Registre des enquêtes internes, page 142

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Limier Tinekerbas In Uksem, garde royale de Kuvalzum

Permier grand-jour d'Ambre, année 1212 de l'Arche de Torn

Les festivités du solstice d'automne ont commencé. Quelle déveine. Même avec le mandat du Vizir, l'appareil judiciaire de Kuvalzum fonctionne au ralenti. Je n'ai pu obtenir d'audience au Tribunal aujourd'hui. Mon enquête piétine alors que je sais que je touche au but.

Je n'ai pas perdu mon temps. J'ai approfondi mes fouilles et passé au crible les témoignages du personnel du palais. Au détour des casernes abritant les quartiers des gardes royaux, je suis tombé sur un jeune soldat ayant trouvé récemment une perle montée en boucle d'oreille. Nouvellement arrivé, il nettoyait de fond en comble sa chambrée quand il la découvrit, incrustée dans le pied vermoulu d'une table.

Il m'a montré l'objet, qui en lui-même n'était pas extraordinaire. En revanche, il s'agit très probablement d'un ornement apprécié des marins, et surtout des pirates. Porter cela fait très mauvais genre à Kuvalzum, et auprès des Jahads en général. Après une recherche assez rapide auprès du sous-officier responsable des attributions, il semble que cette pièce ait été habitée par de nombreux soldats, dont la très remarquée conseillère evaylienne Ashka Bin Salaad, du temps où elle était dans la garde royale. Je m'y suis rendu. Une pièce carrée, dont la fenêtre donne sur une allée remplie de détritus, sans grand intérêt.

Par oisiveté, j'y suis allé faire un tour. Comme je m'y attendais, rien de plus palpitant que la vue m'en donnait. J'allais partir quand un vieux mendiant m'a hêlé. Il m'a interpellé pour savoir si je cherchais une dénommée "Malifa". Je n'ai pas compris. Il a insisté et m'a demandé si j'étais avec la grande blonde. Il ne connaissait pas son nom, mais m'a donné la description parfaite de la conseillère Ashka. D'après lui, elle venait au moins une fois par octave voir si cette femme était là. Je lui ai demandé s'il avait déjà croisé Malifa, il m'a répondu l'avoir aperçue une fois seulement, sans qu'elle le voie, alors qu'il dormait derrière des barriques, il y a de cela plus de quatre années. Une vieille femme majaghane, d'après lui. La peau sur les os. Entourée de chats.

Je ne sais que faire de cette information. Je n'ose mettre des liens entre ces différents faits. Chaque piste soulève encore plus de questions qu'elle n'apporte de réponses.

Deuxième grand-jour d'Ambre, année 1212 de l'Arche de Torn

De sombres rumeurs parviennent jusqu'à Kuvalzum. Les Shahs de Lil Ahtur et Edsai auraient levé une grande armée et marcheraient sur la capitale. Ces vautours n'ont pas attendu bien longtemps pour se dresser contre l'autorité défaillante de leur Padishah. Malgré le fait que le Vizir et les membres du Haut-Conseil restants aient pris à cœur la défense de la cité, je ne sais dans combien de temps ces chiens vont s'entretuer. Sous le velours de leurs robes, ils sont tout aussi égoïstes et opportunistes que les armées qui vont nous assaillir.

Des messages sont partis pour réclamer de l'aide aux royaumes restés loyaux, tandis qu'une partie de la population a déjà commencé à fuir. Les festivités ont été interrompues par l'annonce de la guerre, et l'ambiance festive s'est subitement muée en un affolement désorganisé. S'il n'y avait cette enquête en cours, je dois avouer que j'aurais probablement fuit vers le sud.

Troisième grand-jour d'Ambre, année 1212 de l'Arche de Torn

Je suis allé au Tribunal des Lunes et du Soleil, mandat en main. Ils m'ont enfin laissé passer, mais j'ai vraiment dû leur forcer la main et insister lourdement, malgré le sceau du Vizir. Le contexte actuel ne permet en aucune façon que mon enquête stagne indéfiniment.

J'ai donc pu librement accéder aux archives des affaires criminelles. J'ai directement dirigé mes recherches vers les année 1205 et 1206.

Ce que j'y ai lu dépassait de loin ce que j'aurais pu imaginer.

Il y était écrit que Majid In Idibal, conseiller royal du Padishah, a été inculpé pour haute trahison envers le pouvoir et le peuple, complotant avec des compagnies de mercenaires dans l'espoir d'exécuter un coup d'état et de prendre le pouvoir. Sa correspondance a été surprise par la garde royale et attestée par des personnes témoignant des transactions financières ayant eu lieu. Il a été déchu, condamné à mort et exécuté sur la place publique.

Sa femme Azel Bin Jakaad a été privée des titres et des biens de son mari et expulsée de la Cour et de l'enceinte du palais. Il n'est pas mention du sort de sa fille.

En revanche, lors d'un autre procès, une certaine courtisane nommée Zari a été condamnée au supplice pour vol et persécution à l'encontre du Padishah, à la demande de la Shahbanu Sabina. Suite à un procès expédié, elle a été fouettée, ses membres brisés, puis pendue au gibet de la cité, où son corps est resté exposé quarante jours et quarante nuits.

Si Zari est bien la fille d'Azel et de Majid, cette condamnation ignoble viendrait peser sur une déchéance déjà terriblement cruelle.

Premier Lunis de Chuteron, année 1212 de l'Arche de Torn

Je suis allé rendre visite au bourreau. Il vit dans une modeste maison, dans un quartier peu fréquenté jouxtant le tribunal.

Par chance, il officie depuis près de quinze années à Kuvalzum. Il n'a cependant pas très bonne mémoire. Aussi, après lui avoir montré le mandat du Vizir, je l'ai longuement questionné sur ses offices des années 1205 et 1206.

Il ne se souvient pas de toutes les exécutions – il faut dire qu'il doit en avoir quelques centaines à son actif – mais un détail l'a marqué à cette époque. Une vieille femme majaghane venait tous les jours pleurer sous la dépouille suspendue de sa fille. Une jeune fille magnifique, ravagée par les supplices infligés. Je lui ai demandé s'il s'agissait de Zari, et il me le confirme avec certitude. Je le savais. Quant à la vieille, il ne s'en souvient que vaguement, mais sa description correspond à celle qu'on m'a déjà faite d'Azel, et même du visage d'Hila d'après les rapports de l'enquêteur Kobi. Quelque chose me dit qu'elle pourrait aussi aller à celle de Malifa.

Azel est donc allée pleurer sa fille de longues semaines, d'après le bourreau. Au quarantième jour, lorsque le corps de sa fille fut décroché pour être jeté dans la fosse commune, elle était aussi présente. Le souvenir de l'air étrange de cette Majaghane et des trois chats noirs qui l'accompagnaient lui est revenu également.

Est-ce que Azel, Hila et Malifa pourraient être la même personne ? Si oui, pourquoi ces identités ? Le mobile semble se dessiner, mais je reste aveugle.

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