Bôria - Pao Besson
Elle était toujours blessée, avait des bleus partout sur les bras qu’elle ne prenait pas la peine de cacher. Elle avait les cheveux blonds coupés court, son regard était sans cesse fatigué, et les cernes sous ses yeux bruns en étaient la preuve. C’était comme si quelque chose la tourmentait toutes les nuits. C’était une femme forte d’apparence, elle m’impressionnait, mais j’osai parfois imaginer qu’elle était plus fragile que ce qu’elle voulait faire croire.
Ce jour-là, alors que j’avais envisagé la possibilité qu’elle s’était faite enrôler par un gang d'assassins, j’avais enfin compris la raison de ces blessures : elle faisait simplement de la boxe. J’avais rejoint le même club qu’elle parce que je voulais faire comme l’un de mes personnages préférés dans un film. J’étais entrée dans la salle puante, motivée jusqu’aux os. Il y avait deux hommes qui s'affrontaient sur le ring au milieu de la salle, sans arbitre. Puis je l’avais vu, elle, la seule fille après moi. L’après-midi était passé sans que j’aie pu lui adresser la moindre parole, et je n’avais de toute manière pas le courage. La salle se vidait peu à peu. Et vers vingt-deux heures, il ne restait plus qu’elle et moi. Elle martelait le sac de frappe avec rage et puissance, elle poussait des cris à chaque impact qui se faisait de plus en plus fort. Son essoufflement s’était transformé en secousses violentes, mêlant les larmes à la transpiration. Dans certains moments, j’avais l’impression qu’elle voulait faire couler le sang, et dans d'autres qu’elle voulait retourner en arrière. Elle était à la fois déterminée et désespérée. Ses exclamations s’étaient arrêtées en même temps que ses coups, s’écroulant au sol, la tête appuyée contre le sac. Elle pleurait silencieusement. J’assistais sans le vouloir à toutes les émotions qu’elles n’avaient pas pu sortir depuis longtemps, et peut-être même jamais. Mon corps tremblait et frissonnait d’embarras et sans que je puisse les retenir, les larmes dévalaient de mes joues. Mon poignet s’était plaqué sur ma bouche m’évitant d'émettre le moindre bruit, comme si mes pleurs étaient plus bruyants que les siens.
Elle respirait difficilement puis s’était relevée dans un élan de courage, mais elle ne fit rien pour autant, elle était restée courbée, les mains prenant appui sur ses cuisses. J’avais soudainement peur qu’elle me voit, elle n’avait qu’à se retourner légèrement pour distinguer ma présence. Alors sans réfléchir, je m’étais caché derrière le ring. J’avais attendu jusqu’à ce qu’elle sorte de la salle, m’en allant juste après elle. J’avais rendu les gants de boxe demi-doigts qu’on m’avait prêtés à l'accueil, la directrice m’avait fait tout un discours pour me voir rester, puisque ce n'était pas courant de voir des filles s’inscrire. Elle m’a encouragé à parler à cette autre fille, elle, qui était partie il y a peu. J’étais sorti complètement éreinté, aussi bien physiquement que mentalement. Elle m'attendait là, adossée au mur attenant. Je n’avais pas pu empêcher mon coeur de louper un battement quand ses yeux bruns avaient fixé les miens, je m’étais excusé, et elle m’avait demandé pourquoi. Oui pourquoi ? Je n’avais rien fait au final, ce n'était pas ma faute. Mais je ne pouvais que culpabiliser, et elle n’en prenait pas rigueur.
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