Chapitre I
Dans un petit quartier breton niché dans un coin de campagne reculée, les rayons d'un soleil automnal filtraient à travers le voile des brumes matinales. L'air était empreint de la richesse des senteurs terreuses, et la douce lumière dorée caressait les paysages d'une touche mélancolique. Les arbres, drapés dans leur parure déclinante, se paraient de rouge, d'or et de cuivre, tandis que leurs feuilles craquaient sous les pas et enrichissaient le sol d'un tapis multicolore. C'était une symphonie visuelle et tactile, un adieu vibrant des forêts à la saison estivale.
Dans le grenier mansardé d'une maison charmante aux pierres anciennes, une adolescente s'activait. Agathe saisit son sac à dos qui trainait négligemment sur le sol, y enfourna des appareils insolites, un boîtier noir ressemblant à une radio, un second muni de loupiote a son extrémité et bien d'autres objets intrigants.
Agathe, seize ans, cultivait une aura rebelle. Ce jour-là, elle arborait un sweat à capuche sombre, décoré des initiales d'un fameux groupe de hard rock britannique. Un bonnet, paré des mêmes insignes, achevait sa tenue. Des mèches violettes s'échappaient sous le tissu, encadrant des yeux marron profond. Elle était vêtue d'un pantalon large et de Converse noires, l'éclat des lacets blancs tranchant avec l'obscurité de son accoutrement.
Sa chambre, un reflet de son esprit indépendant, se noyait dans un désordre créatif. Les murs étaient tapissés de posters d'AC/DC, la musique du groupe emplissant la pièce d'une énergie frénétique. La porte s'ouvrit brusquement, révélant un homme quinquagénaire qui, d'un geste brusque, stoppa l'assaut sonore.
— Hey ! putain, y a un bouton pour ça ! s’insurgea Agathe.
— Je peux savoir où tu vas comme ça ? interrogea le père d'Agathe.
— Je sors avec mes potes !
— Tu n’iras nulle part sans avoir rangé cette porcherie qui te sert de chambre et fait tes devoirs , et retire-moi ce maquillage que tu as sur les yeux, on dirait Cruella ajouta-t-il
— C’est bon ! Demain, c’est dimanche, j’ai largement le temps, et je t'emmerde, répliqua-t-elle, avec arrogance.
— Hey ! Et tu me parles autrement ! Si ta mère avait été là, tu…
— Ouais, mais elle est morte ! coupa-t-elle, cinglante.
— Tu dépasses les bornes, ma grande, s’insurgea-t-il
Elle quitta sa chambre en bousculant son père sur son passage et dévala les escaliers à toute vitesse, accompagnée des réprimandes autoritaires. Claquant la porte d'entrée, elle étouffa ainsi toute autre remontrance. Agathe, déterminée à rejoindre ses copines, traversa rapidement le quartier et s'engagea sur une charmante route de campagne bordée d'arbustes taillés. Après 400 mètres, elle arriva sur une petite place gravillonnée près d'un stade de football où l'attendaient ses amies, Marion, quinze ans, et Lucie, âgé d’un an de plus.
— Salut, les filles ! Venez, on se casse, dit-elle avec détermination.
Elles se dirigèrent vers un long sentier jouxtant le stade, juste en face de celui par lequel elle était arrivée, puis elles s’y engagèrent.
— Et si on se faisait choper par les flics ? s'inquiéta Marion.
— Agathe sait ce qu'elle fait, trancha Lucie d'un ton péremptoire.
— Mais...
— Marion, relax ! Les flics ne viendront jamais dans ce coin, insista Agathe.
pleine d’appréhension L'adolencente préféra se taire, tandis qu’elles progressaient. Par-dessus la butte séparée du sentier par un fossé, elles pouvaient contempler des champs à perte de vue, où les tracteurs s’affairaient au labour, préparant le sol en vue de la saison des plantations. L’odeur de la terre imprégnait l’air et conférait à ce paysage une atmosphère rurale tout à fait charmante. Après quelques minutes de marche, elles arrivèrent à un embranchement forestier. Un ruisseau fredonnait à côté, tandis que l'édifice qui obsédait les pensées d'Agathe se dévoilaient, invitant mystérieusement au péril.
— On ne va pas vraiment traverser ça, si ? s'inquiéta Marion en désignant la brousse impénétrable.
— Bien sûr que si. Viens, répondit Agathe en brandissant un bâton.
— Mais… y a pas un autre chemin, t’en es sûre ? balbutia Marion, hésitante.
Lucie s'interposa avec impatience, sa voix tranchante dans l'air chargé de tension.
— Oh ! arrête de faire ta chochotte, tu nous les brises ! Ce sont juste des plantes, ce n'est pas comme si on devait traverser de la lave !
Marion encaissa le reproche cinglant sans mot dire, le poids de l'exaspération pesant sur ses épaules. Agathe ajusta sa capuche par-dessus son bonnet et s'avança résolument dans cette mer de ronces, armée de sa branche de bois trouvé à terre. Elle fendit la végétation dense, dégageant ainsi le passage, Marion sur ses talons, tandis que Lucie, arborant des traits durs et déterminés, fermait la marche avec une énergie presque agressive.
— Allez, bouge-toi l'cul ! Cracha t’elle d'un ton méprisant, poussant sans ménagement Marion dans le dos.
— Mais je ne peux pas avancer plus vite qu’Agathe ! gémit Marion d'une voix pitoyable.
— Elle est deux mètres devant. Il y a de la marge, alors magne-toi ! répliqua Lucie la poussant à nouveau.
— Aïe ! Mais arrête de me presser ! protesta Marion, manifestement en détresse.
Malgré la détresse évidente de Marion, Lucie s'irrita encore davantage.
— Ça va, tu vas pas commencer à chialer, non plus ! lança-t-elle avec agacement, un soupir exaspéré accompagnant ses paroles.
— Hey, lâche-la un peu ! intervint Agathe d’un ton autoritaire, lançant un regard perçant à Lucie. L'intensité qui animait les yeux d'Agathe semblait injecter une certaine retenue dans l'attitude de Lucie. Un silence s'imposa seulement, rompu par le craquement des branches et le froissement des feuilles. Marion osa un timide sourire de gratitude à Agathe, avant de poursuivre leur chemin dans la verdure opiniâtre.
Après plusieurs minutes d'effort acharné, le trio émergea enfin sur un parvis, inondé par la lumière du soleil qui perçait désormais la canopée. Le soudain déferlement de lumière parut leur sourire comme une récompense pour avoir dépassé les épreuves de la forêt. Les ombres dansaient autour d'elles, et l'odeur boisée se mêlait à celle, plus douce, de l'herbe fraîchement humectée. C'est là, au milieu de la clairière, que se dressait l'ancien manoir, objet de leur expédition.
— Tu vois, rien de tel qu'un peu de persévérance, fit remarquer Agathe, essuyant une goutte de sueur du front.
— Il valait mieux que ça en vaille la peine, murmura Lucie, inspectant l'édifice du regard.
La demeure, ou ce qu'il en restait, n'était autre qu'une ruine pittoresque où la nature avait repris ses droits. Des lierres s'enroulaient autour des murs de pierre comme des serpents en quête d'une proie, tandis que des rosiers sauvages parsemaient les décombres de leurs fleurs. La façade, sérieusement endommagée, laissait entrevoir des fissures et des dégradations, témoignant du passage du temps. Le porche était envahi par la végétation qui s'étendait jusque sur sa terrasse.
— On dirait le décor parfait pour une de tes séances d'exploration paranormale, railla Lucie, un sourire en coin.
C'est exactement ça, répondit Agathe, son visage s'animant d'excitation à l'idée de l'aventure. On est là pour ça. D'après une légende locale, ce lieu serait hanté par un démon depuis plus de 20 ans.
— Des légendes, toujours des légendes, ricana Lucie.
Marion frissonna, regardant autour d'elle avec une appréhension non dissimulée. Elle n'était pas aussi courageuse ou aussi téméraire que ses amies et se demandait secrètement si cette expédition ne dépassait pas les limites de sa curiosité.
— On doit vraiment faire ça ? chuchota-t-elle, incapable de cacher la peur qui teintait sa question.
Agathe se tourna vers elle, son regard adouci par la compréhension. Elle savait que Marion avait suivi par loyauté, bien que tout ce qui touchait au mystique la terrifiait.
— J’vais pas te forcer à faire quoi que ce soit que tu ne veuilles pas, lui assura Agathe. Mais honnêtement, je pense que tu seras surprise. Et puis, on n'a pas fait tout ce chemin pour rien, si ? Tu veux vraiment retraverser tout ça ? demanda-t-elle en désignant la végétation d'un mouvement de tête.
Marion resta silencieuse un moment, réfléchissant à ces paroles.
— D'accord, dit-elle finalement, avec une résolution fragile. Mais à la moindre bizarrerie, je suis la première à partir.
Agathe lui offrit un sourire rassurant
D'un geste hésitant, Agathe poussa la porte d'entrée, déclencha un gémissement de plainte, comme si l'ancienne structure se lamentait sur son état dégradé. L’intérieur était tout aussi délabré. Avec prudence, elles avancèrent dans ce qui avait autrefois été un hall élégant, maintenant en ruines. Chaque élément de la demeure inspirait une certaine appréhension : les murs décrépits et couverts de poussière, le parquet ancien qui gémissait à chacun de leurs pas...
En face d'elles, la cuisine était tout aussi désastreuse, avec des placards sur le point de s'effondrer. À gauche, le salon abritait des meubles délabrés et recouverts de toiles d'araignées, donnant l'impression d'être infesté par les arachnides. Un vieux canapé des années 80 trônait au centre de la pièce, tandis qu'une imposante armoire, dégageant une odeur nauséabonde, semblait garder un sombre secret derrière ses portes. Le sol était jonché de débris variés, créant une atmosphère lourde et sinistre.
— Pouah ! Ça pue ! On dirait qu’on a buté quelqu’un et laissé son cadavre pourrir, s'exclama Agathe avec dégoût, en franchissant un sac-poubelle éventré qui dévoilait son contenu nauséabond, mélangeant d'anciens journaux et des déchets indéfinissables.
— Tu crois que c'est possible ? murmura Marion d'une voix faible.
— Non, ça doit plutôt être des animaux morts.
— Oh non, les pauvres !
— Ouais, ben, c'est la vie... répondit Agathe stoïquement avant de s'éloigner, plus intéressée par les lieux que par les états d'âme de son amie. Lucie, reprenant son ironie acerbe, se planta devant Marion, imitant un zombie prêt à l'attraper par le cou.
— Tu pourrais bien mourir ici aussi... Gaaaaah !
— Arrête, c'est pas drôle ! s'exclama lucie.
Alors qu'elles se chamaillaient, un craquement sourd suivi d'un hurlement retentit à l'étage. Marion se figea sur place comme une statue de glace, retenant même son souffle malgré les battements frénétiques de son cœur résonnant dans ses oreilles. Déconcertée un instant, Lucie quand à elle chercha le soutien d'Agathe et se rendit compte qu'elle avait continué son exploration sans les attendre.
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