Les flammes atteignaient des dimensions irréelles. Dans le flamboiement crépusculaire, des milliers de brandons virevoltaient sous l’effet de la chaleur et du vent marin. Phan n’avait aucune idée du temps écoulé depuis qu’elle était à genoux sur la route, à peine consciente des larmes inondant ses joues. Ses mains étaient agitées de tremblements, son regard vide. Et soudain, tout fut blanc.

  Phan regarde autour d’elle, et voit un être de lumière arborer les traits de son petit frère. Par réflexe, elle examine ses mains : elles aussi rayonnent. Elle sent son esprit attiré par une force colossale jusqu’à une gigantesque sphère lumineuse traversée de lézardes obscures. Une voix s’élève, émanant de la boule blanche. La nuée luminescente parait pulser de puissance contenue, et pourtant le contact mental est facile, doux, comme une caresse.
 — Phan ?
 — Quelle est cette magie ? demande-t-elle, ébahie, reconnaissant le timbre maternel.
 — Je ne peux pas te l’expliquer en termes simples. Le temps presse. Il faut que tu écoutes attentivement ce que je vais te dire. Tu dois me faire confiance, pour ton bien, pour celui de Mao, et peut-être plus encore.
 — Mais…
 — Ne m’interromps pas. L’heure est proche. Il se passe des choses graves. Tu dois faire ce que je te dirai, sans te retourner. Ce sera difficile, mais c’est le seul moyen.
 La jeune fille ne comprend pas tous les tenants et aboutissants de la conversation, mais un sentiment d’horreur grandit en elle à chaque mot prononcé.
 — Non…
 — C’est la réalité. Le roi n’est pas là pour vous défendre. Sa famille est en danger. Vous ne serez en sécurité nulle part. Votre seul espoir est de traverser l’océan, toi et ton frère. Réfugiez-vous à Kelcia. Là, trouvez Mira Valerian. Elle pourra vous aider. Mira Valerian. Garde bien ce nom en mémoire, ma petite Phan.
 — Mam’, il est encore temps, fuis avec nous !
 — Non, un groupe de soldats est déjà à la porte du palais, et je n’ai aucune chance de m’échapper. Je suis trop faible... Trop malade. Ils approchent. Phan, promets moi que tu fuiras avec ton frère. Que vous irez chercher de l’aide auprès de Mira Valerian, à Kelcia.
 — Mam’...
 — Promets-le moi.
 — C’est promis, mam’…
 Phan est soudain enlacée par un ruban de lumière, emplie d’une sensation de chaleur intense. La sphère où se cache sa mère enfle, la force d’attraction augmente. Phan se rend compte que d’autres lueurs sphériques, probablement d’autres esprits, sont attirées. Elles sont une quinzaine, toutes sombres, ténébreuses, à l’exception de deux d’entre elles, un peu à l’écart. Celles ci, suspendues dans le vide, émettent un doux bourdonnement. Les autres continuent jusqu’à la gigantesque nuée et chacune d’entre elles se désagrège au contact du halo éblouissant. Une voix puissante aux accents tristes résonne dans le néant.
 — Adieu.
 La grande sphère luminescente explose.

Phan réintégra son corps l’instant d’après. Le monde réel était exactement le même qu’avant la vision, à tel point que la jeune fille douta de ce qu’elle venait de vivre. Elle ne pouvait y croire. Alors, elle empoigna la main de Mao, et se mit en marche vers le palais royal, décidée à en avoir le cœur net.