L'Originelle

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Ajay se sentait las, perdu dans un monde trop grand pour lui. Coline ne faisait jamais rien comme il l’aurait fait. Elle vivait tout au contraire de lui. Il ne comprenait pas sa façon de fonctionner et n’arrivait pas à l’apprécier. Pourtant, il ne savait pas ce qu’il aurait fait à sa place. Même s’il avait eu quelques « amis » – dans son genre de vie, il ne fallait pas s’attacher – emprisonnés par le Pouvoir, il n’avait jamais ressenti ni le besoin ni l’envie de les libérer. Pourquoi se lancer dans cette aventure ? Elle ne rapporterait rien au cow-boy. Même si elle s’emparait de son trésor, sa fortune ne suffirait peut-être pas à rembourser tout ce qu’elle avait dépensé. Il ne doutait pas qu’elle ait tout préparé à l’avance, mais elle ne semblait pas avoir prévu leur incompatibilité. Ajay regrettait de l’avoie suivie. Cependant, par peur de se faire assommer à nouveau, il se garda bien de le lui dire.


— Tiens, mange ça, entendit-il depuis l’extérieur. On repart bientôt.


Coline passa à peine la tête par l’ouverture et lui lança un objet non-identifié qu’il faillit laisser tomber. En retournant le petit pain entre ses mains, le criminel la vit hésiter puis se décider à entrer dans la tente. Elle s’assit à côté de lui sans un mot, un pain identique entre les doigts. Il eut beau retourner la nourriture dans tous les sens, il ne comprit pas de quoi il s’agissait. Tentait-elle de l’empoisonner ?


— C’est un sandwich. De la grande cuisine de la Terre Originelle, à ce qu’il paraît, expliqua-t-elle, peu convaincue elle-même. Les goûts ont dû évoluer depuis parce que c’est pas si bon que ça, au final.


Les yeux écarquillés, Ajay fixa la jeune femme qui fit une moue déçue et croqua dans son « sandwich ». Il déglutit en apercevant le bout de son menton dépasser de son foulard à la première bouchée et partagea sa déception : il aurait aimé en voir plus.


Il n’y connaissait pas grand-chose à l’Originelle, mais doutait que ce pain étrange vienne de là. Même son nom ne signifiait rien. Néanmoins, son ventre gargouillait de faim. Le criminel tendit les lèvres et croqua dans le sandwich avec appréhension. Pas si bon, avait-elle dit… c’était infecte ! Qu’avait-elle mis dedans ?


— Je me demandais… commença-t-il, hésitant. Il n’était sûr ni de vouloir une réponse à sa question, ni que Coline ne s’énerverait pas en l’entendant, mais il se lança quand même : Qu’est-ce que tu connais de la Terre Originelle ?


— J’aime penser que j’en connais plus que tout le monde, répondit-elle avec fierté.


— C’est-à-dire ?


— Les gens connaissent les Machins ou le désert de cendres. Même si je doute qu’ils aient raison d’affirmer qu’une guerre l’a causé. Mais moi, je connais les cow-boys, le sandwich et même la boussole !


— La quoi ?


— La boussole ! Regarde. C’est à grâce à elle que je sais où on doit aller.


Captivée par leur conversation, Coline ne mangeait plus, son sandwich posé sur la couverture. Elle s’approcha, se colla à lui sans s’en inquiéter davantage et agita son poignet sous les yeux du criminel.


Son instinct lui dicta de s’écarter et de ne pas regarder. Plus que le corps féminin de sa compagne, il se sentit troublé par la révélation à venir. Un mauvais pressentiment lui vrilla les entrailles. Avec Coline, tout pouvait arriver et il ne se préparait jamais assez à encaisser. Une fois encore, il écarta ses soupçons et attrapa délicatement la main de la jeune femme pour stabiliser l’objet accroché entre le gant et la veste.


Un bracelet noir et souple enserrait le poignet de Coline. Sur le dessus, un rond en verre protégeait des aiguilles, des numéros et une étrange chauve-souris noire sur fond jaune. Le criminel faillit s’étouffer avec son sandwich. Ses connaissances en boussoles s’arrêtaient à leur nom, mais il pouvait assurer qu’il ne s’agissait pas de cela.


— Coline… C’est une montre, bordel ! s’énerva-t-il en comprenant ce que cette méprise signifiait pour eux.


— Quoi ? Mais non ! Regarde les aiguilles : elles montrent toutes en haut. C’est par là qu’on va.


— T’es complètement débile, ma parole ! Cette montre est cassée, c’est tout. Les aiguilles montrent le douze, là, tu vois ? À quoi ça sert trois aiguilles sur une boussole ?


— Je sais pas, moi ! cria Coline, un mélange de honte et d’agacement dans la voix. Je pensais que c’en était une.


— Et tu l’expliques comment, la chauve-souris ?


Ses yeux gris ne pouvaient être plus écarquillés. Elle le fixait sans comprendre et Ajay lui rendait son regard en ajoutant au choc une pointe de frayeur. Sa première traversée du désert relevait du miracle. Il ne savait pas où ils se dirigeaient depuis l’évasion, mais ce n’était pas vers le nord. La prison était au nord et la ville la plus proche au sud du désert. Cette folle ne faisait que suivre une aiguille sans se demander pourquoi, peu importait la situation, le nord se trouvait toujours devant elle.


— Tu crois que la chauve-souris a de l’importance ?


— Bien sûr, Coline ! C’est une montre de la Terre Originelle. Ils n’auraient pas inscrit ce signe dedans si ça voulait rien dire. Mais on s’en fout ! Le problème, c’est que c’est une montre et cassée en plus ! Depuis le début, on sait absolument pas où on va. On va crever ici à cause de tes conneries… souffla-t-il, au comble du désespoir.


— Hé ! le criminel ! On se calme tout de suite si on veut pas retourner en prison, menaça-t-elle, agacée par ses insultes et reproches.


— Ah oui ? Et comment tu vas faire ça, hein ? On sait pas où on est !


— J’y suis pour rien ! Son propriétaire a pas eu le temps de m’expliquer. Je pouvais pas deviner seule, se défendit-elle avec beaucoup de sérieux.


— Je sais pas qui t’as refilé une merde pareille, mais il s’est bien moqué de toi.


— Oh… c’était à Ali.


Ajay resta bouche bée, trop choqué pour répondre. En plus du Turkoman, elle possédait également la montre du Balafré et il la suspectait de ne pas s’être arrêtée à cela. Si Ali sortait de son trou, il ne pardonnerait pas à sa sauveuse et la traquerait jusqu’à ce qu’il puisse la tuer de ses propres mains. Son désir ne serait jamais assouvi s’ils ne sortaient pas de ce désert en vie.


— T’es folle, Coline, et tu piges que dalle à l’Originelle ! J’aurais dû m’en douter… Personne s’habille en gardien de vaches s’il sait.


— Des vaches ? Mais de quoi tu parles ?


— Laisse tomber, abandonna-t-il, lassé.


Ajay désespérait. Il lui semblait que l’ombre qu’il apercevait dans la cendre s’invitait sous leur tente et posait ses mains glacées sur ses épaules. Il soupira un grand coup et finit son sandwich immonde à toute vitesse. Il devait partir, trouver un moyen de survivre. Il ne pouvait pas attendre la mort comme un idiot. Il devait se battre !


Pourtant, que pouvait-il faire si elle les avait perdus dans le désert ? Il n’en avait pas la moindre idée.

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