent signe de la main. Une existence simple et proche de la nature, songea Kalaar. Une existence dont elle aurait été heureuse. Puis son regard se posa sur Ashka. Peut-être qu'elle aussi aimerait avoir une vie comme celle-ci ?

Avant la fin de la matinée, ils parvinrent à l'autre bord de la falaise. Le chemin les avait mené à un pont de corde. Long d'une trentaine de mètres, il permettait le franchissement périlleux du gouffre les séparant de la prochaine mesa. Les montures ne semblaient pas effrayées outre mesure. En revanche, Izmeer pâlit à la vue de l'édifice qui tanguait au gré du vent.

  • Bon, il va falloir y aller, c'est cela ? soupira-t-il. Cela vous embête si je reste sur mon dromadaire ?

Ashka fit non de la tête, alors qu'il se banda les yeux. Kalaar passa devant pour s'assurer de l'état de la passerelle ligneuse. Elle descendit de sa monture et foula le guet aérien. Avec un aplomb assuré, elle traversa l'abîme en quelques instants.

  • Pas d'inquiétude, c'est solide ! cria-t-elle depuis l'autre versant.

Ashka prit alors la monture d'Izmeer par la bride et la guida sur l'étroit passage. Le cordage grinça, mais tint bon. Le vide attira son regard, gorge étroite et rocailleuse, dans lequel éboulis et arbres morts s'entassaient. Soudain, le vent se leva, balançant nerveusement le pont de corde et ceux qui le traversaient. Izmeer poussa un petit cri plaintif, tandis que l'Evaylienne se cramponna à la balustrade, et se figea.

  • On se calme ! tonna Ashka. Ce n'est qu'une rafale, ça va passer !

Et comme s'il l'avait entendue, le vent retomba, réduit à un simple souffle tranquille. Elle reprit alors la traversée, et arriva au bout une dizaine de mètres plus avant.

  • C'est bon, Izmeer, s'irrita Kalaar. Tu peux te découvrir, maintenant. Tu es passé de l'autre côté.
  • Oh, merci, merci à toutes les deux ! Je vais finir par croire que ce voyage n'est vraiment pas fait pour moi.

Alors que le Jahad se confondait en reconnaissance, Kalaar partit chercher les autres dromadaires de bât. Au terme de quelques allers et retours, le convoi termina le franchissement de l'obstacle.

Le paysage qui les attendait de l'autre côté ne rassura pas le moins du monde le mage. Les plateaux du Tjeb Alhilal étaient en réalité reliés les uns aux autres par des ponts similaires. Au loin, massive et imposante, se découpait la silhouette de la mesa lunaire. Plus haute de moitié que ses autres voisines, Alqamar ressemblait à une monumentale colonne de granit tronquée.

Le fil de la journée se déroula en une boucle répétitive. À la traversée de la butte succédait un pont de corde, et ainsi de suite. Le convoi passa parfois devant des habitations majaghanes, abritant éleveurs, agriculteurs, cueilleurs, sculpteurs, tous membres de la même tribu. Tous proposant l'hospitalité aux trois voyageurs.

Mais peu leur importait. Ils avançaient à l'unisson, guidés, attirés par cette masse rocheuse dépassant de l'horizon, comme un phare du haut duquel les fameux liseurs du Dhazzem leur donneraient les informations pour trouver Nekhnesiris, foyer maudit des aïeux d'Izmeer.

Alors que le dernier jour avant leur destination s'achevait, les discussions autour du feu de camp se firent plus légères. Une complicité se nouait timidement entre Izmeer et les deux femmes. Malgré sa maladresse et ses tics maniérés, c'était un homme agréable à vivre, raffiné et respectueux, sans pour autant afficher cette méprisable et hautaine attitude qui caractérisait la grande majorité des Jahads. Même si les premiers rapports que Kalaar avait eu avec lui avaient été tendus, elle avait finalement appris à apprécier ce Jahad peu commun.

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