18. Un pendu dans le placard

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Ce fut un type du service de ménage qui trouva le pendu dans le placard. Il alerta son supérieur, Herbert Larousse, qui alerta à son tour Virgile Montague, qui alerta lui-même le capitaine. Ainsi, ils se retrouvèrent tous les quatre devant le corps qui dansait sur sa corde nimbés de l’odeur nauséabonde caractéristique des macchabées.

« Comment l’avez-vous trouvé ? » s’enquit Quentin, assombri par cette quatrième mort.

Le type qui avait découvert le cadavre s’appelait Carl, juste Carl, et expliqua que la puanteur l’avait alerté. En ouvrant le placard, il avait découvert le mort.

« C’était… horrible », confia-t-il dans un souffle, sa voix encore chevrotante.

Quentin hocha la tête, aussitôt imité par Montague et Herbert.

« Bruno Philippe, fit Montague, anticipant la question de Quentin. Quarante-deux ans. Cantinier. »

Quentin se rappelait de lui : il lui avait apporté des bolognaises façon classique l’avant-veille.

« Des proches ?

– Tous sur Mars, répondit Montague du tac au tac.

– Prévenez l’Agence et informez la famille en lui présentant toutes nos condoléances. Et appelez la morgue, qu’on enlève ce corps. C’est une infection ! »

Agité d’un spasme, Carl se tordit en deux et rendit son repas.

« C’est… immonde. Je m’en vais, excusez-moi. »

Herbert annonça que le corps devait reposer là depuis deux ou trois jours, ce qui expliquait les relents âcres.

« Rien ne peut justifier une pareille odeur », grogna Montague en s’éloignant à la suite de Carl, les doigts pincés sur ses narines.

Herbert demeura, par courtoisie plus que par envie. Quentin le prit à l’épaule et le mena sur le côté.

« Écoutez, si on vous demande, ce type a fait un malaise cardiaque. Je ne veux pas que cette affaire s’ébruite. D’accord ? »

L’autre leva de grands yeux horrifiés.

« Vous me demandez de mentir ? »

Quentin pesta, agacé par sa réaction :

« Je ne veux pas inquiéter les passagers en évoquant les tendances suicidaires de certains. Vous comprenez, n’est-ce pas ? Considérez cela comme une nuance, et non un mensonge. J’en prendrai l’entière responsabilité, évidemment. »

Il ajouta « Bien. » sans laisser à Herbert le temps de rétorquer et lui indiqua la sortie d’un signe de main courtois.

« Et au fait, répétez-le à votre homme, comment s’appelle-t-il déjà ?

– Carl.

– Oui, Carl, c’est ça. Transmettez-lui ma requête. Je peux compter sur vous ? »

Il appuya sa question d’un regard insoutenable. Herbert détourna les yeux, gêné.

« Oui. »

Rassuré, Quentin sortit après une tape amicale sur l’épaule de l’homme. Montague l’interpella dès qu’il l’aperçut :

« Capitaine, le planétologue veut vous voir. Il souligne qu’il s’agit d’une urgence.

– Nero ? fit Quentin avec étonnement. Qu’est-ce qu’il me veut ? »

Le planétologue apparut alors derrière Montague, comme s’il se cachait depuis le début.

« Quentin, je dois te… Oh, grimaça-t-il. C’est quoi cette odeur ?

– Un mort. Rien de bien grave. »

Nero ouvrit de grands yeux.

« Quoi ?

– Un mort je te dis. Écoute, je n’ai pas le temps, alors dépêche-toi. Que veux-tu ? »

Nero courba la tête vers l’intérieur de la pièce et aperçut le corps. Il frissonna :

« Bon sang, à t’entendre on dirait presque que c’est devenu une habitude !

– Tu es venu simplement pour me dire ça ?

– Non, non, répliqua Nero en jetant un coup d’œil furtif à Montague. Je dois te parler, seul. Et ailleurs, de préférence. »

Quentin l’amena dans son bureau situé quelques couloirs plus loin. Une fois seuls, il se retourna et attendit.

« J’ai fait des recherches », commença Nero après une grande inspiration.

Quentin garda le silence.

« Des recherches pour te prouver que nous courons un grand danger, spécifia Nero. As-tu déjà entendu parler de Gaïamenne ?

– Non. Mais ce patronyme m’évoque quelque chose. Et je tiens à préciser que cette Arche ne court pas un grand danger, comme tu sembles le craindre.

– Gaïamenne fut l’une des premières sociologues de l’espace, poursuivit Nero, l’ignorant. Elle étudia les comportements des hommes confrontés à la Nuit et à la séparation avec le Soleil. C’est elle qui a élaboré la théorie oubliée de la cosmofolie. Ça te dit quelque chose ?

– Non, soupira Quentin. Non, ça ne me dit rien du tout. »

Nero lui résuma ses recherches, qui était Gaïamenne, que cherchait-elle, que désirait-elle. Il raconta ses expériences, les horreurs qu’elle observa, et expliqua que c’était là la preuve que la cosmofolie existait bel et bien.

« Nero, ce sont des putains de légendes ! Ne me dis pas que tu crois aux légendes, maintenant !

– Celle-là n’en est pas une », assura Nero.

Il ne l’avait jamais connu aussi déterminé qu’en cet instant.

« Il y a des preuves, insista-t-il. Des images, des vidéos, des enregistrements. J’ai tout revérifié plusieurs fois. Tout colle parfaitement.

– Bravo, ironisa Quentin. Tu viens de tomber dans le piège à cons des complotistes. Ils te servent leurs fadasseries habituelles sur un joli plateau tout fait d’argent, avec leurs petites preuves minables, et toi, monsieur le planétologue soi-disant rusé, tu l’acceptes en pensant détenir l’info du siècle. Tu me déçois. »

Nero sembla hésiter, à présent. Pourtant, il ne démordit pas :

« Je te dis que ce ne sont pas des théories complotistes ! Les preuves se trouvent dans les archives même de Mars !

– Quelles preuves ? Un nom dans une liste ? Quelques vidéos trafiquées ? Des faux témoignages ? Ah elles sont belles tes preuves ! »

Il éclata d’un rire exagéré.

« Même la plus insignifiante des preuves peut constituer le début d’une grande révélation, dit Nero en le fusillant du regard. Il se passe des choses ici, tu ne peux pas le nier. D’abord cette folle qui se trucide devant tout le monde, puis le pilote qui emmène un homme avec lui à la mort, sans raison apparente, ensuite ces espèces de malades mentaux qui parlent tout seul et qui veulent manger de la terre, et maintenant, un pendu dans un placard ! Et toi, tu fermes les yeux et tu fais comme si tout était parfaitement normal ! Je ne te reconnais même plus. Où est passé le Quentin courageux et déterminé, prêt à tout pour protéger ses équipiers ? »

Quentin s’assit sur le lit de la cabine du mort et fixa ses mains.

« Je pense que je suis mieux placé que toi pour savoir ce qu’il se passe réellement dans ce vaisseau. Maintenant, cesse de m’importuner avec des bêtises de ce genre et rend-toi utile en faisant ton travail de planétologue. Si je désirais un enquêteur, tu serais le dernier à qui je m’adresserais. »

Furieux, Nero se leva et le pointa du doigt.

« Si tu crois que je vais me taire, si tu crois que je vais cacher cette histoire, tu te trompes ! Je suis désolé de te le dire, mais cette mission est vouée à l’échec ! »

Il sortit en claquant la porte. Quentin demeura quelques secondes assis, le regard vide et les pensées perdues à des années-lumière, chez lui, sur Mars, avec sa femme et leur futur enfant.

Il retrouva son lieutenant devant la porte de la morgue dans lequel le corps venait d’être déposé.

« Montague, murmura-t-il. Est-ce que je peux compter sur toi ? »

Montague se redressa imperceptiblement.

« Oui capitaine. Vous pouvez compter sur moi.

– Bien, souffla-t-il en marquant une pause. Je veux que tu ailles chercher Nero Valdor avec deux de tes hommes. Vous l’emmènerez en chambre d’hibernation. S’il refuse, n’hésitez pas à employer la force. Il va faire un petit somme de quelques mois… »

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