Nekhnesiris (Partie 3)
En dépit des difficultés et des dangers, ils étaient parvenus à obtenir l'objet de leur quête. Le Soleil Ancien était enfin en leur possession. Il ne leur restait plus qu'à revenir à Kuvalzum pour l'y utiliser pour soigner la princesse Chabi et obtenir ce pourquoi ils s'étaient battus.
La blessure de Kalaar l'indisposa au point que ses compagnons durent lui fabriquer une attelle de fortune avec les débris métalliques des trépieds de la chambre forte. Et même avec cela, elle avançait lentement, boitant douloureusement à chaque pas. La féline souhaitait malgré tout en finir, prête à ramper sur le sable du désert s'il le fallait.
Quelque chose d'autre paraissait décontenancer Izmeer. Alors que ses compagnons sortaient de la chambre-forte, il afficha une mine soucieuse, qui tranchait nettement avec l'enthousiasme dont il avait fait preuve quelques instants auparavant. Il tournait dans ses mains l'artefact irisé au rebord inégal.
- Qu'est-ce qui ne va pas, Izmeer ? lança Ashka. Nous avons notre butin, tu devrais être heureux, non ?
- Oui. Enfin, je ne sais pas, hésita le mage. Il y a un détail qui m'échappe, c'est étrange.
Il se remettait à bredouiller, comme si son hésitation et sa timidité des premiers jours s'étaient à nouveau emparés de lui. Ashka fronça les sourcils de contrariété.
- Crache le morceau, bon sang ! s'emporta-t-elle.
- Il n'y a plus de magie dans cette salle, gémit Izmeer.
- Quoi ? C'est impossible !
- Non, je suis certain de ce que je dis. Les objets entreposés ici depuis des siècles ont perdu leur magie au fil du temps. Mais celui-là, le Soleil Antique, on dirait que sa magie est brisée. Dormante. Futile.
- Je n'y comprends rien. On ne peut pas le ramener comme cela à Kuvalzum ?
- Si, bien sûr que si. Mais autant ramener une coquille vide. Elle nous serait tout aussi inutile.
Kalaar fulmina.
- Ce n'est pas possible ! Il doit bien y avoir un moyen de réactiver, de recharger ou – que sais-je – de faire fonctionner ce fichu artéfact ! C'est toi le magicien, tu dois bien pouvoir faire quelque chose !
La féline s'appuya contre un piédestal, incendiant du regard le Jahad. Impossible qu'ils aient fait tout cela en vain. C'était inconcevable. Elle se devait de libérer les membres du clan Bir'Talis qui trimaient encore dans les profondeurs des mines de Marhkun.
- Fais quelque chose, par les Déesses !
Elle lui arracha brusquement des mains le médaillon, cherchant une issue à cette impasse dans le reflet irisé de l'objet. Le retournant en tout sens afin de trouver une signification cachée à ce pouvoir absent, son doigt accrocha sur le rebord brisé du bijou. Devinant ce détail qu'elle décela, Ashka demanda :
- Il en manque un bout, dirait-on. Peut-être est-il cassé ?
- Non, c'est impossible, réfuta Izmeer, un tel objet ne peut être cassé. À moins que...
- À moins que quoi ?
- À moins qu'il ait été intentionnellement fragmenté ?
Une image qui vint se figer dans l'esprit de Kalaar, réminiscence d'un rêve récent. Elle se rappela une robe de mage, des gestes mystiques, des incantations incompréhensibles, se souvint d'un globe de cristal, de sable tournoyant et vit un éclat triangulaire irisé.
- L'orbe de verre ! s'écria-t-elle, coupant court au dialogue stérile entre ses deux compagnons.
Ceux-ci se retournèrent du même air interrogatif.
- Est-ce que ce fragment aurait pu être utilisé dans le rituel d'invocation du Sablefeu ? continua Kalaar.
Izmeer réfléchit un moment, lissant sa moustache fine entre le pouce et l'index.
- C'est une hypothèse intéressante. Je ne connais pas la nature de cet artéfact. Mais si l'on admet que son utilité repose sur son intégrité physique, alors il serait intéressant de le rechercher.
- Mais où peut-il être ? lança Ashka. Le temple souterrain dans lequel a eu lieu le rituel est complètement en ruines !
Ils décidèrent néanmoins de retourner dans le sanctuaire hypogée. L'ascension de l'escalier dérobé fut particulièrement pénible pour Kalaar, qui, malgré son opiniâtreté, était plus blessée qu'elle ne le montrait. Elle ne pouvait plus fléchir la jambe et son genou enflait à vue d'œil.
Au prix d'un trajet laborieux ponctué de nombreuses pauses, ils parvinrent enfin dans les lieux du rituel ancien. Izmeer balada sa sphère de lumière orangée à la recherche d'un quelconque indice. Ashka se joignit aux fouilles, soulevant quand elle le pouvait les pans de pilier brisé et déblayant à mains nues les décombres. Quant à Kalaar, elle clopina jusqu'à l'endroit où s'était tenu Bahr In Sahr, l'aïeul d'Izmeer.
L'estrade de pierre sur laquelle il avait présidé la messe passée avait été enfoncée par l'écroulement d'une colonne. S'il y avait eu un corps à cet emplacement, il n'en restait plus la moindre trace à ce jour. Seule la poussière demeurait, témoin silencieux des affres d'antan. Alors qu'elle posait son Ori à terre pour s'aider de sa lueur désormais vacillante, un étrange reflet attira son regard à la périphérie de son champ de vision. Un faible scintillement, renvoyant fadement la lumière de son âme-esprit. Elle dégagea d'un revers de main les gravats et découvrit une épaisse bague en or, décorée d'une créature octipède jaunâtre. La bague de Bahr In Sahr, l'emblême de la famille d'Izmeer.
Mais alors qu'elle allait tendre l'anneau à son légitime héritier, elle ressentit à nouveau une étrange sensation. Un tiraillement de la peau, un frisson le long de son dos, d'un même saisissement qui l'avait traversé lors de ses premiers pas sur le sable noir. En plus intense. En plus fascinant. Sa curiosité attisée comme un fer chauffé à blanc, elle creusa avidement au-dessous de l'emplacement de la chevalière. Déblayant les débris, ses doigts effleurèrent une surface lisse et froide.
Sa main plongea et dégagea une sphère de la taille d'un poing d'enfant, identique à celle de son rêve. Un orbe de cristal translucide, contenant un éclat irisé posé sur du sable noir.
- Tu l'as trouvé ? balbutia Izmeer, qui s'était rapproché.
Ashka se joignit à lui alors que la féline tendit le globe au-dessus d'elle.
- C'est l'orbe d'invocation du Sablefeu ? Le morceau manquant est bien à l'intérieur, renchérit le mage. Bahr In Sahr aurait donc utilisé un fragment de la magie contenu dans cet artéfact pour créer le Sablefeu ! C'est tout bonnement incroyable !
- C'est bien beau tout ça, mais comment allons-nous le récupérer ? interrogea Ashka. Impossible de prendre le fragment sans briser l'orbe !
- J'en fais mon affaire. Vous oubliez que vous avez la meilleure escamoteuse de Menmerun parmi vous, n'est-ce pas ? plaisanta Kalaar.
- Tu es sûre ? Tu es déjà blessée, s'inquiéta l'Evaylienne.
- Aucune serrure ne me résiste, ne t'inquiète pas. Tu es d'accord, Izmeer ?
Le mage jahad fut touché par sa sollicitude.
- Je crains de ne pouvoir être d'un grand secours, admit-il. Cette magie dépasse de loin mes compétences et mon savoir. Je ne peux toutefois que vous exhorter à la prudence.
Kalaar acquiesça en silence, puis observa le globe qu'elle tenait au creux de la main. D'une rotondité parfaite, il ne souffrait d'aucune fêlure dans laquelle une lame aurait pu se glisser. Cependant, après un examen approfondi, la Ligresse décela du bout des doigts une faiblesse dans le matériau transparent. Elle vérifia le tranchant de ses dagues et prit la plus affûtée. Elle cala son dos dans une position plus stable contre des décombres et entreprit d'inciser la surface de l'objet. Après quelques passages où le tranchant l'effleura, une rayure ténue y apparut. Mais alors que la lame entra à nouveau en contact avec la surface, une fissure s'y dessina brutalement et la sphère éclata, libérant son contenu à terre. Un tesson s'enfonça profondément dans la paume de Kalaar qui gémit de douleur. Le sang gicla à terre, tachant le sable répandu.
Ashka se précipita vers la Ligresse et retira prestement l'éclat de verre lui entaillant la chair. Mais alors qu'elle ouvrit la bouche pour lui parler, elle fut violemment repoussée en arrière.
Une bourrasque colossale s'éleva en trombe autour de Kalaar, projetant poussière et débris dans un chaos effrayant. Le sol tremblant menaçait l'équilibre des colonnes encore debout, aussi Ashka et Izmeer durent se résoudre à s'abriter sous une solide arche de pierre.
- Regardez ! s'écria Izmeer, à peine audible dans le vacarme.
Il pointa du doigt un filet de sable noir qui s'écoulait du plafond. Cette inflitration fut rejointe par d'autres, en nombre sans cesse croissant, qui s'insinuaient au travers tous les interstices de la salle pour rejoindre la tornade dévastatrice entourant Kalaar. Tous les courants du Sablefeu éteint convergeaient vers elle, obscurcissant l'atmosphère dans une véritable cataracte minérale qui se déversait dans la tempête. Puis, alors que l'atmosphère gorgé de silice devenait irrespirable, une clameur épouvantable fit vibrer jusqu'aux fondations du palais. Le tourbillon implosa et se concentra en une masse compacte.
Assourdis par le grondement, Izmeer et Ashka se frottèrent les yeux d'incrédulité. Lorsque la poussière retomba, le sable noir s'était volatilisé. Debout dans l'œil du cyclone désormais disparu, se tenait Kalaar, dont les yeux s'ouvrirent comme au sortir d'un rêve éveillé.
- Kalaar ! Que s'est-il passé ? Tout va bien ? lança Izmeer en se rapprochant.
- Je crois, fit la Ligresse d'une voix atone.
- Kalaar ! Tes... tes yeux ! s'étrangla Ashka.
Dans la touffeur de la pièce empoussiérée, le regard irréel de Kalaar se dévoila. Ses deux orbites abritaient des yeux d'une noirceur de charbon. Ignorant la remarque, Kalaar murmura :
- Où est mon Ori ?
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