Elle voulait que j’oublie ce baiser mais j’en étais tout simplement incapable, je sais qu’elle était ivre mais ses lèvres m’avaient fait chavirer, et ses boucles rousses caressant mon visage… non, je ne pouvais pas oublier. J’avais fini par la gêner, alors que jamais elle n’avait omis d’objection sur ma présence auparavant. Elle s'intéressait d’ailleurs peu à moi, mais depuis cette soirée, elle n’avait jamais été aussi loin, et proche à la fois. Elle me fuyait comme la peste, oui, comme si j’avais compris quelque chose qu’elle s’efforçait de cacher. Mais non, je n'avais rien compris. Non, elle avait toujours été un mystère à mes yeux, et elle l’est encore. Cette femme m’épate et me perturbe tout autant. Elle était frivole, mais parfois très sérieuse, comme si son doux caractère n'était qu’une façade pour se faire aimer. Que lui était-elle arrivée ? Une si grande nostalgie l’entourait, on aurait dit un passé lointain, très lointain. Peut-être que la réincarnation existait vraiment, et qu’elle en était la preuve vivante. Si c’était le cas alors pourquoi suis-je né maintenant, et pas avant ? Est-ce que le dieu créateur m’en veut ? Daür, m’en veux-tu ? Et elle, la détestes-tu ?

J’aimerais vivre simplement, une petite maison avec trois enfants, roux comme leur mère. J’aimerais vivre dangereusement, avec elle, avec son amour me brûlant tout entier, en m'emportant dans un brasier. Ou peut-être est-ce le mien qui me consume, à petit feu, non, soudainement, c’est soudainement qu’elle m’a consumée, depuis le moment où j’ai senti son souffle se mélanger au mien. Pourtant je n’attendais rien de sa part, lors de cette soirée. Un verre de jus multivitaminé entre les mains j’étais parfaitement sobre, contrairement à elle, et j’avais arrêté de compter les verres qu’elle s’était fait couler dans le gosier. Elle sautait partout, engueulait tout le monde, m’avait pris par le col puis m’avait embrassée. Un acte banal comparé à sa folie. Mais ses yeux s'étaient embués de larmes et elle avait fui après avoir vu mon visage surpris et rougi. Elle avait fui après plusieurs secondes de cavale entre nos lèvres enchaînées. Peut-être qu’elle avait réalisé qu’elle m’aimait ? Ou qu’elle m’avait confondue avec quelqu’un d’autre ?

Mais que lui était-elle arrivée ? Son passé m'obsédait tellement, elle m’obsédait tellement. Oui, j’étais devenu fou, fou d’elle, alors que c’était moi qui la traitais de folle, sans vergogne. Je voulais tout savoir, je voulais la comprendre et partager ses secrets. Un soir après les cours, alors que j’étais resté dans ma pauvre chambre d’étudiant toute la journée à réfléchir, je pris la décision d'aller à sa rencontre pour le lui demander. Qui es-tu ? C’est tout ce que j’avais réussi à lui dire, une question si vaste qu’elle n’a pas pris la peine de répondre. Mais quel idiot. Elle est partie dans la nuit noire, je lui ai demandé si je pouvais l'accompagner, mais elle a refusé, parce qu’elle savait se débrouiller seule m’avait-elle dit. Elle était devenue froide, soudainement froide, mais j’étais toujours aussi brûlant. Peut-être que c’était le contraste qui nous avait tués, si du moins nous avions vécu.