Bôna - Elise Valentier
Elle grattait les cordes de sa guitare électrique frénétiquement, jouant un solo qu’elle avait sûrement inventé. La musique la berçait même quand elle était bruyante. Je l'observais depuis les petits hublots des portes battantes depuis le début de l’année, elle était seule dans cette salle de musique et je n’avais jamais osé y entrer pensant que ça pourrait la perturber. Et je n’avais pas envie qu’elle s’arrête de jouer. Pourtant je jouais d’un instrument, c’est ce qui m'avait emmené devant cette salle et fait découvrir cette fille, mais sa musique était si passionnante que je ne pouvais me mettre en travers.
La salle allait être condamnée, et transformée en une infirmerie plus grande et plus équipée que la première. Ils allaient vendre les instruments et elle allait perdre sa guitare, quant à moi, j'allais perdre la batterie que je n'avais jamais touchée, mais ses caisses et ses cymbales allaient me manquer. Je m'étais imaginé des centaines de fois frapper les caissons, accompagné par ses mélodies uniques. Je l'adorais, ou plutôt j'admirais son talent. Elle était connue pour être la fille la plus belle du lycée. Elle avait pourtant des manières assez banales, elle n’était pas coquette et ne se coiffait jamais, laissant ses cheveux noirs ébène flotter sur son dos. Mais pour moi, son talent surpassait en tout point la finesse de ses cils, la clarté de ses yeux et la longueur de ses jambes. Je connaissais ses qualités physiques par cœur à force de les entendre de la bouche de mes camarades, autant féminins que masculins. Mais aucun d’eux ne connaissait sa vraie valeur, et ça me contrariait autant que ça me soulageait. Je voulais la montrer au monde entier pour exalter ses valeurs, mais je voulais aussi la garder pour moi comme un précieux bijou, égoïstement. Tout était contradictoire, lui donnant un de ces airs mystérieux qui avait le don de briser des cœurs.
Le jour où tout s'était arrêté, où sa passion ne pouvait plus être canalisée. Elle était restée assise juste devant la porte dans le couloir, observant la salle d’un regard vide adossée à des casiers. Certains voulaient récupérer leurs affaires, agacé par son corps qui bloquait les cadenas, mais s’adoucissant presque immédiatement en voyant que c’était elle, trop impressionnés pour lui adresser le moindre mot. Alors je m’étais levé, avait traversé la pièce qui nous séparait, franchi la porte du couloir et marché jusqu’à elle. J’empêchai alors d’autres élèves d’accéder leurs casiers en m’asseyant à ses côtés. Mon cœur battait à toute allure, et mon esprit comprenait à peine pourquoi je m’étais dirigé vers elle. Brisant ainsi le quatrième mur qui nous séparait, comme si elle était l’actrice principale de la pièce où j’étais le spectateur.
Elle avait tourné la tête vers moi, je sentais son regard mais je n'osais pas tourner la tête à mon tour. Ma respiration s’était coupée court quand son souffle frôla ma nuque lorsqu'elle prononça quelques mots. Elle m’avait demandé d’un ton rhétorique si moi aussi je jouais. Je lui avais répondu que oui, puis elle m’avait demandé si c’était de la batterie. Comment avait-elle su ? Elle avait répondu mes paumes. Il n’y avait plus aucun doute, j’étais fou d’elle.
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