Für - Yvan Vogel

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Il se promenait sur le terrain, la balle valsant entre ses mains, menant cette danse solitaire. Il avait toujours aimé le sport, utilisant cette accroche comme défouloir. Je le regardais sagement à travers la grille, maquillant mon intérêt par un livre et un casque audio qui enflammait mes oreilles. Il suait, profitant pleinement de ce moment de répit pour reprendre son souffle. Ses doigts visaient avec perfection le panier, comme si ça ne lui demandait aucun effort. Je glissais ma main sur le papier noirci de mon roman pour tourner la page que je n'avais pas lu. Il ne me voyait pas. Il était dans son monde. Il était seul. La balle rebondissait sur le sol, l'hypnotisant pendant quelques instants. Il avança pour la récupérer mais ses pas se faisaient lourd, il avait fini par s'arrêter, les bras relâchés le long de son corps et les yeux rivés sur la balle. Mais c'est comme s'il fixait le vide, il n'y avait plus rien dans ses pensées, juste des larmes qui voulaient sortir mais qu'il s'interdisait de montrer.

Se dépenser quand quelque chose n'allait pas était une habitude, mais ce jour était une exception. J'en étais confuse, parce qu'il n'avait jamais laissé entrevoir cette part de sensibilité, bien que cela fasse des années que je m'efforçais de la trouver. Puis comme une délivrance, toutes les larmes qu'il retenait prisonnières s'étaient échappées. J'admirais les grosses perles salées qui dévalaient sur ses joues rougies par l'effort, le battement de mon cœur se faisant de plus en plus fort. Il se laissa tomber sur ses genoux, sa main serrant le tissu de son tee-shirt trempé qui collait à son corps musclé. Ses pleurs, je les entendais même à travers le son élevé de ma musique, alors j'avais enlevé lentement mon casque pour réaliser pleinement la situation. Il était là, devant mes yeux, avachi sur lui-même et souffrant le martyre.

J'avais imaginé ce moment tellement de fois dans ma tête, il me suffisait de faire une vingtaine de pas et de le prendre dans mes bras, il me suffisait de lui dire que j'étais là s’il avait besoin. Mais je m'étais levé, et j'avais reculé, honteuse d'avoir été témoin de sa faiblesse si précieuse.

La vérité c'est que depuis qu'il avait posé ses yeux sur cette femme, rien n'avait été pareil. Comme des vestiges de baraques enfouies, des souvenirs refaisaient surface dans son esprit. Je ne savais pas de quoi il pouvait s'agir, mais son regard disait qu'il avait trop vécu. Trop vécu pour un adolescent de dix-huit ans, que c'était étrange. Mais je pense que c'est ça qui me retenait à lui. Il avait six cents ans dans un corps d'adolescent. L'histoire semblait sortir de ses orbites, comme si on pouvait lire la Terre dans ses yeux bruns. Je m'enrichissais à ses côtés, et il m'était désormais impossible de ne pas l'observer en classe. Je connaissais tout ses mimiques, son nez qu'il retroussait quand le stylo velleda couinait sur le tableau, la façon qu'il avait de frictionner son visage pour essayer d'être plus attentif, sa jambe qu'il tapait contre le sol témoignant de son hyperactivité qu'il n'arrivait plus à canaliser, son stylo bic qu'il avait pour habitude de faire valser sur son pouce. J'étais consciente de mon obsession, mais je ne pouvais faire autrement. Ce qu'il dégageait m'impressionnait. Me réconfortait.

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