Khajeraaz (Partie 1)

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Il est autant de pluie dans le Dhazzem que d'espoir face à la Mort Ambrée.

Citation jahad

De mémoire d'homme, jamais vision ne fut plus terrifiante. Soulevant la poussière au passage de son corps massif, le monstre arrivait, agitant ses pattes par dizaines, par centaines peut-être. Une tempête vivante, mouvante, nimbée d'un vacarme de milliers de cliquetis et de stridulations assourdissants.

Il rampait sur le sable avec une vitesse incroyable, fonçant droit sur les importuns, attiré comme par un aimant. Les piquants qui hérissaient la chitine de son dos brillaient d'un blanc nacré, tandis que son corps avait une teinte couleur jaune pâle.

Ashka et Izmeer cherchaient du regard un abri où se cacher, mais le palais en ruines n'offrait plus de cachette suffisante et les promontoires voisins étaient trop éloignés pour envisager de les atteindre avant d'être rattrapés par la bête. Ils tentèrent désespérément d'escalader le monticule de débris que constituait l'ancienne entrée souterraine des cryptes du palais, mais ils savaient que la bête ne leur laisserait que très peu de temps l'avantage du surplomb.

  • Kalaar, qu'est-ce que tu fais ? Suis-nous, par les Déesses ! hurla Ashka du haut de son perchoir précaire.

Kalaar n'écoutait pas. Elle avait fermé les yeux, attendant l'inéluctable. L'espoir était mort, il n'y avait plus rien à faire. S'offrant au prédateur ultime du Dhazzem, elle leva les bras en croix. Cela ne servait à rien de fuir devant lui, elle le savait. Elle sentit sa présence grossir, le sol vibrer sous le poids de sa démarche, l'extraordinaire chaleur que son corps dégageait.

Les cris de l'animal s'élevèrent alors qu'il arriva à une vingtaine de mètres de la Ligresse. Battant des membranes tendues entre ses piques céphaliques à l'instar d'un oiseau maladroit, il se dressa comme le ferait un serpent, prêt à fondre sur sa proie.

  • Kalaar ! cria encore Ashka.

Sa voix était couverte par le chuintement émanant des entrailles du khajeraaz.

Kalaar ouvrit les yeux et vit la mort en face d'elle. La gueule grande ouverte, d'où suintait une substance gluante et jaunâtre et d'où émanait une chaleur infernale, n'attendait que de se refermer sur la cible facile qu'offrait la féline. Mais au lieu de cela, l'immense créature gardait sa menace suspendue. De ses deux grands yeux à facettes immobiles, il fixait intensément la Ligresse à ses pieds.

Le temps parut s'arrêter. Un souffle de vent balaya la scène irréelle. Ashka resta interdite, penchée sur son perchoir. Izmeer était recroquevillé derrière elle. Chacun retint son souffle. Puis, le chant profond d'une dune musicale se fit entendre. Suivi par un autre. Puis encore un autre. Bientôt, se levant soudainement comme un habub, la puissante mélopée supplanta le vacarme du khajeraaz.

Kalaar avait levé les bras et tendait les mains vers le ciel. À ce moment, le silence retomba. Les dunes se turent. La bête frémit, puis fondit tous crocs dehors sur sa cible. Ashka hurla de terreur et se jeta au secours de son amie. Un nuage de sable et de poussière se souleva à l'impact.

L'Evaylienne avait dégainé son sabre yatagan et fonçait à l'assaut du monstre au péril de sa vie, tandis qu'Izmeer titubait tant bien que mal à sa suite. Il agita les mains et prononça une courte incantation et un vent puissant dissipa la brume opaque, dévoilant l'impensable.

Le khajeraaz était étendu de toute son effrayante longueur. Ses pattes innombrables et immobiles, ses mandibules silencieuses, ses ailes abaissées. Ses yeux étaient rivés sur la frêle silhouette lui faisant face : Kalaar. Elle n'avait pas bougé d'un pouce, les bras toujours levés vers les cieux. Ashka parvint à sa hauteur et eut un mouvement de recul. Les orbites de la Ligresse étaient désormais entièrement noires, comme deux sphères ténébreuses d'un vide hypnotique. Son regard était planté dans celui du khajeraaz, qui, soumis par un pouvoir impérieux, n'avait eu d'autre choix que de s'incliner devant elle.

  • Que se passe-t-il, Kalaar ? Comment fais-tu ? murmura Ashka. Tes yeux sont... entièrement noirs !
  • Shhh, siffla la Ligresse. Du calme. Il est très sensible au bruit.
  • Tu le comprends ? demanda timidement Izmeer.
  • Je ressens ses émotions, sa peur, sa colère. Sa curiosité aussi.
  • Comment ?

La réponse était évidente. La puissance du Sablefeu avait octroyé bien des capacités à Kalaar, dont celle de comprendre les khajeraaz, créatures engendrées par la magie du Dhazzem. La bête émit une série de stridulations douces, auxquelles répondit la féline par la magie du chant des dunes.

  • De ce que je comprends de lui, les Majaghans l'ont baptisé la Mort Ambrée, déclara Kalaar. Son véritable nom est Zaardixithalaam. C'est le plus vénérable et le plus redouté parmi les siens. Il a été guidé ici par le reflux de magie, conséquence de la disparition du sable noir.
  • C'est fascinant et terrifiant, admit Ashka. J'ai entendu parler de cette créature. J'ai toujours cru que ce n'était que des croyances du folklore bédouin. La Mort Ambrée a dévasté des tribus entières dans tout le Dhazzem, depuis des dizaines d'années. Nombre de caravanes ont été décimées sous ses assauts meurtriers. Encore plus d'aventuriers se sont essayés à arpenter le désert pour le débusquer dans sa tanière, en vain.
  • Oui, oui... c'est très bien, coupa nerveusement Izmeer. Zaardi... bi... Bref, Mort Ambrée c'est très bien. Mais pourquoi n'attaque-t-il pas ? Il ne va pas nous réduire en charpie dès qu'il aura terminé sa petite discussion avec la dame féline, n'est-ce-pas ?
  • Shhh, souffla à nouveau la Ligresse.

Elle leva encore les mains et le vent se leva avec elles. Une mélodie diaphane hérissa le dos des barkhanes et le khajeraaz légendaire étala ses nombreuses pattes à terre. Il s'étendit de tout son long sur le sable, aplatissant la menace qu'il représentait quelques instants auparavant comme un empereur soumis à une puissance qu'il ne pouvait défier.

  • Que fait-il ? demanda Ashka.
  • Je lui ai proposé les ruines de Nekhnisiris, dont il pourra disposer à loisir, en maître des lieux, lui et sa descendance, déclara Kalaar. En échange de quoi, il nous mènera à ce qu'il décrit comme étant l'oasis de Gabesh.
  • Pourquoi Gabesh ? Il ne peut pas nous ramener à Touz directement ? s'interrogea tout haut Izmeer.
  • Touz le ferait rentrer à l'intérieur du territoire d'un autre khajeraaz, répondit Kalaar. Il ne veut simplement pas y aller.
  • Et comment compte-t-il nous faire aller jusqu'à Gabesh ? Nous n'allons tout de même pas monter sur son dos ? objecta Ashka.

Kalaar garda le silence et se dirigea vers le myriapode gigantesque. Sans tenir compte de la question de sa partenaire, elle se glissa entre les pattes du monstre et escalada la chitine lisse en s'appuyant sur les nombreux piques y dépassant.

  • Prenez place à mes côtés. Nous rentrons à la maison.

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