Registre des enquêtes internes, page 138

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Limier Tinekerbas In Uksem, garde royale de Kuvalzum

Deuxième Micer de Daeclys, année 1212 de l'Arche de Torn

Les dernières nouvelles de Kuvalzum ne sont pas très réjouissantes. La fille du Padishah, d'ordinaire cloîtrée à ses appartements, est désormais tellement atteinte par le mal qui la ronge qu'elle est alitée en permanence. Les rumeurs circulent sur cette étrange maladie, comme étant une punition des Déesses, où la chair noircie de la fille seraient les stigmates des péchés du père. Quels sont ses péchés, en ce cas ? Melki In Malhoufi, sans être un monarque exceptionnel, n'est pas le mal incarné. Quoi qu'il en soit, cette pauvre gamine souffre le martyr, si bien que quand les soins tardent à venir le soir, ses cris emplissent les couloirs vides du palais. Je ne sais pas combien de temps elle pourra encore tenir, mais j'espère que le remède ne tardera pas trop.

De mon côté, j'ai pris la route d'Edsai, sous l'identité d'un modeste marchand dont le frère atteint d'une maladie incurable était en quête de soulagement au sanatorium. Hormis un trajet inconfortable, tout s'est passé sans anicroche. Les gardes étaient plus intéressés par mes piécettes que par leur devoir, j'ai donc pu obtenir un entretien auprès de la dénommée Farhat Bin Mirza, ancienne conseillère royale du Padishah.

La pauvre était dans un état lamentable. Outre sa silhouette décharnée et son aspect négligé, elle était en proie à une démence évidente, lui faisant mélanger des bribes de sa vie et de ceux qu'elle avait connu. Dans le désordre, bien évidemment. Impossible de distinguer le faux du vrai. J'ai quand même tenté de lui soutirer des informations, en lui parlant de son ancien travail, des années 1205 et 1206, de ce qui avait provoqué en elle cette folie.

Je n'ai obtenu de résultat qu'en lui parlant de Zari. Elle s'est mise à sangloter en disant que tout était de sa faute, qu'elle n'aurait jamais du laisser faire. Farhat a ajouté : "elle ne me pardonnera jamais" en pleurant de désespoir. Quand je lui demandai qui, la seule chose que je compris dans ses borborygmes fut un son qui sonnait comme "zèl". Je ne sais si c'est un prénom, un nom, ou n'importe quoi d'autre. C'est une syllabe qu'on retrouve assez souvent dans les noms et les prénoms majaghans, alors ça ne m'aide pas beaucoup. Elle a ensuite fait une crise violente, se jetant contre les murs de toutes ses forces, au point que le personnel du sanatorium dut me faire évacuer pour la traiter.

Utilisant mes dernières ressources, j'ai pu jeter un œil au registre de Farhat lors de son internement. Bouffées délirantes, auto-mutilations, folie furieuse, déclenchées par un choc émotionnel intense. Les traitements médicamenteux et thaumaturgiques restèrent sans effet sur elle.

Je retournais sur mes pas avec une bien maigre piste.

Deuxième Viden de Daeclys, année 1212 de l'Arche de Torn

Retour à Kuvalzum. La situation là-bas n'a pas évoluée. Pas d'autres meurtres en mon absence. Toujours les mêmes rumeurs.

Après les archives des enquêtes internes, je suis retourné aux archives royales. Il y était normalement tenu la liste du personnel du palais. Serviteurs, palefreniers, domestiques, esclaves. Mon intuition avait vu juste. Deux années manquaient aux registres des esclaves. 1205 et 1206. Comme par hasard, impossible de mettre la main dessus.

Deuxième Sidam de Daeclys, année 1212 de l'Arche de Torn

Coup du sort. L'archiviste collaborait avec un vieux bibliothécaire du palais. Celui-ci gardait par manie des copies de vieux registres pour dresser d'imposants arbres généalogiques, l'occupant pendant ses vieux jours. J'ai pu regarder avec ferveur les noms de toutes les personnes ayant mis les pieds dans le palais durant ces vingts dernières années.

J'y trouvai un nom, Zari. C'était donc une esclave. Son nom n'évoqua rien au bibliothécaire. Peut-être était-ce une courtisane, qui de fait ne sortait jamais du palais ?

Je pensais toucher au but, mais je ne trouvais rien d'autre. Rien durant ces deux années si difficiles à retrouver, rien avant, rien après.

Deuxième Chane de Daeclys, année 1212 de l'Arche de Torn

Tant d'excitation pour si peu de progrès. Je suis retourné voir le bibliothécaire. Le vieux est une mine d'informations sur ce qu'il se passait réellement dans l'ombre du palais. C'était fascinant, bien que ne faisant en rien avancer mon enquête. J'ai même appris que certains esclaves furent affranchis après de longues années de bons et loyaux services. Reste à savoir dans quelles conditions ils ont pu couler les derniers jours de leur existence.

Deuxième Lokar de Daeclys, année 1212 de l'Arche de Torn

Je suis le dernier des imbéciles. J'ai vérifié le nom des esclaves. De tous les esclaves. Ceux qui ont servi dans le palais pendant les années 1205 et 1206. Je suis passé à côté d'un détail : dans ces listes, je n'ai pas croisé ceux qui avaient été affranchis, ils devaient être consignés ailleurs. J'ai fait part de mon hypothèse au bibliothécaire, qui m'a sorti tout sourire l'index manquant.

Mon doigt s'arrêta sur trois noms :

Nazela Bin Jina, décédée en 1211, ancienne cuisinière désirant poursuivre son office même affranchie. Pas d'enfants.

Timazel Bin Tifna, affranchie après son mariage avec un marchand excentrique qui l'emmena sur les routes d'Harkara. Descendance inconnue.

Azel Bin Jakaad, affranchie après son mariage avec le conseiller Majid In Idibal. Le conseiller avait une fille, me dit le bibliothécaire. Mais impossible de retrouver le nom.

Les deux premières n'ont pas de lien avec mon affaire, ou trop ténu. Mon instinct me dicte qu'il faut creuser du côté d'Azel.

Je ressens un lourd pressentiment monter en moi. Quelque chose me dit que Hila, Azel, Majid et Zari sont liés. Quelque chose sur lequel je n'arrive pas à mettre le doigt.

Troisième Lunis de Daeclys, année 1212 de l'Arche de Torn

D'après les informations récoltées auprès des archives royales, Majid In Idibal fut un membre du Haut-Conseil, jusqu'à ce que des accusations de trahison envers le Padishah ne le condamnent à la décapitation. Auparavant, il s'était entiché d'une Majaghane, Azel Bin Jakaad, une esclave. Ayant eu une fille avec elle, il l'affranchit. Cependant, la fille étant née esclave, elle ne put bénéficier de ce traitement de faveur. C'est le Padishah qui l'acheta, comme beaucoup d'autres servantes.

Il reste un trou dans cette affaire. J'ai épluché les enquêtes internes, les archives royales, et même les reliquats d'un vieux bibliothécaire à la retraite.

J'ai demandé audience auprès du Vizir, afin d'obtenir un mandat royal. Peu m'importe ces emplumés du Tribunal des Lunes et du Soleil, je vais fouiller là-bas.

Autre chose, je me fais peut-être du souci pour rien, mais j'ai la nette impression d'être suivi par un chat. Rien d'exceptionnel, mis à part son regard qui me met particulièrement mal à l'aise.

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