Chapitre 11
Lyra
L’air est lourd, saturé de questions qui tournent en boucle dans ma tête. Le trajet vers Lykos Industries se fait presque mécaniquement, mes pensées absorbées par ce que je viens de vivre. La conférence. Daemon. Ce dessin. Pourquoi tout semble converger vers cet endroit ? Pourquoi vers eux ?
En franchissant les portes vitrées du laboratoire, une étrange sensation s’empare de moi, comme si je pénétrais dans une arène invisible. Le hall est presque vide à cette heure, baigné de cette lumière tamisée qui semble amplifier la tension qui m’habite. Je me fige un instant, mon regard accroché au logo des Lykos projeté sur le mur du fond : ce loup argenté hurlant à la lune. Cette image, si familière, me frappe soudain d’une force inattendue. Un frisson parcourt ma colonne vertébrale.
Le loup.
Ce n’est pas la première fois que ce logo attire mon attention, mais aujourd’hui, il résonne différemment. Une série de fragments s’assemblent dans mon esprit : leurs regards presque instinctifs, cette harmonie qui dépasse le simple travail en équipe, ce côté brut et indomptable de Daemon…
Une vérité que je n’ose encore formuler émerge lentement. Les loups ne sont pas que des mythes racontés aux enfants.
***
Dans un couloir adjacent, hors de sa vue : Selene ralentit son pas, sentant l’aura de Lyra pénétrer le bâtiment. Une vague d’émotions traverse son esprit.
Elle est là.
“Elle a franchi les portes,” murmure-t-elle mentalement, ses pensées se connectant à Elias et Andro.
“Je l’ai vue passer,” répond Andro. “Elle semblait agitée, perdue dans ses pensées. Quelque chose a changé depuis la conférence.”
“Daemon l’a probablement troublée plus qu’elle ne veut l’admettre,” répond Elias, son ton précis. “Elle a commencé à faire des connexions. Cela se voit dans ses gestes, sa manière de se tenir.”
Selene inspire doucement, cherchant à garder une maîtrise parfaite. “Elle est proche, mais pas encore prête. Sa confiance en sa mère s’effrite. Cela transparaît dans ses silences. Mais elle ne comprend pas encore pourquoi.”
“Daemon va perdre patience,” tranche Elias. “Il l’a ressentie. Il sait qu’elle est sienne. Combien de temps encore avant qu’il ne la revendique ?”
“Il nous a demandé d’attendre,” répond Selene. “Elle doit le découvrir par elle-même, à son rythme. Si nous précipitons les choses, elle pourrait se refermer… ou fuir.”
Un silence tendu s’installe.
“Elle ne fuira pas,” dit Andro, son ton empreint d’une certitude inhabituelle. “Elle commence à chercher des réponses. Elle reste parce qu’elle sait qu’elles sont ici.”
***
“Lyra ?”
La voix de Selene me tire de mes pensées. Je tourne la tête, et je la vois, immobile près du comptoir. Sa posture est détendue, mais son regard me scrute avec une intensité nouvelle. Elle ne semble pas surprise de me voir. Peut-être qu’elle s’attendait à ce que je vienne.
“Tu es venue tôt,” dit-elle avec un sourire qui n’atteint pas tout à fait ses yeux.
“Je… oui,” balbutié-je, encore perdue dans mes pensées. “Je devais venir.”
Elle hoche la tête, comme si elle comprenait quelque chose que moi-même je ne saisis pas encore.
“Viens, allons dans mon bureau. Nous serons plus tranquilles.”
Elle m’invite à la suivre, et je m’exécute, bien que tout en moi reste en alerte. Tandis que nous traversons les couloirs, je remarque des détails que je n’avais pas vus avant. Les regards furtifs de certains membres de l’équipe. Les silences qui semblent s’étirer un peu trop longtemps. L’atmosphère est différente aujourd’hui, plus lourde, presque électrique. Nous arrivons dans son bureau, un espace sobre mais accueillant. Selene referme la porte derrière nous, et son sourire s’efface, laissant place à une expression plus grave.
"Je suppose que tu veux des réponses," commence-t-elle doucement, prenant place derrière son bureau.
"Oui." Mon ton est plus ferme que je ne l’avais prévu. "Et je pense que vous en avez."
Elle incline légèrement la tête, ses yeux brillants d’une compassion mesurée. "Je vais être honnête avec toi, Lyra. Je ne peux pas tout te dire."
Ces mots tombent comme une pierre dans mon estomac.
"Mais je peux t’expliquer une chose," poursuit-elle. "Les analyses que j’ai faites sur les produits de ta mère."
Mon souffle se coupe, et je me redresse instinctivement sur ma chaise.
"Qu’ont-elles révélé ?" demandé-je, ma voix à peine plus qu’un murmure.
Elle marque une pause, comme si elle pesait chaque mot. "Tes produits contiennent des composés uniques, des inhibiteurs d'expression génétique."
"Des… quoi ?"
Elle hoche la tête, son expression plus sérieuse que jamais. "Des inhibiteurs. Conçus pour réprimer une part de toi. Une part… essentielle."
Une vague de chaleur monte en moi, brûlante et incontrôlable.
"Pourquoi ?" Mon ton se fait plus dur, presque accusateur. "Pourquoi ma mère ferait-elle ça ?"
Selene me fixe, son regard empreint d’une sincérité troublante. "Je pense qu’elle voulait te protéger. Mais de quoi ? Je ne peux que deviner."
Je reste figée, chaque mot de Selene résonnant dans mon esprit comme un écho qui refuse de s’éteindre.
"Tu savais," murmuré-je finalement, presque pour moi-même. "Toi. Daemon. Vous saviez quelque chose."
Selene ne répond pas immédiatement. Elle se contente de me fixer, comme si elle cherchait à évaluer jusqu’où je suis prête à aller.
"Il y a des choses que tu dois découvrir par toi-même, Lyra," finit-elle par dire. "Ce que je peux te dire, c’est que tu es spéciale. Et que ces inhibiteurs ont été conçus pour empêcher cette part spéciale de toi de se révéler."
Mes poings se serrent sur mes genoux. Une rage sourde gronde en moi, mais elle n’a pas encore de direction.
"Et vous ? Vous êtes… spéciaux également," dis-je, mes yeux se fixant sur elle avec intensité.
Un silence s’installe.
"Tu es plus intuitive que je ne le pensais," répond-elle finalement, un sourire énigmatique sur les lèvres. "Mais ce n’est pas à moi de répondre à cette question."
Sa voix est calme, mais son regard en dit bien plus.
Je quitte le bureau de Selene, les mots "inhibiteurs d’expression génétique" résonnant dans mon esprit comme une vérité à moitié dévoilée. Mes pas me mènent instinctivement à mon poste, mais je ne m’assois pas. Mon regard glisse sur l’écran d’ordinateur sans le voir.
Les questions s’accumulent, se superposent, créant un chaos dans mon esprit. Les regards furtifs, ce logo omniprésent, leur harmonie animale… Rien n’est normal ici. Daemon, Selene, Elias, Andro. Chacun d’eux semble me narguer avec une vérité qu’ils refusent de dire.
Mon téléphone vibre soudain dans ma poche. Je le sors, une notification s’affiche : un message de ma mère.
Je le regarde un instant, figée. Une vague d’appréhension m’envahit. Pas maintenant. Pas ici.
Le message clignote sur l’écran, son contenu inconnu, mais déjà lourd d’un poids que je ne suis pas prête à porter. Je range le téléphone sans l’ouvrir, mais le simple fait de savoir qu’il est là alourdit mon souffle..
Le silence du laboratoire semble s’épaissir, oppressant. Je ne peux pas rester ici. Pas en cet instant où tout en moi hurle des vérités que je ne comprends pas.
Je rassemble mes affaires, mes gestes mécaniques, et sors sans un mot.
Les couloirs me paraissent plus sombres que d’habitude. Chaque bruit, chaque pas résonne trop fort, comme si le laboratoire lui-même retenait son souffle. Je croise Andro dans le couloir. Son sourire habituel a disparu, remplacé par une expression que je ne parviens pas à déchiffrer.
"Tout va bien, Lyra ?é demande-t-il, sa voix posée, presque trop douce.
Je hoche la tête sans répondre. Mes mots se coincent dans ma gorge. Ses yeux, d’habitude chaleureux, semblent sonder quelque chose en moi. Je détourne le regard et poursuis mon chemin, les poings serrés.
Dehors, l’air est plus froid que je ne l’imaginais. Pourtant, cela n’apaise rien. Une tension sourde monte en moi, comme si chaque fibre de mon corps réagissait à un appel silencieux.
Je lève les yeux vers le ciel. La lune, presque pleine, se dresse fièrement, imposante. Son éclat m’attire, comme une promesse de réponses que je ne peux encore comprendre.
Ce soir, sous cette lumière, je trouverai des vérités. Je le sens dans mes os, dans mon sang.
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