Lyra

La pleine lune importe peu désormais. Depuis une semaine, mes nuits sont hantées par des rêves de plus en plus intenses. La forêt. La brume. Le loup.

Chaque détail semble plus réel, plus vibrant. Je cours, pieds nus sur un sol humide, le souffle court. Parfois, je sens le loup près de moi, sa respiration lourde et régulière s’accordant à la mienne. D’autres fois, je le vois à travers ses yeux : une force brute et inébranlable, puissante et implacable. Mais ce qui me trouble le plus, c’est cette sensation de proximité, presque de fusion. Une part de moi le reconnaît, le revendique, comme s’il avait toujours été là, tapi dans un coin de mon être. Pourquoi ? Est-il une part de moi ? Une métaphore ? Un appel ? Je me réveille souvent en sursaut, le cœur battant, le souffle court, cette sensation brûlant encore dans ma poitrine.

Mes rêves ont toujours eu un immense impact sur ma vie, des éclats de vérité que je ne pouvais ignorer. Ils m’ont guidée, avertie, parfois même sauvée. Mais ceux-ci… Ceux-ci sont différents. Je ne parviens pas à les comprendre, à les déchiffrer. Pourtant, une chose est certaine : je sens que je me rapproche de quelque chose. Je finis par me lever, chamboulée mais déterminée.

Ce matin, en arrivant à l’université, une affiche attire mon attention :
"Conférence exceptionnelle de Daemon Lykos sur les avancées en thérapie génétique."

Un frisson me parcourt. Je ne savais pas qu’il intervenait aujourd’hui. Cette conférence semble avoir été organisée à la dernière minute. Pourquoi ? Une impulsion irrépressible me pousse à y assister. J’ai du mal à me l’avouer, mais je ressens un besoin viscéral de le voir, de plonger à nouveau dans ses yeux. Ces yeux qui me hantent, ces yeux que je ne comprends toujours pas.

J’arrive juste avant le début. Il ne reste que des places au fond de l’amphithéâtre. Je m’assieds, espérant passer inaperçue. Cela semble raté. Daemon entre, et une tension silencieuse s’installe immédiatement. Il ne fait rien pour attirer l’attention, mais il n’a pas besoin de le faire. Tout en lui commande respect et fascination.

Sa tenue est sobre mais impeccable : une veste sombre parfaitement structurée qui souligne ses larges épaules, une chemise noire ajustée qui semble avoir été taillée pour lui, et un pantalon sombre qui épouse chacun de ses mouvements. Ses cheveux courts, coiffés juste assez pour ne pas paraître négligés, encadrent des traits ciselés, et une légère barbe accentue sa mâchoire carrée. Un mélange dangereux de contrôle et de sauvagerie contenue.

Je ne peux m’empêcher de le trouver séduisant. Et, à en juger par les gloussements que j’entends à ma droite, je ne suis pas la seule à le penser.

Il commence à parler. Sa voix grave, maîtrisée, résonne avec une autorité naturelle, presque hypnotique. Il expose des concepts complexes avec une aisance qui impose le respect. Mais sous cette façade calme, je perçois une tension. Une force contenue, prête à éclater. Soudain, ma vision vacille. Les lumières semblent se flouter, et les bruits autour de moi deviennent lointains. Une chaleur monte en moi, intense et enivrante. Mes doigts tremblent. Instinctivement, je saisis mon carnet de dessin.

Mes mains bougent d’elles-mêmes, traçant des lignes fluides et précises. Une forêt dense, sombre. Un loup immense, puissant. Ses yeux noirs, brûlants, me fixent, transperçant mon âme. Je ne contrôle rien. C’est comme si une autre force agissait à travers moi. Quand je reviens à moi, le dessin est terminé. Il me fixe depuis la page avec une intensité écrasante. Je relève les yeux, encore sous le choc.

Et c’est là que je croise son regard.

Daemon s’est interrompu en pleine phrase. Le silence s’abat sur l’amphithéâtre, si lourd qu’il devient presque oppressant. Les murmures s’élèvent timidement, mais je ne les entends pas. Tout ce que je vois, c’est lui. Son regard brûlant, inébranlable, est fixé sur moi.

Je ne peux détourner les yeux de lui, scrutant chaque infime changement dans ses traits comme si j’espérais y lire des réponses. Mais son visage reste fermé, énigmatique. Il descend de l’estrade d’un pas rapide, mais chaque mouvement est mesuré, chargé d’une intensité qui semble sur le point d’exploser. Les étudiants s’écartent sur son passage, effacés par sa seule présence. Arrivé à ma hauteur, il tend la main.

"Puis-je voir ?" demande-t-il d’une voix basse, mais impérieuse.

Je veux refuser, mais mes doigts bougent d’eux-mêmes. Il prend le carnet. Ses yeux parcourent le dessin, et une ombre traverse son visage. Sa mâchoire se serre, ses traits se durcissent. Une colère froide émane de lui. Sans un mot, il referme le carnet et me le rend. Puis, brusquement, il tourne les talons et quitte la salle.

Je reste figée, incapable de bouger. Que s’est-il passé ? Pourquoi cette réaction ? Ce dessin… Je l’ai déjà vu. Dans mes rêves. Mais jamais avec cette clarté terrifiante.

Une vague de murmures s’élève autour de moi, mais je les ignore. Je rassemble mon courage, me lève et quitte la salle.

Dehors, l’air frais me frappe, mais ne calme en rien le tourbillon de mes pensées. Une colère sourde monte en moi, mêlée à une frustration que je ne comprends pas. Pourquoi m’obsède-t-il autant ? Pourquoi son absence de mots me consume-t-elle plus que ses regards ?

Alors que je traverse les rues menant à Lykos, chaque pas est une affirmation de ma détermination. L’air est chargé d’une tension électrique, comme si la ville elle-même attendait quelque chose.

Daemon, la forêt, le loup. Tout semble lié, d’une manière que je ne peux pas encore saisir. Mais une chose est sûre : je ne vais pas m’arrêter. Je dois comprendre.

Je retourne à Lykos Industries avec une volonté renouvelée. Cette fois, je veux des réponses.