Chapitre 14
Lyra
C'est confus, tout est confus.
Mon rêve… il m’a laissée bouleversée comme jamais.
Cette fois, j’étais le loup. Je courais, libre et puissante, chaque muscle vibrant sous l’effort. Le sol humide sous mes pattes semblait m’appartenir, comme si la forêt elle-même m’accueillait.
Puis soudain, un miroir s’est dressé devant moi, surgissant comme une barrière à laquelle je ne m’attendais pas. Je m’y suis vue. Moi, humaine, mais avec les yeux du loup.
Ces yeux n’étaient pas les miens. Ou peut-être qu’ils l’étaient, mais changés. Plus sauvages. Plus vrais. Une part de moi voulait tendre la main vers cette autre version de moi-même, mais mes doigts restaient figés. Mon reflet m’a observée avec une intensité presque insupportable. Puis une voix a résonné, puissante, irrésistible :
"Réveille-toi."
Je ne sais pas où il a commencé, ni où il s'est terminé. Il y a d’abord eu la conférence. Daemon. Selene. L’inhibiteur d’expression génétique. Ma mère. Puis… tout se perd. Le secret autour de mon identité, autour de mon père. La forêt. La lune. Le loup. Ses mots, murmurés comme une promesse : "Je suis tien et tu es mienne."
Ces images flottent dans mon esprit, floues mais persistantes. Ce ne peut être qu’un rêve ! Cette pensée surgit, urgente, comme une bouée de sauvetage. Et si tout cela était simplement le produit de mon imagination ? Une façon pour mon esprit de traiter toutes ces révélations ? Mon père, ma mère, cette nature que je ne comprends pas encore… Tout cela pourrait être faux, inventé. J’étais déjà en train de rêver.
Mais une sensation différente s’impose.
Plus tangible.
Je cligne des yeux. La lumière, douce mais éclatante, inonde la pièce. Ce n’est pas ma chambre. Ce n’est pas mon lit. Les draps soyeux glissent contre ma peau, et une odeur boisée, familière et troublante, m’enveloppe. Cette fragrance. Je l’ai déjà sentie.
Mon cœur s’accélère alors que je prends conscience des détails autour de moi : une lumière dorée filtre à travers des rideaux épais, un fauteuil en cuir sombre est posé près d’une petite table en bois massif sur laquelle repose un livre ouvert accompagné d’un bloc-notes et d’un stylo. Une veste en cuir cognac est jetée nonchalamment sur le fauteuil qui lui fait face.
Cette veste, je la reconnais. Celle de Daemon lors de notre première rencontre.
Un frisson parcourt ma colonne vertébrale.
Je suis chez lui. Chez Daemon Lykos.
Tout revient.
La forêt. La lune. Lui.
Je serre les draps, mon souffle court. Daemon est un loup.
Est-ce que tout cela était réel ? Impossible.
Mes mains s’agrippent au tissu alors que mon esprit vacille entre deux réalités : celle que je croyais connaître et celle qui s’impose lentement à moi.
Un son. Des pas lourds et mesurés.
La porte s’ouvre doucement, et il apparaît.
Daemon entre, sa présence imposante emplissant immédiatement l’espace. Il avance sans un mot, s’arrête un instant, puis s’assied dans un fauteuil près de la fenêtre. Son corps, détendu en apparence, dégage une tension palpable. Chaque mouvement est mesuré, chaque geste maîtrisé. Son regard noir, intense, se pose sur moi.
Je ne sais pas s’il va rester là à m’observer ou s’il va franchir la distance entre nous pour…
Je secoue la tête, chassant cette pensée.
"Tu es réveillée," dit-il doucement, sa voix grave brisant le silence.
Je veux parler, mais aucun mot ne sort. Tout ce que je ressens est un tourbillon de colère, de désir, de confusion. Je commence à sortir du lit, prête à le confronter, mais un détail me frappe. Je ne porte sur moi qu’un T-shirt bien trop grand pour être le mien. Rien en-dessous. Je me fige, une chaleur brûlante montant à mes joues.
"Qui m’a déshabillée ?" soufflé-je finalement, ma voix brisée entre la honte et la frustration.
Il ne détourne pas les yeux, mais son regard s’adoucit légèrement. Sa voix, grave et mesurée, répond :
"Rassure-toi, Selene s’en est occupée après que je t’ai ramenée ici. Je n’aurais jamais permis qu’il en soit autrement."
Je serre les draps un peu plus fort, mais son ton calme apaise légèrement ma tension.
"Il ne s’est rien passé cette nuit, Lyra," reprend-il, sa voix empreinte d’un mélange de douceur et de fermeté. "Jamais je ne te ferai quoi que ce soit sans ton consentement. Je veux simplement prendre soin de toi."
Ses mots tombent comme une pierre dans mon estomac.
Ramenée ici ?
"Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi étais-je dans la forêt ?" demandé-je, ma voix vacillante, trahissant le chaos en moi.
Daemon s’approche de quelques pas, toujours avec cette maîtrise exaspérante.
"Tu as fait un malaise," dit-il, ses mots pesés avec soin. "Je t’ai trouvée et ramenée chez nous."
Chez nous.
Je serre les dents. Tout ce que je voulais croire comme un rêve… La forêt. La lune. Le loup. Tout cela était réel.
"Daemon est un loup."
Cette pensée ressort comme une évidence chaotique dans mon cerveau.
"Je sais que tu as des questions," reprend-il, ses yeux sombres scrutant les miens. "Je te propose d’y répondre. Mais d’abord, prends une douche. Cela te fera du bien. Selene t’a laissé des vêtements dans la salle de bain."
Il se détourne vers la porte avant de jeter un dernier regard par-dessus son épaule.
"Je reviens te chercher dans dix minutes."
Et il sort, me laissant seule avec mes pensées et son parfum musqué, boisé, omniprésent.
Je reste immobile, envahie par un tourbillon d’émotions. Mon regard parcourt à nouveau la chambre, bien plus grande que mon appartement entier. Sur un pan de mur complet, des étagères chargées de livres en cuir relié, des murs sombres ornés de cadres sobres, le fauteuil en cuir usé qui semble avoir traversé le temps et raconter sa propre histoire, chaque détail témoigne d’une richesse historique et d’une autorité indéniable. Tout ici est un écho de Daemon : un mélange de force brute et de contrôle parfait.
Je me lève finalement, mes pas hésitants me menant vers la salle de bain attenante. L’eau chaude glisse sur ma peau, brûlante et apaisante. Mais elle ne calme rien. Daemon. La forêt. Ses mots.
"Daemon est un loup... Ils sont tous des loups !" Je murmure ces phrases, la voix tremblante, comme si les prononcer les rendaient plus réels. Mais ce n’est pas tout. Un autre doute, plus profond, plus terrifiant, s’impose à moi.
"Et moi ? Est-ce que… moi aussi ?"
Mon souffle s’arrête, les questions s’enchaînent dans mon esprit. Est-ce ma vraie nature ? C’est pour cela que tout me semble si familier ici ? Mais pourquoi ma mère m’a-t-elle caché tout cela ? Pourquoi est-ce qu’eux m’ont reconnu alors que je ne sais même pas qui je suis, ce que je suis ? Je ferme les yeux, les images de la nuit précédente défilant derrière mes paupières. La forêt. Sa voix, grave, puissante. Et cette promesse, encore : "Je suis tien et tu es mienne."
Une part de moi refuse d’accepter cela. Refuse d’être définie par quelque chose que je ne comprends pas encore. Mais une autre part… Une autre part brûle d’envie de découvrir ce que cela signifie.
Lorsque je sors de la douche, mes mains tremblent légèrement en attrapant les vêtements laissés par Selene : un jean skinny et un pull en cachemire couleur prune. Le tissu doux contre ma peau, la coupe flatteuse. Ces détails insignifiants me redonnent une pointe de confiance et de contrôle alors que je sens mes interrogations essayer de me faire perdre pied. Je lève les yeux vers mon reflet dans le miroir. Mon visage est marqué par la fatigue, mais mes yeux… Mes yeux brillent d’une intensité que je ne reconnais pas.
Daemon a dit qu’il répondrait à mes questions. Mais suis-je prête à entendre ces réponses ?
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