Chapitre 3
Lyra
Je me perds dans mes pensées, mes yeux fixés sur le carnet de dessin qui repose dans mes mains. Mes doigts bougent presque d’eux-mêmes, traçant des lignes familières. Une forêt prend vie, encore et encore. Cette forêt, ma forêt, celle de mes rêves. Je m’arrête un instant, mes yeux fixant les traits sombres qui s’entrelacent sur le papier. La densité des arbres, la brume qui s’accroche au sol, ce silence oppressant. Tout est là. Comme si mes mains savaient avant moi.
Mon cœur se serre. Cette forêt, je ne l’ai jamais vue ailleurs que dans mes rêves. Pourtant… ici, dans cette ville, il y a quelque chose. Une sensation diffuse qui me la rappelle. L’air est dense, chargé, comme celui de la forêt. Un frisson me parcourt, et je referme le carnet brusquement. Je reprends ma marche, mais l’écho de cette image reste en moi, pesant, obsédant.
Puis un choc.
Une chaleur brusque, un impact qui me coupe le souffle. Mon carnet m’échappe des mains, et je vacille en arrière, mes pieds peinant à retrouver leur équilibre.
“Désolée, je ne vous ai pas vue,” dis-je immédiatement, ma voix tremblante, presque étouffée par la surprise. Quand je relève les yeux, le temps semble s’arrêter.
Son regard.
Noir comme une nuit sans étoiles, mais brillant d’une intensité qui me cloue sur place. Il me fixe avec une profondeur presque insupportable, comme s’il pouvait sonder chaque recoin de mon âme. Quelque chose dans ces yeux réveille une sensation enfouie en moi : une reconnaissance troublante et un sentiment de danger. Je recule légèrement, ma respiration s’accélérant. Une force invisible émane de lui, envahit l’espace, m’enveloppe. Une chaleur brûlante monte dans ma poitrine, mêlée à une vague de frissons glacés.
Il est grand. Imposant. Ses épaules larges sont parfaitement mises en valeur par une veste en cuir cognac qui semble faite pour lui. Son t-shirt noir épouse une musculature marquée, sans excès, comme celle d’un homme habitué à contrôler son corps et son environnement. Un jean skinny et des boots en cuir complètent son allure, mais c’est sa posture qui retient tout. Une assurance naturelle, presque écrasante, rayonne de lui. Chaque détail semble calculé, sans l’être vraiment. Une barbe soigneusement négligée accentue des traits ciselés, et une mèche brune tombe légèrement sur son front, adoucissant une expression autrement dure et autoritaire. Mais c’est son aura, ce quelque chose d’indéfinissable, qui fait taire le reste du monde.
Je le dévisage, incapable de détourner les yeux.
Il ouvre la bouche, et sa voix grave, chaude mais teintée d’une autorité brute, résonne.
“Tu es nouvelle ici, n’est-ce pas ?”
Les mots, simples, me frappent comme une détonation. Je cligne des yeux, confuse, mon cœur battant si fort qu’il résonne dans mes oreilles. Chaque fibre de mon être semble suspendue à ce moment, à lui.
Je hoche la tête, incapable de parler.
“Je suis Daemon.”
Son nom, prononcé avec une simplicité presque indifférente, porte un poids que je ne comprends pas. Il tend la main. Ses doigts, longs et puissants, attendent. Mais ce sont ses yeux, toujours accrochés aux miens, qui me poussent à réagir. Ils sondent, fouillent, m’interpellent d’une manière que je ne peux expliquer.
Je tends ma main sans réfléchir. Quand nos doigts se touchent, une décharge traverse mon corps, me laissant tremblante. Un frisson glacé se mêle à une chaleur enivrante qui s’installe dans mes veines. Je recule instinctivement, mais son emprise est légère. Il relâche ma main, et pourtant, la sensation persiste, comme si un courant invisible nous liait encore.
“Lyra,” murmuré-je enfin, ma voix faible, presque inaudible.
Un sourire étire légèrement ses lèvres, dévoilant des dents parfaitement alignées, un éclat carnassier qui me fait frissonner.
“Bienvenue,” dit-il simplement, sa voix vibrante d’une chaleur inattendue. Il s’éloigne d’un pas lent, mais chaque mouvement semble calculé, précis, empreint d’une maîtrise totale. Pourtant, son regard ne me quitte pas. Même lorsqu’il disparaît derrière les portes de Lykos Industries, je ressens encore sa présence.
Je reste figée, immobile, comme si le monde avait perdu toute consistance. Ma main tremble légèrement lorsque je ramasse mon carnet. Mon souffle est court, et un mélange de sensations contradictoires m’envahit. Attirance. Répulsion. Curiosité. Peur.
Pourquoi son visage me semble-t-il si familier ? Pourquoi cette chaleur étouffante persiste-t-elle dans mon corps, comme si quelque chose en moi répondait à son appel ?
Et pourquoi ai-je l’impression qu’il a emporté une partie de moi sans que je m’en rende compte ?
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