Épais
Je m'étais éloigné du sentier pour trouver un endroit plat où planter ma tente. Il faisait encore jour, et puis avec toutes ces feuilles par terre, il ne restait plus grand chose pour cacher la lumière du soleil au dessus.
J'enfonçais sans vergogne mes pieds dans l'épais tapis de feuilles mortes quand je me suis soudain retrouvé par terre, sans explication. J'avais buté sur un truc. Une souche, une grosse racine j'imagine. Sauf qu'une racine ça ne dit pas "Merde alors tu peux pas faire attention ??".
Avec le nez par terre, je voyais pas grand chose, alors j'ai roulé sur le dos et j'ai vu - à demi enfouie sous les feuilles - une curieuse dame un peu rondelette, au yeux tout ridés comme une pomme. Avec ses petits bras, elle essayait tant bien que mal de remettre des feuilles sur son ventre nu.
Je lui ai demandé: "Mais vous êtes qui madame."
"Occupes-toi de tes affaires mon gars." qu'elle a répondu, avant de se reprendre "Ou plutôt non ! Tu vas réparer ce que t'as cassé. Va me chercher des chataîgnes et des glands."
Je suis resté à la regarder se débattre dans son tas de feuilles, un peu abasourdi. Voyant que je ne partais pas, elle s'est arrêtée pour m'observer. Avec un regard appuyé elle ajouta: "S'il-te-plaît."
Quelques minutes plus tard je revenais avec des chataîgnes et des glands.
Elle s'était mise debout, et portait maintenant une étrange cape de mousse et d'écorce dont s'échappaient quelques petits champignons. Elle semblait fouiller autour d'elle avec son bâton. Elle se retourna "Ah te voilà. Suis-moi." puis s'éloigna entre les arbres.
La forêt était très belle à cet endroit. Le soleil qui commençait à décliner lançait des reflets jaunes, presque dorés, qui se mêlaient au brun et au doux beige du bois. Ca sentait bon. Tout d'un coup je me sentais l'envie de faire comme cette folle, et me rouler dans un lit de feuilles mortes pour y dormir.
"Tu sais ce qu'elle te dit la folle ?" répliqua-t-elle sans se retourner, et alors que je n'avais rien dit. Hmm. Bien étrange femme.
Elle s'arrêta devant un petit rocher qui lui arrivait à la taille.
Elle tâta rapidement le sol de son bâton. "Bien. Oui... ce sera bien." Elle se dévêtit de sa cape et s'allongea de nouveau dans les feuilles en se recouvrant soigneusement. "Ne reste pas là gros nigaud, aide-moi !" Je restais là, bouche bée, les bras chargés de chataîgnes. "Répands les chataîgnes !" fit-elle encore "Allez zou ! et les glands avec ça." et je m'éxécutais sans trop réfléchir.
Ce petit manège ne dura pas longtemps, et la folle semblait avoir trouvé une position plus ou moins confortable. "Je ne suis pas folle" dit-elle encore sans que je n'ai ouvert la bouche. Elle jeta un dernier regard en direction de son ventre, puis reposa sa tête d'un air satisfait. Elle poussa un gros soupir, comme avant une grosse sieste.
"-Bon, euh, je vais m'en aller madame."
-Oui c'est ça, merci.
-Au revoir hein.
-Au revoir au revoir..."
Non loin de là j'ai posé mes affaires et monté ma tente. Je me suis endormi et, le lendemain à mon réveil, il neigeait.
C'était l'hiver.
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