Nekhnesiris (Partie 1)

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Qui tue le fauve en mange, qui ne le tue pas est mangé.

Proverbe jahad

Combien de temps avaient-ils foulé le sable gris, guidé par l'étoile du sud ? Deux jours ? Trois ? Le temps s'était étiré dans une étrange langueur. Le soleil pâle, sa lueur blafarde, le paysage plat, identique où que le regard se pose, rien ne différenciait un jour du suivant.

Entre eux, le silence avait fini par s'inviter. La fadeur environnante avait déteint sur le groupe, le plongeant dans une somnolence indolente.

Kalaar en souffrait le plus. Elle avançait malgré tout, le regard vide, et portait son âme-esprit sur son épaule. Celui-ci ne parvenait même plus à décoller du sol.

Mais alors qu'une autre journée s'annonçait identique aux précédentes, une profonde dépression creusa l'horizon. Des buttes, dispersées çà et là, couronnées de ruines antiques et de tours branlantes, parsemaient ce paysage énigmatique. Entre ces reliefs, une force incommensurable avait poli les ravines, arrondissant la moindre anfractuosité en une surface lisse, limant le moindre détail visible de ce qui y gisait. Une cité reposait pourtant là, presque effacée de la réalité, ses décombres pointant encore vers le ciel moribond comme les restes d'un dessin à moitié gommé. Au milieu de ces vestiges immobiles, un imposant monument dominait la scène de sa masse croulante. Pyramide à la façade déchirée et aux fondations mises à nu par le cataclysme, l'immensité du bâtiment n'avait d'égal que le raffinement dont il parvenait encore à témoigner.

Devant ce spectacle pétrifié, Ashka et Izmeer eurent le souffle coupé. Un long frisson parcourut l'échine de Kalaar et lui hérissa le poil. Ce n'était pas de l'effroi, mais plutôt une étrange fascination pour ce déferlement de puissance, mêlée d'un mal-être qui affectait son Ori au point d'en étouffer la lueur.

  • Dans les dernières années de son existence, l'autorité de l'empire s'était évaporée, les révoltes secouaient tout le pays. Ce n'était qu'une question de temps avant que l'empereur jahad ne soit renversé. Dans un dernier sursaut de désespoir et de folie, il décida de détruire tous ses ennemis. Le rituel le plus dangereux et le plus dévastateur fut alors ordonné. Les plus fanatiques lui obéirent, les autres fuirent. Ainsi se dévoila le pouvoir du Sablefeu, la destruction à l'état pur.

Izmeer racontait la chute de Nekhnesiris alors qu'ils s'engagèrent sur la voie menant au palais dévasté. L'air immobile étouffait le bruit, de sorte qu'aucun de leurs pas ne résonnait sur le sol durci par le feu.

Aux pieds des ruines escarpées, les entrailles souterraines s'ouvraient à l'air libre tant le sol avait été excavé.

  • Nous passerons par là, indiqua Ashka, ce doit être les anciens celliers du palais.
  • D'après les récits de ma famille, ajouta Izmeer, la salle du trône se trouve au cœur de la pyramide. Il y existe sans doute encore une chambre forte attenante où les biens les plus précieux y sont stockés.

Alors qu'ils s'engouffrèrent dans un couloir à moitié écroulé, le mage jahad fit jaillir de sa main une petite sphère lumineuse. Diffusant une lueur orangée, l'orbe fit apparaître les obstacles de leur avancée dans le corridor.

  • Ne le prenez pas mal, amie Ligresse, mais votre Ori ne suffit plus à nous éclairer dans ces ténèbres.

Kalaar haussa les épaules. La remarque d'Izmeer ne l'atteignit même pas, tant le malaise qu'elle éprouvait la rendait apathique. Ashka lui prit la main, la guidant dans l'obscurité. L'Evaylienne tenta de capter son regard, mais elle n'obtint qu'un sourire vaguement rassurant.

Autour d'eux, alors qu'ils s'enfonçaient dans les profondeurs hypogées, la véritable nature des souterrains se révéla. Il ne s'agissait pas de caves, mais de sépultures. Disposées en un réseau de galeries et de chambres mortuaires, les tombes richement décorées des seigneurs de Nekhnesiris remplissaient une vingtaine d'alcôves aux parois dorées. Le symbole de l'araignée d'ambre ornait une majorité d'entre elles, tandis que les gravures des autres présentaient des animaux fabuleux. Certaines absides étaient écroulées, éventrant les sarcophages ou bloquant leur accès. L'une d'entre elles attira l'attention d'Izmeer, par la richesse de ses décorations et des couleurs éclatantes dont il était peint. Un grand khajeeraz dressé agrémentait le bas-relief gravé sur le caveau.

Le globe luminescent brilla plus intensément sous la concentration du mage.

  • C'est le tombeau du Fondateur, murmura-t-il. Azeem In Bachir. Le premier Empereur Jahad. Il était vénéré comme un dieu, même après sa mort.

Dans un silence révérencieux, ils poursuivirent l'exploration de la crypte et parvinrent à un escalier montant. Les décombres étaient moins nombreuses tant la solide structure avait résisté à la catastrophe et révelaient qu'un temple avait été bâti entre les sépultures et le palais.

Kalaar fit un pas en arrière, sortant soudain de sa torpeur.

  • C'est... C'était ici. Mon rêve. Tout s'est déroulé dans cette pièce.

Les colonnes brisées, les débris jonchant le sol, les lézardes sur les murs, rien n'avait bougé. Seul le halo cuivré de la sphère d'Izmeer en changeait l'exposition.

La Ligresse se plaça là où son songe avait pris vie. Son regard se posa sur l'emplacement du grand mage au torque d'or et de rubis, encombré aujourd'hui d'un pilier écroulé.

  • Regardez, là-haut, un autre escalier ! cria Ashka.

Elle pointait du doigt des marches masquées par un plafond effondré. Le large accès débouchait sur une antichambre dont persistaient quelques décorations métalliques cabossées. Ce vestibule s'ouvrait lui-même sur le cœur de la pyramide, gigantesque colonnade où s'élevait l'ancien trône de l'Empire Jahad. Au-dessus d'eux, un puits de lumière à demi obturé laissait passer des écoulements de sables intempestifs, entrecoupés des rayons blêmes du jour.

La grandeur époustouflante laissa cois les trois explorateurs. Les siècles passés et les ravages du Sablefeu n'avaient pu amoindrir la splendeur de ce lieu. Il était imprégné d'une telle magnificence que les plus grands palais des Padishahs du Rajahai aurait fait pâle figure en comparaison.

  • Restez en arrière, il faut que j'inspecte quelque chose, annonça Izmeer.

Le Jahad s'avança au milieu de la pièce où un piédestal se dressait, face au trône. Dégageant sa manche, il posa la main droite sur la sphère de pierre noire qui y culminait. À son contact, un mécanisme actionna une aiguille qui lui piqua la paume. Il réprima un sursaut de douleur, et murmura :

  • Nous allons maintenant voir si ce qui coule dans mes veines suffira à ouvrir la chambre forte de mes ancêtres.

Alors qu'un filet de son sang s'écoulait sur la surface du globe, un bruit retentit dans le sous-sol. Le choc de blocs de pierres en mouvement fit vibrer le sol. Les secousses soulevèrent la poussière, noyant la scène dans un brouillard doré. Les dalles entourant le piédestal s'enfoncèrent lentement, dans un raclement minéral assourdissant, dessinant dans un colimaçon élégant les marches d'un escalier dérobé. Alors que le vacarme s'estompa, Izmeer exulta triomphalement :

  • Mes amies, la chambre forte est toute à nous !

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