Bolga (Partie 4)

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Ashka était étendue au sol, une flaque de sang rubis se répandant autour d'elle comme une marée funeste. Sa poitrine immobile, ses paupières mi-closes figée, son teint cendreux, aucun doute n'était laissé. Kalaar avait enfoncé son arme au travers son amie, et l'avait assassinée. Elle portait sur elle le sang de l'unique amour qui lui restait, du dernier espoir de paix qu'elle possédait, de la seule possibilité de ne plus faire le deuil des siens seule. C'était sa faute une fois encore, en fin de compte. Sa colère l'avait emportée trop loin, et avait tout détruit.

Trop faible pour sauver les siens, trop sensible pour contrôler sa fureur. Tout ce qu'elle avait un jour aimé en avait payé le prix. Sarian, ses enfants, son clan, puis Hadj, Talek, Tabib, les Tamargat... et maintenant Izmeer et enfin Ashka. Les raisons qui donnaient à sa vie sa valeur avaient disparu, les unes après les autres. L'estime qu'elle avait eue d'elle-même s'était délitée comme une statue de sable. Pire que tout, Bolga avait raison, elle était désormais seule.

Seule face à l'unique décision qui avait encore du sens. La vengeance. Faire taire cette souffrance qui la harponnait de l'intérieur. Calmer cette haine et cette colère qui la consumaient. Quitte à se perdre en elles. Kalaar pensa qu'elle ne méritait plus de porter la mémoire de ceux qu'elle avait chéri dans ses souvenirs durant tant de temps. Elle en salissait désormais la mémoire, souillant par sa simple existence leur histoire.

Un sourire sinistre vint se dessiner sur la bouche d'Azel, fracturant en deux son visage émacié. La trameuse tendit les bras vers Kalaar, alors que la voix de Bolga résonna :

  • Oui. Tu sais que tu n'as pas le choix. Viens à moi, Kalaar. Ensemble, nous ferons de grandes choses. Laisse-moi t'aider.

Kalaar ouvrit ses yeux enténébrés. Les corps immobiles gisaient sur le carrelage souillé de la salle du trône. Izmeer était inconscient, mort peut-être, désarticulé comme un pantin aux fils coupés. Ashka avait rendu son dernier soupir dans son propre sang. Une tristesse immense l'envahit alors, comme jamais elle n'en avait éprouvé auparavant. Un désespoir lancinant, une solitude déchirante. La Ligresse se retourna vers Bolga, des larmes coulant sur ses joues.

  • Oh, ne pleure pas, mon pauvre petit chaton, la consola Bolga d'un ton compatissant. Tu auras tout ce que tu voudras, tout ce que tu mérites d'avoir, et bien plus. Laisse-toi faire, laisse le passé derrière toi.

La féline ne dit pas un mot, l'abattement était la seule émotion qu'elle pouvait ressentir, tant elle en était submergée, noyée sous la culpabilité et le chagrin. Elle s'avança lentement vers l'enveloppe charnelle qui contenait la déesse, d'une démarche lente et lourde. Chaque pas lui demandait un effort éreintant, en plus du poids de sa propre infâmie. L'absence de son Ori et le manque de son pouvoir lui provoquaient des vertiges et brouillaient complètement sa raison. Ses idées ne parvenaient à émerger qu'à grand-peine, tourmentant son esprit perdu dans le chaos.

  • Oui, viens ! Viens recevoir ce à quoi tu prétends depuis si longtemps. La fin de ta colère, l'apaisement de ta vengeance, la paix dans ton cœur... Plus rien ni personne ne te retient, désormais.

Le regard rutilant et surnaturel de la trameuse irradiait d'une lueur malsaine. Son visage tout entier transpirait une méchanceté jubilatoire, une malice démente. Mais même constatant cela, Kalaar ne changea pas de direction. Attirée par l'aura magnétique et captivante de Bolga, la Ligresse était entièrement soumise à ses imprécations.

  • Ta souffrance s'arrête aujourd'hui, petit chaton.

Bolga susurrait à l'oreille de Kalaar tout en étendant ses bras décharnés autour d'elle. Un faible raclement de gorge lui parvint alors. Lointain tout d'abord, la Ligresse se ressaisit en un éclair de lucidité et l'entendit à nouveau, tout proche. Faisant mine de se retourner pour en connaître l'origine, Bolga saisit fermement son menton de la main, l'obligeant à rester face à elle. Une deuxième quinte de toux, suivie d'une faible plainte fit faire volte-face à Kalaar, qui cette fois-ci se déroba des prises de Bolga.

Izmeer avait repris connaissance et s'était rapproché d'Ashka. Celle-ci, bien que gravement atteinte, semblait encore respirer, bien que difficilement. La féline en eu le souffle coupé de stupeur.

Bolga fulmina et projeta Kalaar au sol, l'envoyant glisser sur le sol carrelé. Le coup n'eut pas l'effet escompté par la déesse. Se relevant d'un bond, la Ligresse parut sortie de sa torpeur et s'élança devant ses compagnons. La Dame de l'Infortune avait levé la main, prête à achever les imprudents qui l'avaient défié, mais suspendit son geste alors que Kalaar s'interposa.

  • Si tu me tues, jamais tu n'obtiendras le Sablefeu ! hurla Kalaar en défi à son adversaire.

Les yeux dorés de Bolga s'agrandirent de fureur tandis que la meute de chats vint cerner les trois compagnons.

  • Tes amis vont mourir, avertit Bolga, par ta main ou la mienne. Et rien ne pourra s'y opposer, pas même toi.

Alors que les petits fauves se rapprochaient, grimés d'un air malfaisant et odieux, les yeux d'Ashka s'ouvrirent et rencontrèrent ceux de Kalaar. L'instant parut s'étirer, pendant lequel leurs battements de cœur sonnèrent à l'unisson en une communion profondément intime. En l'espace d'un battement de paupière, Ashka comprit. Tout allait bientôt se terminer.

Kalaar regarda une dernière fois son Evaylienne aux yeux d'émeraude. Elle leva la main qui jadis fut percée de l'éclat du Soleil Ancien et lança un regard résigné à Izmeer. Se redressant les poings serrés, elle se retourna enfin face à Bolga, lui adressant une mine résolue.

  • Nul besoin de prendre d'autres vies, Dame Malchance, lança-t-elle d'une voix cassée. J'accepte ton offre. Je suis lasse de cette vie de souffrances.
  • Kalaar, non ! implora Ashka en s'étouffant dans une quinte de toux sanglante.
  • Pitié, Dame Féline ! Ne faites pas cela ! supplia Izmeer qui tentait de soutenir la conseillère.
  • Tu ne peux duper une menteuse, Kalaar, prévint Bolga d'une voix terrible. Choisis bien tes prochains mots, car ce pourrait être tes derniers.

Kalaar prit une longue inspiration, puis lâcha :

  • Je choisis d'être ton incarnation, Bolga. Fais de moi ce qu'il te plaira.

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