Daemon

"De l’aconit, à très faible dose, Daemon. C’est ce que les analyses révèlent."
Les mots de Selene tombent comme une lame. "Une dose suffisante pour endormir sa louve et masquer son odeur sans la tuer."

Mon sang bout. Une rage sourde monte en moi, incontrôlable. Artémis gronde dans mon esprit, un rugissement brut et viscéral qui fait écho à ma propre colère.
"Elle tue ma Luna !"

Je serre les poings, mes ongles mordant ma paume. Comment ai-je pu ne pas sentir cela plus tôt ? Comment ce poison insidieux a-t-il pu échapper à mes instincts ?

"Est-ce qu’elle sait ?" craché-je entre mes dents. "Est-ce qu’elle est consciente de ce qu’elle prend ? Ou est-elle une victime, manipulée ?"

Selene m’observe avec prudence. Elle est un pilier dans ces moments, mais ses yeux noisette brillent d’une compassion que je ne peux supporter.
"Nous devons en savoir plus," dit-elle, sa voix calme mais ferme. "Je ne crois pas que Lyra sache ce qu’elle prend. D’après ce que j’ai vu et entendu, elle semble réellement ignorer sa propre nature. Si sa mère est derrière tout cela, il y a peut-être une raison. Peut-être voulait-elle la protéger."

"Protéger ?" rugis-je, incapable de retenir ma colère. "La priver de sa nature, c’est tout sauf une protection."

Artémis hurle à son tour, sa rage s’alignant sur la mienne.
"Nous n’avons pas besoin d’attendre ! Va la chercher. Fais-la revivre. Fais-la se souvenir !"

Je ferme les yeux, tentant de calmer la tempête qui gronde en moi. Mais même en tant qu’Alpha, garder le contrôle devient une épreuve.
"Selene, continue d’enquêter. Trouve tout ce que tu peux sur ces vitamines, sur sa mère, sur ce qu’elles cachent. Je veux des réponses. Maintenant."

Selene hoche la tête. Je perçois son propre doute dans son aura, mais elle ne dit rien. Elle sait que la moindre erreur pourrait tout faire basculer.

Je respire profondément, cherchant une échappatoire à cette rage sourde qui me ronge. Une idée germe dans mon esprit.
"La doyenne m’a contacté pour intervenir à la faculté. Dis à Astraïa de la prévenir que j’accepte. Je donnerai une conférence demain à la première heure."

La journée commence à peine, mais l’université est déjà en pleine ébullition. Les étudiants se bousculent dans les couloirs, leurs conversations chargées d’excitation. Et pour cause : mon intervention. L’amphithéâtre est bondé, l’air vibrant d’une énergie palpable.

Dès que j’entre, le silence s’installe. Mon aura d’Alpha s’impose instinctivement. Les regards se tournent vers moi, emplis d’admiration, de respect… et d’envie. Mais je n’ai d’yeux que pour elle.

Lyra.

Assise au dernier rang, légèrement en retrait. Nos regards se croisent immédiatement. Une vague de chaleur m’envahit, brutale et incontrôlable. Artémis rugit dans mon esprit, son ton chargé de rage et de certitude.

“Elle est là ! Elle est à nous ! Fais-la se souvenir ! Prends-la !”

Je lutte pour ne pas répondre à son cri primal. Chaque fibre de mon être hurle de se tourner vers elle, de briser cette distance, de la réclamer. Mais je ne peux pas. Pas ici.

Je monte sur scène, chaque pas est un effort calculé pour garder le contrôle. Mon discours commence, ma voix grave résonne dans l’amphithéâtre. Les mots sortent mécaniquement, maîtrisés, mais mon esprit vacille. Tout en moi est tendu vers elle. Vers ce regard qui me hante.

Et puis, cela arrive.

Une pulsation brutale traverse l’air. Une force. Une énergie que je reconnais immédiatement.

Artémis hurle : "Sa louve ! Je la sens ! Elle est là !"

Mon regard se fixe sur Lyra. Elle est penchée sur son carnet, ses mains bougent d’elles-mêmes, traçant des lignes avec une fluidité presque surnaturelle. Une vibration émerge d’elle, brute, inaltérée. Pendant un instant fugace, je ressens tout. Sa louve, vivante. Puissante. Indomptée.

Je m’interromps brusquement.

Un silence oppressant tombe sur l’amphithéâtre. Les murmures s’élèvent timidement, mais je ne les entends pas. Tout ce que je vois, c’est elle. Lyra, inconsciente de l’agitation autour d’elle, absorbée par cette force qu’elle ne comprend pas encore.

Je descends de l’estrade. Mon pas est rapide, chaque mouvement chargé d’une intensité presque insupportable. Les étudiants s’écartent instinctivement, effacés par ma présence.

Quand j’arrive à sa hauteur, elle lève les yeux, encore troubles, comme si elle revenait d’un autre monde. Je tends la main.

"Puis-je voir ?" demandé-je, ma voix basse, vibrante de tension.

Elle hésite, ses doigts tremblent légèrement avant de me tendre le carnet. Je le prends, mes yeux captant chaque ligne qu’elle a tracée. Et là, je vois.

Artémis.

Ses traits sont gravés dans le papier avec une précision presque surnaturelle. Ce n’est pas un simple dessin. C’est une invocation, une connexion qu’elle ne comprend pas encore, mais que je ressens dans chaque fibre de mon être.

Artémis rugit, sa voix résonnant comme un coup de tonnerre.

"Elle sait ! Même inconsciemment, elle sait ! Elle est nôtre !"

Ma mâchoire se serre, mes poings tremblent. Elle ne semble pas comprendre ce qu’elle vient de faire, ce qu’elle vient de révéler. Mais moi, je sais. Je ressens tout. Sa louve, enchaînée, mais vivante. Cette force vibrante, prisonnière de l’aconit.

Je referme brusquement le carnet et le lui rends. La tension en moi devient insupportable. Si je reste plus longtemps, je cèderai. Je compromettrai tout. Elle. Moi. La meute.

Je tourne les talons et quitte la salle, chaque pas une lutte contre l’instinct qui me hurle de faire demi-tour, de la revendiquer. Artémis hurle, exigeant de briser les chaînes qui l’enserrent. Mais je ne peux pas. Pas ici. Pas maintenant.

Dehors, l’air frais frappe mon visage, mais n’apaise rien. Ma respiration est saccadée, ma mâchoire douloureusement serrée. Elle est si proche, mais encore si loin. Le poison l’étouffe. Son ignorance l’enchaîne.

Mais pas pour longtemps.

"Elle est à nous," gronde Artémis, implacable.

Et cette fois, je sais qu’il a raison.