Alqamar (Partie 3)

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Au lendemain d'une soirée riche en saveurs et en musiques, Halazeem convoqua Kalaar, Izmeer et Ashka à sa tente. Il attendait sur le pas de son logis lorsqu'ils arrivèrent et avait ceint un tegelmoust noir, porté enroulé autour de sa taille. Arbrorant d'autres tatouages aux motifs insectoïdes sur le visage, il portait un curieux bâton de bois clair. Droit et sans nervure apparente, sa surface était étonnamment lisse. Aucun bois de ce type n'existait dans le Dhazzem.

  • Bienvenue à vous trois, lança Hazaleem en coupant la féline dans ses réflexions. Nous allons procéder à la lecture. Il me faut néanmoins récolter un dernier ingrédient afin de commencer le rituel.

De son doigt noueux, il désigna Izmeer. Celui-ci sursauta, affichant un air déconfit, puis résigné.

  • Que puis-je faire pour vous aider, liseur ? demanda-t-il incertain.

En guise de réponse, Hazaleem s'approcha et saisit d'un geste sec le poignet du Jahad. Un poignard courbe dégainé vint effleurer en un éclair la peau de son avant-bras. La lame était si affutée qu'Izmeer ne sentit qu'un courant d'air, alors qu'un filet de son sang perlait déjà sur le sol. La vieille bédouine croisée hier au soir avait rejoint le qadim et lui portait une jatte en terre cuite pour y recueillir le précieux fluide.

Izmeer épongea la plaie en y plaçant une bande d'étoffe que lui tendit l'ancienne. Deux autres liseurs apparurent au fond de la tente, l'un portant une fiole d'un liquide épais et ocre, l'autre amenant un creuset rempli d'une poudre blanchâtre.

  • Dhazzem sait. Dhazzem voit. Dhazzem se souvient. Je suis Hazaleem, de la tribu Asharifane. Et en ce jour, nous allons explorer la mémoire de Dhazzem, si ses gardiens nous l'autorisent.

Le qadim avait parlé haut et clair, brandissant son étrange bâton à deux mains au-dessus de sa tête. Pour toute réponse, une bourrasque vint balayer le promontoire, soulevant la poussière en sifflant.

Hazaleem se dirigea alors vers le bord du précipice, à quelques enjambées de là, suivi de près par les autres liseurs. La vieille femme invita Izmeer à les suivre. Ashka et Kalaar restèrent suffisamment proche pour ne pas perdre une miette de la scène.

  • Par le sable, par le sang, par le temps infini. Que Nekhnesiris te soit révélée, enfant du désert !

Alors qu'Hazaleem récitait sa prière, les autres liseurs s'étaient rapprochés et mêlaient les ingrédients dans la jatte contenant le sang. L'onguent pâteux qui en résulta dégagea une odeur de soufre et de cendre et créa une fumée épaisse alors qu'aucun feu ne le chauffait.

  • Prenez place, Izmeer In Raafi. Plongez dans les souvenirs de Dhazzem. Je vous accompagnerai.

La voix impérieuse d'Hazaleem ne souffrait d'aucune contradiction. Izmeer s'assit en face de lui, de l'autre côté de la jatte. En contrebas, le vent balayait le désert calmement.

Une main tira sur la manche d'Ashka.

  • Venez, éloignez-vous un peu, toutes les deux ! chuchota la vieille femme. Il ne vaut mieux pas troubler les visions que votre ami va avoir.
  • Les visions ? marmonna Kalaar. Que voulez-vous dire ? Je pensais que...
  • Vous pensiez qu'Hazaleem lisait le sable comme on lit un livre, n'est-ce pas ? Beaucoup font cette confusion. Non, le procédé est moins évident qu'il n'en a l'air.

Alors qu'Izmeer respirait les volutes d'encens qui dansaient devant lui, la bédouine expliqua le rituel à ses partenaires.

  • Il s'agit d'une marche onirique. Votre compagnon risque de se perdre dans son propre rêve, alors notre qadim l'accompagne. C'est là son rôle. Il guide dans la lecture, plus qu'il ne lit lui-même, voyez-vous ? Le sang récolté permet de remonter à ses souvenirs et à ceux de ses aïeux. La fiole contient de l'iifraz, le fluide provenant des khajeraaz et dans lequel la mémoire du désert est inscrite. La poudre est le résidu produit par les scarabées topaze de nos fermes au contact des arbres sanguebois du Tjeb Alhilal. C'est une drogue plus puissante et plus efficace que votre qanfasa, sans en avoir les terribles effets secondaires.
  • Je vois, comprit Kalaar. Nous ne devons pas respirer la fumée pour ne pas interférer dans son rêve ?
  • Exact.
  • Mais combien de temps cela va-t-il durer ? demanda Ashka.
  • Cela dépend, répondit la bédouine. De la conviction de votre ami. De la profondeur de son rêve. De la tranquilité de sa transe. Du talent de notre liseur.
  • Nous veillerons à ce que rien ne vienne le déranger, assura l'Evaylienne. Ne vous en faites pas.

La vieille femme fit une moue étrange et s'éloigna. Kalaar observa Izmeer. Assis en tailleur devant l'encensoir, il paraissait empreint de songes agités, tant ses yeux roulaient rapidement sous ses paupières closes. Ses mains, posées sur ses genoux repliés, tremblaient nerveusement. Si c'était un rêve, pensa Kalaar, il paraissait bien éprouvant.

Les autres liseurs passaient de temps à autre s'assurer que tout se déroulait correctement, épongeant le front des participants, et remettant des ingrédients dans la jatte pour en alimenter la combustion. Ashka et Kalaar restait à une dizaine de mètres en retrait, loin des fumerolles odorantes et de leurs effets hallucinatoires.

Une secousse vint soudain des entrailles de la terre. Faible de prime abord, elle s'amplifia, vibrant de plus en plus intense. Les regards pointèrent tous dans la même direction. Vers le désert. Un nuage de sable parcourait la surface à vive allure, en direction de la mesa lunaire. Suivi par un cri effrayant. Comme un bruit de métal raclant sur du verre. Une stridulation cacophonique, prenant aux tripes tous ceux qui l'entendaient. Un khajeraaz.

Kalaar sentit son cœur bondir hors de sa poitrine. Le rituel n'était pas terminé. Halazeem et Izmeer n'étaient pas encore revenus de leur songe éveillé. Comment les protéger d'une telle créature ?

Le nuage de poussière prit forme en bas de la falaise. L'insecte colossal sortit du sol accompagné par un cri guttural. Arthropode d'une trentaine de mètres de long au millier d'articulations chitineuses et aux innombrables pattes cliquetantes, le khajerraz mouvait son imposante silhouette dans une lente et effrayante grâce, comme une masse de sable vivante et consciente. Pourquoi était-il venu jusqu'ici et comment avait-il pisté ses proies depuis si loin ? Ce fut à cet instant que Kalaar comprit. Le bâton d'Hazaleem n'était pas en bois, c'était une patte de khajeraaz. Le rituel des liseurs de sable devait attirer les insectes géants, d'une manière ou d'une autre.

  • Plus le rituel fouille profond dans la mémoire des sables, plus il risque d'attirer ses gardiens, ajouta la vieille majaghane avec une tranquille assurance.

En réponse à son intervention, deux autres khajeraaz se joignirent au premier, au bas de la falaise. Le premier tiers de leur corps ondulant dressé vers le ciel, ils poussaient leurs hurlements inhumains dans un chœur infernal. L'un d'eux tenta d'escalader la face de la mesa lunaire, plantant ses pattes dans les fissures. Mais, délogeant des pans de roche venant s'écraser au sol, il dut abandonner sa tentative dans un râle de frustration.

L'aïeule eut un instant de recul lorsqu'elle comprit la situation.

  • Un gardien, c'est rare. D'aussi longtemps que je me souvienne, trois, ça n'est jamais arrivé, ajouta-t-elle la voix tremblante. Je me demande jusqu'où votre ami emmène notre qadim.

La fumée s'était répandue partout autour d'eux et descendait en cascade jusqu'aux insectes géants. L'odeur parut les exciter davantage tant leur exaspération à ne pas pouvoir grimper grandit.

Puis, alors que l'un d'entre eux sembla trouver un chemin d'ascension, un souffle de vent puissant parcourut le panorama. L'encensoir s'éteignit et la fumée se dissipa. Leur appât disparu, les trois khajeraaz s'enfuirent dans les dunes en sifflant d'insatisfaction, puis y disparurent en quelques instants.

C'est à ce moment qu'Izmeer et Hazaleem ouvrirent les yeux, simultanément, émergeant de leur transe les yeux rougis et l'esprit embrumé.

Ashka accourut vers le mage jahad.

  • Tout va bien ? Qu'est-ce que tu as vu ?
  • Je sais. Ashka, je sais où est Nekhnesiris.

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