Nekhnesiris (Partie 2)
Ils suivirent la sphère orangée d'Izmeer qui plongea dans l'escalier. Les marches dessinaient une descente raide mais régulière. À leur arrivée en bas, une longue salle rectangulaire se dévoila dans la lueur tamisée. L'air immobile était empreint d'un silence étrange, épais, vivant, créature tapie dans l'ombre, prête à bondir sur eux.
Fronçant les sourcils de concentration, Izmeer intensifia la lumière, révélant les contours d'une antichambre haute d'une dizaine de mètres. Les murs étaient nus, exempts de tout ornement qui faisait la somptuosité de la salle du trône. Devant eux, surmontée de deux rubis enchâssés dans la paroi, une porte monolithique bloquait l'accès.
- C'est la chambre forte ? demanda Ashka.
Ne laissant pas le temps à Izmeer de confirmer, les deux pierre rouges s'illuminèrent au-dessus de l'accès. Dans un bruit de râclement, la surface du mur se déforma en une tête de créature difforme, au crâne oblong dont les deux phares écarlates constituaient les yeux. Sous ce regard démoniaque, une gueule s'hérissait de crocs de métal. Deux membres aux griffes menaçantes surgirent à l'identique de part et d'autre du porche et tentèrent d'agripper les intrus. Kalaar en échappa son Ori de surprise, qui chut sur le sol, incapable de planer dans les airs. Alors que le trio, désemparé par l'apparition soudaine du gardien magique, tenta de se replier, l'escalier qui l'avait guidé dans la pièce se replia sur lui-même, comme un escargot effrayé s'abritant dans sa coquille.
Kalaar se jeta au sol pour esquiver une main de pierre qui tentait de la saisir. Ashka sortit sa lame corsaire, mais ses coups ne parvinrent qu'à faire naître des étincelles sur ces organes rocheux.
- C'est le gardien ! Il s'agit d'une protection de la chambre forte, un chef-d'œuvre magique de la famille régnante ! annonça Izmeer.
- On se fiche de ce que c'est, arrête-le avant qu'il ne nous massacre ! gémit la Ligresse, alors que les doigts de la bête se refermaient sur sa jambe.
Elle avait beau frapper de toutes ses forces avec ses dagues billaos, la créature n'émettait aucune plainte ni ne desserrait sa prise. Sentant un craquement sous son genou, une douleur intense traversa sa jambe. Ashka tenta de venir à son secours, mais l'autre bras l'accula contre le mur opposé, l'attrapa et la projeta avec force contre le mur.
Soudain, une voix désincarnée et grossière émana de la statue animée, comme une cascade minérale :
- NUL NE PEUT PROFANER CETTE CHAMBRE. SEUL LE SANG D'IL BAHAD PEUT SUBSISTER EN CES LIEUX !
- Je suis le sang d'Il Bahad ! Je suis le sang d'Il Bahad ! s'écria Izmeer affolé.
La bête suspendit ses mouvements, prenant l'espace d'un instant l'allure – en dépit de son aspect monstrueux – d'une statue. Elle relâcha sa prise, libérant Kalaar, puis ses mains énormes se reposèrent au sol. Sa tête se baissa vers le mage jahad et la voix caverneuse reprit :
- TU ES LE SANG D'IL BAHAD. NUL AUTRE N'AURAIT PU PÉNÉTRER ICI. MAIS CES DEUX INTRUSES DOIVENT MOURIR D'AVOIR FOULÉ CE SOL !
- Attends ! Ces deux femmes sont avec moi ! Ne leur fait pas de mal !
- SI TU CHOISIS DE LES DÉFENDRE, TU CONNAÎTRAS LEUR SORT. LES FAUTEURS DE TROUBLES SERONT EXÉCUTÉS ! LA LOI SERA APPLIQUÉE !
Alors qu'un gigantesque poing allait s'abattre sur elle, Kalaar bondit de côté et grimpa sur le mur. Malgré sa jambe endolorie, elle s'assura habilement de ses griffes dans la paroi friable et sauta dans la direction opposée. Fronde en main, elle tira. La bille de plomb frappa de plein fouet l'un des yeux de la bête hostile. La lueur rouge s'y éteignit tandis que le bras à son côté battit dans le vide.
- Izmeer ! Protège Ashka ! cria Kalaar alors qu'elle se réceptionnait douloureusement sur le sol poussiéreux.
L'Evaylienne avait perdu connaissance ; Izmeer l'agrippa à la jambe alors qu'une main granitique la saisit par le bras. Il fut soulevé à son tour, suspendu dans le vide alors qu'une autre poigne l'ensserra lui aussi, lui arrachant un cri de douleur. Grimpant à toute allure sur l'un des membres, Kalaar prit son élan et se jeta sur la tête du gardien de pierre. Elle esquiva de justesse les crocs qui se refermèrent en lui arrachant une touffe de poils, puis grimpa sur le crâne. D'un coup vif, la pointe de son poignard frappa la deuxième gemme rougeoyante, qui éclata en morceaux scintillants.
S'apprêtant à déchiqueter ses prises de sa gueule hérissée, le monstre vacilla. Ashka et Izmeer glissèrent à terre. Les bras tombèrent en poussière, se réduisant peu à peu en un tas de sable grossier. Kalaar sauta de son perchoir juste à temps. La tête se délita complètement. Le gardien rejoingnit le néant où reposaient ses créateurs, tandis que réapparut l'escalier qui les avait mené à ce traquenard.
- Ashka ! Tu vas bien ? s'inquéta Kalaar en se jetant sur elle.
Celle-ci toussa, recrachant le sable dont elle se dégageait et battit des paupières.
- Tu n'as pas chômé... murmura l'Evaylienne. Tu es blessée ?
Totalement indolente dans la fureur de la lutte, la jambe de Kalaar irradiait désormais d'une douleur cuisante. Son genou avait gonflé au point qu'elle dût desserrer une des sangles de son baudrier.
- Ce fichu machin m'a presque arraché une jambe, mais je tiens le coup, ne t'en fait pas, assura la féline.
Elle déposa un chaste baiser sur le front de l'Evaylienne, alors qu'Izmeer s'avança vers la porte désormais libérée de tout danger. Une hémisphère sombre dépassait de la surface du battant.
- Avant de faire un pas de plus, mage, laisse-nous le temps de reprendre notre souffle ! pria Ashka en ramassant son sabre yatagan.
- N'ayez crainte, mesdames ! rassura Izmeer. Le danger est passé. Le Gardien était le seul rempart qui nous séparait de notre objectif. Il ne me reste plus qu'à déverrouiller l'accès de la même façon que j'ai actionné l'escalier qui nous à mené ici.
Joignant le geste à la parole, le Jahad ignora l'injonction de l'Evaylienne et posa la main sur la surface noire et lisse. À l'identique du fonctionnement du passage secret vers l'antichambre, un aiguillon vint faire jaillir le sang de sa paume. Dans un lourd grincement de bois et de roche, la chambre forte séculaire s'ouvrit en grand, révélant une alcôve dorée. D'anciens cristaux lumineux s'allumèrent réagissant à leur présence et illuminèrent la pièce secrète où siégeaient d'antiques socles, alignés dans une perfection géométrique. Sur chacun d'eux, disposés sur des trépieds de bronze impérial, les reliques et les plus grands trésors du premier empire jahad d'Il Bahad.
Dans un émerveillement commun, les trois voyageurs pénètrèrent dans la chambre forte. Ils s'aperçurent que certains présentoirs étaient vides, d'autres brisés.
- Lorsque le cataclysme précipita la chute de Nekhnesiris, certains membres de la famille royale ont sans doute voulu s'emparer des trésors les plus précieux de la chambre forte... pensa Izmeer tout haut. Qui sait où se trouvent ces merveilles, désormais ?
- Peu nous importe, coupa Ashka. Seul compte le Soleil Ancien. Lequel est-ce, d'ailleurs ?
- Là-bas, souffla Kalaar.
Allongée à terre pour soulager sa jambe, elle avait tendu la main en direction d'un piédestal surmonté d'un médaillon d'une grosseur ridicule. Un disque incomplet aux reflets nacrés, dont la facture paraissait étrangère à tout ce qui l'entourait, gravé de profondes ciselures à la beauté et à la précision inimaginable. Une curieuse encoche avait emporté un mince quartier, profanant la beauté mystique de la relique.
- Oui, confirma Izmeer, ce ne peut être que lui, le Soleil Ancien.
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