Khajeraaz (Partie 2)

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Assis sur le dos du monstre rampant, ils avançaient à vive allure dans les sables du Dhazzem. Le corps du khajeraaz dégageait davantage de chaleur que le soleil lui-même, à peine supportable pour les cavaliers. Malgré cela, l'air brassé par la vitesse de son déplacement au sommet des dunes leur permettait de ne pas suffoquer.

  • C'est tout bonnement incroyable ! s'exclama Izmeer. Nous naviguons sur le dos du plus légendaire des khajeraaz ! Peut-être même a-t-il connu les derniers jours de Nekhnesiris !

Kalaar gardait les yeux fermés, à genoux sur la carapace chitineuse, non loin de ce qui s'apparentait à la tête du myriapode géant. Elle était restée laconique depuis leur départ, absorbée par la concentration que requéraient ses nouveaux pouvoirs. Des crissements stridents de mandibules résonnèrent tout à coup.

  • Zaardixithalaama a assisté à la manifestation du Nejheb, traduisit Kalaar. Il avait entrepris de s'installer aux environs de Nekhnesiris, creusant des galeries dans les profondeurs et y façonnant son nid, mais il fut forcé de fuir la région lors du cataclysme.

Ashka posa un regard empreint d'inquiétude sur la Ligresse. S'efforçant de ne pas être trop proche d'elle depuis qu'ils avaient quittés la cité perdue, elle ne put réfréner sa propre main qui vint chercher celle de la féline. Kalaar sursauta, troublée par ce contact.

  • Je vais bien, ne t'inquiète pas, assura-t-elle d'une voix qu'elle aurait voulu plus douce. Je découvre l'étendue de ce que me permet le pouvoir du Sablefeu.
  • Tu parais si sereine, alors que cette même énergie a réduit à néant une cité entière et sa population en quelques instants !
  • Je comprends ton angoisse, crois-moi, répondit Kalaar. Je n'ai moi-même pas encore conscience de ce en quoi je suis transformée.
  • En tout cas, exulta Izmeer, quel que soit votre nouvel aspect – bien que je le trouve quelque peu déstabilisant – votre capacité à dompter cet animal nous est remarquablement utile !

Kalaar hocha lentement la tête. Peu lui importait ce en quoi elle était changée finalement, seul comptait l'achèvement de leur mission. Chaque jour passé dans les mines de Marhkun était une mise à mort en sursis. Combien de Bir'Talis allait-elle sauver, après tant de temps ? En restait-il seulement encore en vie, depuis le début de leur voyage ?

Infatigable marcheur, le khajeraaz continua d'avancer alors que le soleil disparut à l'horizon, au rythme saccadé de ses dizaines de pattes articulées, effleurant silencieusement la surface des dunes.

Malgré les heures passées éveillée, Kalaar ne souffrait pas de la fatigue qu'avaient engendré leurs dernières péripéties. Izmeer s'était assoupi, calé entre deux protubérances d'un segment de carapace, bercé par le mouvement incessant des membres de l'arthropode colossal. La curiosité du mage jahad avait finalement été vaincue par un éreintement implacable, tandis qu'en gardienne infaillible, Ashka tenait encore debout. Elle gardait à l'œil Kalaar, la main posée sur la poignée de son sabre, ne faisant guère confiance au prédateur insectoïde.

  • Tu peux ne pas avoir confiance en lui, confia Kalaar. Mais tu peux avoir confiance en moi, comme j'ai confiance en toi.

Elle avait parlé sans se retourner, son regard ténébreux perdu sur les dunes vagabondes. Confuse, Ashka allait répondre, mais la Ligresse parut encore une fois lire dans ses pensées.

  • Il ressent ta méfiance. Il la comprend. N'aie pas peur.
  • Je n'ai pas peur pour moi, fit Ashka en l'enlaçant dans son dos. C'est pour toi que je m'inquiète.

Elle se lova dans son cou, dont le pelage s'était teint lui aussi de noir.

  • Je vais bien, je t'assure. Aussi étrange que cela puisse paraître, je ne suis pas affectée par la disparition de mon Ori. Enfin, je crois. Les seules choses que je regrette pour le moment, ce sont mes yeux dorés et mon poil tacheté.
  • Le noir te va plutôt bien, je trouve. Il inspire la crainte et le respect.
  • C'est vrai que c'est commode pour se cacher.
  • Et cela ne te fait pas mal ?
  • Je ne sens rien de particulier. En revanche, j'ai l'impression d'avoir mes sens plus aiguisés que jamais. Je peux sentir et comprendre des choses que je ne m'explique pas.
  • Par les Déesses, heureusement que tu ne lis pas dans ma tête !
  • Qu'y verrai-je ? demanda la féline un brin amusée.
  • Rien de plus que la vérité, Kal.

Ashka se serra contre elle.

  • Alors je suis curieuse de la connaître. Qui sait quelles pensées impudiques t'habitent ?

L'Evaylienne gloussa dans son dos, et embrassa son épaule nue.

  • Qui sait ? soupira-t-elle en souriant.

Elles passèrent quelques instants en silence sous les étoiles, drapées par la nuit étoilée. Le parcours du khajeraaz serpentait sur les crêtes des plus hautes dunes, révélées par la face pleine et bleutée de la lune Dares.

  • Que comptes-tu faire après tout ceci ? demanda Kalaar d'une voix teintée d'inquiétude. Tu comptes rester au service du Padishah ?
  • Probablement pas. Du moins pas au sein du Haut-Conseil. Peut-être rester dans les administrations royales ou tenter les voies diplomatiques.
  • Diplomatique ? Étonnant pour une pirate repentie !
  • Tu ne crois pas si bien dire. Peut-être que j'ai raté ma vocation finalement. Et puis prendre un peu d'indépendance face à la rigidité des hautes instances royales pourrait me permettre de déménager ailleurs. Il se pourrait même que tu sois invitée...

Kalaar laissa cette idée faire son chemin dans son esprit, puis en frissonna de plaisir. La perspective de vivre avec Ashka ne l'avait pas effleurée, pourtant elle semblait si évidente. Elle pourrait peut-être enfin se libérer de ses souvenirs. Les laisser reposer en paix, sans regrets et sans amertume. Se laisser une chance, voir ce qu'elle pourrait récolter de cette relation et donner le change en offrant ce qu'elle n'avait fait que refouler durant toutes ces années. Quels étaient les risques ? pensa-t-elle. Que ce début d'attachement vienne se gâter ? Au moins aura-t-elle soigné son âme, à défaut d'avoir pu partager son cœur.

  • Et toi ? interrogea doucement Ashka. Tu vas retrouver les tiens, j'imagine ?
  • Dans un premier temps, oui. J'irai libérer les miens et tous ceux qui peinent encore dans les galeries de Marhkun. Quitte à faire payer leurs geôliers. Je ferai condamner cette fichue mine pour que jamais plus personne n'y perde la vie. Je rendrai leurs territoires aux Bir'Talis, pour que les miens puissent prospérer à nouveau.
  • Je pourrais t'y aider, si tu le souhaites.
  • Non. Je ne veux pas que tu te salisses les mains. Te compromettre dans ce genre d'actes pourraient nuire à tes projets futurs. Laisse-moi agir seule.
  • Mes mains sont à toi, Kal. Je ferai comme tu le désires. Je t'attendrai le temps qu'il faudra.

Là-dessus, Ashka souleva le menton de Kalaar et apposa un baiser tendre sur sa bouche attirée.

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