Dôna - Emma Zakharova
Elle passait son temps recroquevillée dans les rayons de la bibliothèque avec un livre différent dans les mains, ces yeux étaient rouges d'avoir trop pleuré pour des fictions aux romances impossibles. Peut-être en avait-elle souffert aussi, mais à quoi cela servirait-il de replonger encore et encore dans des souvenirs douloureux ?
Elle avait tout de suite attiré mon attention, ses yeux clairs translucides transperçant mes poumons telle une lance, ses cheveux aussi fluides qu'un ruisseau attachés en un simple chignon bas, sa nuque ravissante laissant quelques mèches couler dans son dos. J'étais subjugué par sa grâce et sa beauté, elle était délicate dans sa démarche et encore plus quand elle tournait les pages, glissant son doigt sur la reliure prenant le risque de se couper. Je venais à la bibliothèque pour travailler, mais elle était devenue l'objet de mon étude. Ça lui arrivait de fermer les yeux et de poser l'arrière de son crâne sur des encyclopédies, respirant profondément pour s'imprégner de son environnement, dans ces moments-là, un sourire divin venait éclairer son visage.
Je voulais aller lui parler et lui dire à quel point elle me faisait vibrer, à quel point mes sentiments à son égard étaient puissants. Mais à chaque fois, je me ravisais, pas par lâcheté, mais parce qu'il y avait quelque chose dans son regard qui me disait que son cœur était déjà pris. Une personne peut-être d’une douceur égale, je l'espérais, en quoi je n'aurais pu passer à autre chose. Ce sourire angélique lui appartenait, j'en étais sûr. Elle avait dû glisser ses mains dans son cou, poser sa tête sur ses épaules, et il avait dû embrasser ses paupières, engouffrer son nez dans ses cheveux pour sentir leur parfum.
La documentaliste était venue la voir en la remerciant d'être aussi régulière, mais que si elle voulait continuer de lire il fallait qu'elle se mette sur un siège pour ne pas déranger les autres lecteurs qui passeraient par là. Alors en disant qu'elle comprenait, les yeux bouffies, elle se leva doucement pour se diriger vers une table. Son visage se rapprochait, elle avait choisi ma table. Parmi toutes les tables de la bibliothèque. Pendant quelques instants, mes yeux s'étaient figé sur les mots en lettres noirs qui remplissaient mon papier, incapable d'en comprendre les sens et incapable de lever la tête pour apercevoir mon ange. Elle était à deux chaises de moi seulement et je sentais déjà son doux parfum qui venait titiller mes narines, alors j’osai un regard. Je ne l’avais jamais vu d’aussi près et je commençais à me rendre compte de certains détails qui m'avaient échappé. Comme les quelques taches de rousseur qui parsemaient son nez et ses pommettes, ces cils plus courts que j’avais imaginés et une boucle rebelle qui faisait sa place sous son oreille. J’avais aussi vite compris que je ne connaissais même pas son prénom, ni son âge, et qu’elle n'était jamais accompagnée. Je ne connaissais donc rien d’elle. Des impressions que m’inspirait son regard, des images que m'inspiraient ses manières, mais j’avais imaginé son passé et son présent, ses goûts et son caractère. Qui sait ? Je m’étais peut-être trompé.
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