Izmeer et Ashka (Partie 1)
Comme le désert s'épanouit après la pluie, l'âme croît après l'adversité.
Extrait du Grand Livre des sonnets d'Izmeer In Raafi
L'aube se levait sur le Dhazzem. Un vent déjà chaud caressait les dunes basses, soulevant des brumes poussiéreuses en petits nuages bruns. Un criquet s'enterra à la va-vite pour chasser les dernières perles de rosée et s'abriter de la chaleur naissante. Alors qu'un scarabée topaze égaré se posait lourdement, une vipère le contempla d'un œil gourmant avant de fondre dessus. Le reptile emporta sa proie dans une cavité creusée dans un ancien pan de mur, autrefois resplendissant de la richesse de la région.
Tout autour, vestiges et ruines hantaient silencieusement le paysage.
- Nous irons au sud jusqu'à ce soir, l'Akh Qidyis n'est plus très loin.
L'homme avait parlé d'une voix sûre. La femme qui l'accompagnait, emmitouflée dans un tegelmoust gris ne dit mot, se contentant de fixer l'horizon de ses iris d'émeraude. La caravane dont ils avaient pris la tête se composait d'une foule hétéroclite. Des Jahads, des Majaghans, mais aussi des Evayliens et même quelques Ligres. Tous avaient fui leur quotidien difficile et s'étaient regroupés derrière la cause de l'homme à la barbiche taillée.
- Nadaj ! appela-t-il. Nous camperons ici ce soir. Préviens les autres.
- Bien, messire Izmeer, répondit une jeune bédouine non loin de là.
Le mage mit pied à terre, descendant souplement de sa monture. Il était certain d'avoir cheminé droit en direction de Kuvalzum, mais rien ne permettait d'affirmer avec certitude qu'une capitale de cette dimension se soit un jour dressée en ces lieux.
Le panorama était méconnaissable. Le sol était encore couvert des grains noirs du Sablefeu. Même si par endroit le désert reprenait ses droits et redécouvrait sa parure orangée, les stigmates du cataclysme étaient encore omniprésents.
Onze mois étaient passés depuis les ravages du Sablefeu. La tribu majaghane des Lasawin s'était rendue dans la région en quête de pillages et d'opportunités. Dans une profonde crevasse, ils trouvèrent Izmeer et Ashka inconscients, mourants. Les Lasawin les ramenèrent à Mazzesh, leur foyer, sur le flanc oriental du Tjeb Alhilal.
Hormis quelques profondes brûlures au visage et aux bras, Izmeer n'eut pas à déplorer de séquelles aussi dramatiques que sa partenaire. Ashka était brisée. À son réveil, il s'avéra que se tenir sur ses jambes lui était devenu impossible. De même, elle qui avait le verbe aisé devint étonnament taciturne. Peu furent ceux qui réussirent à entendre le son de sa voix depuis lors. À l'instar de son être, son esprit semblait profondément mutilé.
En dépit de ses cicatrices, Izmeer avait souhaité partir. Retourner à la civilisation. Les royaumes de la province méridionale de Kinumar n'avait pas été touchés par le fléau. Peut-être était-il possible de commencer une nouvelle existence là-bas. Il avait pris alors les devant. Une fois rétabli, il organisa une expédition pour traverser les terres dévastées de Menmerun.
Si Ashka s'était retranchée derrière le mutisme, Izmeer révéla un talent caché pour prendre les décisions nécessaires et pour emporter les autres par sa passion et sa persuasion. Au terme de quelques octaves de préparation et de voyage, il revint avec Ashka sur les terres dévastées de Kuvalzum. Si l'Evaylienne ne semblait pas s'en émouvoir, Izmeer ressentait qu'au fond d'elle, Kalaar occupait chacune de ses pensées.
Le Jahad n'était pas dupe : le miracle par lequel ils avaient réchappé de la destruction totale n'était pas le fruit du hasard. La déflagration du Sablefeu les avait délibérément évité et même le sable noir n'avait pas recouvert le sol sur lequel ils avaient été retrouvés. En faisant exploser volontairement toute la puissance du Sablefeu, Kalaar s'était sacrifiée pour évincer Bolga et la renvoyer dans son domaine divin. Dans une ultime volonté d'expier ses fautes, la Ligresse avait protégé ses amis de son propre anéantissement.
Revenant sur les pas de sa partenaire disparue, Izmeer souhaitait rendre hommage à celle qui avait enfin trouvé la paix avec elle-même dans ce dernier acte de bravoure. Le mage jahad essayait de se convaincre que peut-être à l'orée de l'instant suprême, la féline avait su se pardonner à elle-même. Il espérait aussi secrètement qu'Ashka, ainsi à proximité du dernier lieu d'existence de son amour, pourrait retrouver un quelconque goût à la vie.
Au loin, l'Akh Qydis s'étendait au loin comme un miroir brillant posé sur un velours cendreux. Izmeer devait rebâtir son avenir. D'abord honorer les disparus, leurs morts et leurs sarifices, puis rétablir l'honneur de sa famille. L'anneau de Nekhnesiris découvert par Kalaar n'avait pas quitté son doigt depuis. L'araignée d'ambre qui l'ornait serait le symbole de son nouveau destin. Il en fit le serment. Demain, ils reprendraient la direction du sud, avec l'espoir que le futur serait plus clément avec eux .
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