Chapitre 1.

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Sortie de sa douche, Marguerite prit méthodiquement ses habits qu’elle avait préparés la veille. Sa culotte Eres, qu’elle trouvait la plus confortable et ses chaussettes de chez Zimmerli attendaient sur le tabouret de sa chambre. Sa chemisette, achetée chez Emma Willis au printemps dernier, était pliée sur la chaise de la table manger. Sa jupe Max Mara, à l’élégance discrète, était étalée, sur le lit conjugal et enfin, sa veste Céline, minimaliste mais élégante, suspendue au cintre du dressing, complétaient cette organisation minutieuse. Ce qui pouvait sembler un joyeux désordre aux yeux de certains, était en réalité un système parfaitement calibré.

Tout était impeccable. Chaque pièce avait été repassée avec une précision méticuleuse, les plis révélant une symétrie presque artistique, évoquant un chef-d’oeuvre d’origami. Supatra, dite Patty, la gouvernante, y veillait. Arrivée il y a dix ans, à vingt-cinq ans, au service de la famille de Montclair, elle avait su répondre à la rigueur implacable exigée dans la maisonnée.

Marguerite avait opté pour une chemisette rose et noire, cherchant à marier autorité et accessibilité, tradition et modernité.

Habillée et ajustée, elle se dirigea vers le miroir de la salle de bain pour un dernier coup d'œil. Elle trouva qu’elle n’avait pas trop mauvaise mine, bien aidée par sa formidable Patty, pour une maman de trois enfants de dix à dix-huit ans, une cuisinière hors pair, une maîtresse de maison confirmée et une femme d’affaires presque accomplie.

Car c’était un grand jour.

Le grand jour de sa possible nouvelle nomination au poste de Directrice Global Partnership au sein de Frish & Mitch Assurance.

Face à cet enjeu crucial, elle savait qu’elle devait mettre tous les atouts de son coté. Elle se rajouta un peu de blush sur les joues, appuya sur le rouge à lèvres et ajusta son soutien-gorge pour accentuer le décolleté. Elle se regarda fixement dans le miroir, et se lança un message de motivation intérieur: « Vas-y, tu vas les bouffer ! ».

Soudain, elle sentit une pression sur le bas de sa jupe. Une petite main s’était accrochée à elle, tirant doucement.

- Maman.

Marguerite se retourna, irritée mais paradoxalement pleine de tendresse.

- Qu’est ce qu’il y a Emilie ? Maman est pressée là. Elle a un gros rende-vous. Elle doit partir dans quinze minutes maximum.

- Où sont mes habits ?

Marguerite se demanda, avec un soupir étouffé, pourquoi elle devait toujours gérer les affaires des autres alors qu’elle était déjà débordée. Surtout que Patty, en ce début octobre, était rentrée en Thaïlande pour ses congés payés. Elle appela alors :

- Victor, mon chéri, peux-tu t’en occuper, s’il te plait? Victor, Victor… Où est ton père encore?

- Je sais pas Maman, répondit Emilie, indifférente.

- Faut tout faire ici, maugréa Marguerite, un sentiment d’exaspération et de stress montant en elle.

Elle entra dans la chambre d’Emilie. Celle-ci ressemblait en tout point à une chambre d’une petite fille de dix ans. Du rose, des licornes en forme de peluche, des dessins épiques de combats héroïques sur les murs. Le sol était jonché de déguisements de princesses, de pirates, d’animaux car Emilie adorait, plus que tout, jouer à être quelqu’un d’autre. Marguerite s’inquiétait parfois du jeu schizophrénique de sa fille, mais la psychologue l’avait rassurée, affirmant que c’était parfaitement normal pour une fille de son âge.

Marguerite ouvrit un tiroir de la commode rose et saisit les habits rose adéquats pour une journée à l’école. C’est à dire un pantalon, un t-shirt, des chaussettes et un slip.

- Tu mets ça aujourd’hui, ordonna-t-elle à Emilie.

- Merci Maman, répondit sa fille avec le sourire d’enfant qui n’avait pas encore compris l’urgence de la situation.

- Victor?

Elle croisa Mathis affalé dans le canapé. Comme tout adolescent de quinze ans, en faire le moins possible était devenu sa devise et un art. Ses jambes étendues prenaient une place démesurée dans cet espace. Une image d’une publicité pour un canapé, où un ado se transformant en phoque atterrissant sur le sofa, s’incrusta dans l’imaginaire de Marguerite. Durant trois secondes, elle esquissa un sourire, fugitif, évanescent.

En remontant les escaliers, où chaque pas résonnait comme un compte à rebours dans sa tête, elle croisa Camille qui papotait sur son iPhone Pro dernier cri, assise sur la marche du premier étage. Elle venait de fêter ses dix huit ans et rayonnait de cette nouvelle indépendance qu’elle pensait définitivement acquise. Mais elle semblait oublié une chose, encore inconsciente pour elle: sa dépendance économique à ses parents. Ce qui permettait à Marguerite de garder un pouvoir subtil mais réel sur sa fille.

- Est-ce que tu as vu ton père, s’il te plait.

- Oui, il est au grenier, répondit elle, ne bougeant ni sa tête, ni son corps pour laisser passer sa mère.

- Mais qu’est ce qu’il fout au grenier à cette heure là?

- Je ne sais pas, répondit Camille en haussant les épaules, totalement désintéressée.

Marguerite soupira et continua son chemin vers le grenier.

Ils avaient acheté cette maison à Neuilly il y a vingt ans, grâce au soutien du père de Marguerite, Jean Paul Dubois, qui avait fait fortune dans le commerce du thé. C’est après des études de botanique qu’il découvrit le monde fascinant de ce breuvage lors d’un séminaire sur les plantes médicinales. Suite à cet événement, il se mit à fréquenter des salons de thé parisiens, où il rencontra des importateurs et des connaisseurs pour partager sa passion. Après différents voyages en Asie et de retour en France, il ouvrit sa première boutique qu’il nomma La Maison Dubois. Il commença par importer des feuilles rares et de haute qualité, qu’il proposait à une clientèle parisienne aisée. Le bouche-à-oreille fit son affaire, qui se développa rapidement avec de nouvelles ouvertures de boutiques à Paris, en France, mais également à l’étranger. Après avoir travaillé sans relâche pendant quarante ans, il revendit sa maison au groupe japonais Kogane No Chayatsu, La Maison Dorée du Thé, et perçut lors de cette vente près de quarante millions d’euros. Marguerite était fille unique et elle en serait la riche héritière.

La maison se trouvait Boulevard du Général Koenig, entre la rue du Bois de Boulogne et la rue Frédéric Passy. Elle se dressait majestueusement avec une architecture parisienne du XXe siècle. Sa façade de pierre de taille était richement ornée de détails sculptés.

Le rez-de-chaussée, légèrement surélevé, présentait trois grandes arches qui abritaient de robustes portes en bois sombre. Ces portes ouvraient sur un hall d’entrée et sur le salon. À l’arrière de la maison, côté jardin, se trouvaient la salle à manger, une cuisine américaine et une porte adjacente donnait sur la chambre d’Émilie.

Au centre de la façade, un imposant balcon semi-circulaire dominait le premier étage, qui comportait les chambres de Mathis et Camille, ainsi qu’une pièce dédiée uniquement aux enfants, ajoutant une touche théâtrale à la façade. Les fenêtres qui y donnaient accès étaient surmontées d’arcs élégants, ajoutant une impression de grandeur.

Le deuxième étage, qui comportait uniquement la suite parentale, était marqué par une série de fenêtres plus petites mais tout aussi gracieuses, chacune surmontée d’un fronton décoratif. Une lucarne centrale, avec son propre petit balcon en fer forgé, offrait une vue imprenable sur la rue en contrebas et la Seine.

C’était une demeure qui imposait le respect et témoignait d’un passé glorieux de Paris.

Le grenier sous les combles avait été aménagé en bureau et en salon indépendant pour les parents. Les enfants avaient l’interdiction d’en prendre possession, alimentant tous les fantasmes..

Marguerite ouvrit la porte et aperçut son mari assis au bureau, pianotant sur son MacBook Air.

- Mais qu’est-ce que tu fais, Victor ? Il est huit heures ! J’ai mon entretien pour ma promotion. Je n’ai pas le temps de m’occuper des enfants ce matin, pesta Marguerite.

- Désolé, j’avais une urgence pour le bureau, répondit-il en refermant son PC avec une hâte presque coupable. Vas-y, file. Je m’occupe des gosses.

Il se leva d’un coup, se dirigea vers l’encadrure de la porte où se trouvait Marguerite, lui fit un baiser sur la bouche et descendit précipitamment les marches.

Marguerite, intriguée par l’empressement avec lequel Victor avait refermé son PC, se dirigea vers l’appareil pour y jeter un coup d’œil. Elle souleva l’écran, mais il s’était déjà mis en mode veille, affichant son écran d’accueil et son mot de passe, qu’elle ne connaissait pas. Elle le referma aussitôt avec frustration, puis sortit du grenier, un questionnement sourd s’insinuant en elle.

Marguerite redescendit les escaliers. Elle effleura les cheveux de Camille, qui n’avait pas bougé d’un centimètre, et lui lança d’un ton neutre :

- Camille, j’y vais.

- Ok, Mam’s.

Dans le salon, Mathis, toujours vautré dans le canapé, ne réagit pas davantage.

- Mathis, j’y vais.

- Ok.

Elle termina par la chambre d’Émilie, où son mari l’aidait à enfiler ses chaussettes roses.

- Allez, j’y vais. Bonne journée à vous, mes amours ! dit-elle en glissant sa tête dans l’entrebâillement de la porte.

- Maman, hurla Émilie en courant vers sa mère avec juste une chaussette enfilée au pied, pour l’entourer de ses petits bras au maximum de ses capacités. Bon courage, t’es la meilleure.

La seule reconnaissance venait de sa plus petite fille.

Victor se leva et lui donna un baiser en lui disant :

- Bon courage pour ton entretien, ma chérie.

Marguerite se détacha des étreintes de sa fille. Elle saisit son trenchcoat Mackintosh couleur sable et sa mallette de bureau beige, confectionnée sur mesure chez Smythson. Armée, elle se dirigea vers le garage, ouvrit la portière de sa Mini John Cooper Works Clubman All4, le véhicule qu’elle réservait exclusivement à Paris.

Le siège de Frish & Mitch Assurance se trouvait dans le nord de Paris, à quelques encablures du Stade de France, à proximité du canal Saint-Denis.

Cette compagnie d’assurance d’origine américaine avait connu une ascension fulgurante depuis sa création en 1985 par deux avocats brillants, William Fritch et Jonathan Mitch. Leur vision était limpide : offrir des services d’assurance à la fois innovants et transparents dans un secteur souvent critiqué pour sa complexité et son manque d'éthique.

Cette approche avait attiré Marguerite, fraîchement diplômée de l’Université de Dauphine avec un Master en Affaires Internationales. À 22 ans, elle avait postulé comme stagiaire, déterminée à se faire une place dans cette entreprise en pleine expansion européenne. Sa passion pour les affaires, alliée à une intelligence aiguë et une curiosité insatiable, lui avaient rapidement permis de se faire remarquer. Après son stage, elle fut embauchée comme analyste junior dans le département des partenariats. Son mentor, James Reynolds, Directeur des Partenariats Nationaux, lui confia de plus en plus de responsabilités.

Marguerite réussit à négocier plusieurs partenariats stratégiques en France, ce qui fit grimper le portefeuille de clients de Frish & Mitch Assurance. En reconnaissance de ses efforts, elle fut promue Responsable des Partenariats Nationaux en 2010. Puis, en 2015, elle obtint une nouvelle promotion en devenant Responsable des Partenariats Internationaux sous la direction de Mathias Van Clerc. Dans ce rôle, elle supervisa une équipe de vingt personnes et mena des négociations cruciales avec des multinationales, consolidant ainsi la position de l'entreprise sur le marché européen.

Cependant, l’arrivée du COVID, couplée à la découverte de pratiques douteuses, déstabilisa l’activité de Frish & Mitch Assurance. Des employés furent licenciés, bloquant tout mouvement de mobilité au sein de l’entreprise. L'entreprise déploya des efforts considérables pour étouffer les rumeurs, employant des équipes de relations publiques et des avocats puissants pour préserver son image. Mathias Van Clerc fut remplacé en 2021 par Loïk Brazt, sous la supervision du directeur de zone Europe, Pierre Lebourant.

Et aujourd’hui, Loïk Brazt partait.

Pour Marguerite, après près de dix ans à son poste, c'était une opportunité en or de redynamiser sa carrière et de rendre fier son père. Il avait toujours insisté sur l’importance du travail acharné et des succès auprès de sa fille. C’était également une condition de son héritage, qu’il considère que Marguerite démontre son autonomie et son indépendance financière.

L’enjeu était majeur.

Cet entretien venait finaliser six mois de candidatures et de tests en tout genre, un chemin semé d’embûches qui était sur le point de se conclure.

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