Bolga (Partie 3)

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La reine Sabina et ses enfants aînés avaient été les premiers à périr de la main d'Azel, ouvrant dans le cœur du Padishah une plaie large et cruelle. Mais le paroxysme de sa souffrance fut atteint lorsque sa dernière fille contracta une vile maladie, qu'un espoir d'une guérison lui fut amené, pour finalement disparaître atrocement en une exécution morbide. En satisfaisant sa terrible vengeance, Azel avait abandonné la dernière parcelle de son âme. La femme qui se tenait en ce jour devant Ashka, Izmeer et Kalaar n'était plus qu'une marionnette, une coquille vide de volonté. Tel avait été son pacte avec la déesse : une terrible vengeance contre le bourreau de sa fille et de son mari, au prix de son âme.

Bolga, le Chat Noir, Dame Malchance, divinité tant redoutée car capricieuse, mesquine et malicieuse, s'était instillée dans le cœur d'Azel comme un poison et avait mis en branle un plan diabolique. Oh, elle n'avait pas perdu de temps pour retrouver les pouvoirs oubliés dans les profondeurs du Dhazzem. Le Soleil Ancien, antique outil de guérison des Adariels, reposait depuis toujours dans les ruines de Nekhnesiris. Si les mages du Premier Empire d'Il Bahad en avaient utilisé un fragment pour déchaîner le Sablefeu, Bolga comptait l'utiliser afin d'en dompter le pouvoir et le faire sien.

Mais pour cela, il lui fallait un corps capable d'en abriter la magie. Pour cela, Kalaar remplissait parfaitement ce rôle. En tant qu'Hyléenne, celle-ci avait réussi à survivre à l'absorption du Sablefeu, il en résulta la disparition de son Ori. En contrepartie, elle était envahie peu à peu par la magie sauvage et destructrice de la tempête de sable, au point que son corps et son esprit en étaient irrémédiablement balafrés, n'en facilitant que davantage l'objectif final de Bolga, l'opportunité de s'incarner en elle.

  • Laisse-toi faire, Kalaar, et à nous deux, nous satisferons ta rage et ta colère. Tu pourras faire payer à ceux qui t'ont fait tant de mal. Toutes ces souffrances, enfin apaisées. Je te connais. Mieux que tu ne le penses.

Entourée de ses dizaines de suivants félins feulant en chœur, Bolga parlait au travers Azel. Elle avait narré crânement ses plans à son public. Sa voix était terrible à écouter, tant elle était distordue et glaçante, trahissant sa nature inhumaine.

  • Pitié Kalaar ! N'acceptez pas ! supplia Izmeer. Je sais que vous avez bon cœur ! Ne vous abandonnez pas à elle !

Bolga posa ses yeux félins sur lui, et murmura :

  • Tu n'as pas voix au chapitre, mage. Ton heure viendra bien assez tôt.

D'un revers de main, elle lui expédia les débris d'une fresque brisée, le projetant en arrière dans un nuage de poussière. Son crâne heurta violemment le sol, et il resta allongé inconscient.

  • Abandonne-toi à moi, ma chère Kalaar. Tu ne connaîtras plus jamais la peur ou la douleur, reprit Bolga de son ton insidieux.

Kalaar hésitait. Elle s'était penchée pour regarder ses mains à la fourrure noircie.

  • Je n'ai pas le choix, chuchota la Ligresse.
  • Non, tu n'en as aucun, fit Bolga en lui tendant les bras. Regarde autour de toi, tu es seule. Personne ne peut plus rien pour toi. Sauf moi. Je comprends ton chagrin, ton amertume. Ils te dévorent de l'intérieur. Je peux les soulager. Laisse-moi t'aider.
  • Je n'ai pas le choix, je ne peux pas...

Une main à la peau pâle vint se lover entre celles de la Ligresse.

  • Tu auras toujours le choix ! Ne la laisse pas te voler ta volonté, comme elle a dupé celle de la trameuse, Kalaar.

Un regard d'émeraude vint se planter dans ses yeux d'onyx. L'accablement qui l'habitait vacilla. Ashka affermit sa prise sur sa main. Bolga se tut, son attention se teignit d'un amusement perfide.

  • Je t'en prie, refuse-toi à elle ! clama Ashka.
  • Au nom de quoi t'écouterai-je ? interrogea Kalaar. Depuis le début, tu m'as mentie.
  • J'ai été trahie, j'ai fait des erreurs, tout comme toi. Tu ne veux pas me pardonner, car tu n'arrives pas à te pardonner à toi-même.
  • Tais-toi, souffla la féline.
  • Ce n'était pas ta faute, lui dit Ashka doucement. Je ne suis pas plus responsable de la mort des Bir'Talis que tu n'es responsable de la mort de ta famille.
  • Tais-toi !
  • Par les Déesses, ce n'était pas ta faute Kalaar !

Le rire qui parcourut la pièce claqua comme un coup de tonnerre, sec, sinistre et terrible.

  • Oh, mais bien sûr que si, c'était sa faute. Pauvre petite Ligresse incapable de sauver les siens. Trop chétive pour sauver ses enfants. Trop geignarde pour sauver son époux. À se demander si elle l'avait un jour réellement aimé ou si comme le reste elle était trop faible pour assumer ses propres sentiments. Tout ce qu'elle avait réussi à faire était de se faire engrosser et à pondre ses abominables chatons dont elle n'avait jamais été digne.

En un éclair, Kalaar s'empara de l'épée d'un mercenaire gisant au sol et se jeta sur Bolga. Elle taillada avec rage mais ses coups ne rencontrèrent que du vent, la créature se défilant toujours de ses attaques avec une vivacité irréelle.

  • Cesse de fuir, lâche ! hurla la Ligresse.

Ashka se joignit à elle, s'équipant d'une lance laissée à terre. La trameuse corrompue céda encore à son rire glaçant, et, tout en esquivant sans mal les assauts des deux femmes, continua de les arroser de ses sarcasmes.

  • Cela ne sert à rien de résister, tu ne fais que retarder l'inéluctable... Toi, et celle qui se prétend être ton amie, vous ne pouvez m'atteindre. Je suis l'Infortune, la Malchance, l'Inopportune ! Je reviendrai toujours attiser vos culpabilités cachées ! Gâter le moindre de vos beaux songes ! Votre bonheur aura le goût de la cendre ! Votre joie sera celle des funérailles !
  • Assez ! cria Kalaar lors d'une violente offensive.

Bolga se dégagea prestement, et, saisissant avec une force inouïe la hampe de la lance d'Ashka, elle l'attira à elle alors que la lame de la Ligresse allait l'atteindre. Ce fut le sang de l'Evaylienne qui se répandit alors au sol.

  • A... Ashka ? Non...

Le sang lui couvrait les mains, devant son regard horrifié. Ashka tomba à genoux, accompagnée par Kalaar. L'Evaylienne porta sa paume au visage de son amie, lui imprimant une marque rouge sur sa fourrure de nuit.

  • Ce ... ce n'est rien, Kalaar. Je... Je t'aime. Kalaar. Tu es meilleure que ce qu'elle peut imaginer. Moi... je le sais. Je crois en toi. Je...

Alors que les mots résonnaient dans sa tête, elle vit le regard d'Ashka se ferrer.

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