Burn, baby burn... 1/3

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Je m’étais pourtant juré de ne jamais revenir dans cette ville.

Tracer la route, ne pas se retourner, construire son destin et fuir son passé.

Mais il y a parfois des éléments imprévus, qui vous poussent à revenir : un putain de séminaire d’entreprise avec tout le gratin de la société.

J’eus bien essayé de m’y soustraire, prétextant une montagne de dossiers à finaliser, mais mon patron, pensant bien faire, m'envoya « respirer » dans cette vieille cité grise et nauséabonde."Ce retour aux sources, vous fera le plus grans bien !" avait-il conclut. Il ne comprennait décidemment rien.

Me voici donc, devant ce building flambant neuf : une tache brillante au milieu de ce patrimoine désolé d'exister.

Oh ! Joie ! Une journée faussement décontractée pour cultiver son esprit d’équipe tout en démontrant sa gagne à travers des jeux débiles censés créer une « team ».

On n’a jamais inventé plus con que ces team building !

Jean, polo et baskets pour se fondre dans la masse des cadres venus disputer leur combat de coqs.

Au fur et à mesure des animations et autres épreuves ridiculement ringardes, je n’avais de cesse de penser à cette maison… À ce lieu que j’avais fui et bien sûr à toi, mon geôlier. Avait-on fini par la démolir pour coller à cette ambition de nouvelle cité glorieuse de l’industrie ?

Matthieu, l’expert comptable de la boîte, interrompit mes pensées.

  • Alex ? ça ne va pas ? T’es avec nous ?
  • Quoi ? Euh ouais, pardon, j’ai un peu mal au crâne…
  • Tu viens avec nous ? On va à la soirée sur le Fly-boat ?

Le “Fly-boat”, Encore un de ces lieux branchouilles pour la Jet-Set de superette…

  • Non, merci, je vais plutôt rentrer. Ce mal de tête me tape sur le système. Vous me raconterez !
  • T’es sûr ? J’ai de quoi te remonter avec une petite descente en poudreuse, dit-il avec un clin d'œil, en sortant un petit sachet transparent de sa poche de jean.

Matthieu, plutôt beau mec, la petite trentaine, le nez droit et la mâchoire carrée, était de ces gars toujours partants pour se fourrer le tarin, à se demander comment il arrivait encore à aligner les chiffres et les cases Excel.

Prenant ma veste sur le dossier de la chaise et lui claquant dans la main droite, je tentai de clore la conversation : “ça va aller, je passe mon tour. On se voit demain matin au petit dej’ de l’hôtel.”

Sortir de cette salle, vite.

Cette première journée, épouvantable de faux rires et de café-clopes, me donne la gerbe. Comment supporter encore celle de demain ? À moins que ce ne soit toute cette ville qui m’écœure.

Je longe un long corridor composé d'épaisses baies vitrées. La luminosité extérieure, filtrée par ses amas de nuages de pollution, donne une coloration blanchâtre à ces fenêtres. L’impression d’être dans la mâchoire d’un monstre de fer m’enserre la gorge.

Je sors de l’immeuble. Direction l’hôtel. Putain, c’est où déjà ? Je ne reconnais rien. Ici, tout semble, noir, blanc ou gris. Seule la couleur des enseignes change.

D’errance ou désespérance, sans m’en rendre compte, mes jambes me conduisent jusqu'à cette ruelle sombre et tortueuse dans laquelle j’avais eu le désespoir d’exister. On sous-estime la mémoire des pas.

Je suis tombé devant elle, comme on dit. La maison qui m’avait vu grandir, la maison que je vomis encore certaines nuits de cauchemars.

Accrochés maladroitement à un des barreaux de fenêtre, une pancarte indique : à vendre. Même cet écriteau semble vouloir se pendre plutôt que de rester fièrement figé contre la façade.

Dans ma tête, un hurlement : Non ! Plus personne ne doit vivre ici.

Cet endroit ne doit plus abriter qui que ce soit. Il est maudit. Pire encore, il incarne le souvenir de ton existence.

Je vois encore maman, assise sur les marches du perron, les yeux rouges et boursouflés, se demander comment elle avait pu en arriver là. Comment tout avait glissé jusqu’à se fracasser. Comment d’homme doux et attentionné, un monstre avait surgi chaque jour un peu plus à coups de rasade de pinard de supermarché. Ma petite maman, j'aurais tellement voulu te sauver… te venger, mais même ça il me l’a enlevé. Il a crevé seul dans sa bagnole en se prenant un arbre. Je n’ai jamais été foutu de savoir si c’était bien fait.

Je crois que j’aurais préféré un cancer bien dégueulasse pour le voir pourrir à petit feu.

Je fume quelques clopes, adossé au lampadaire d’en face. Pas le moindre signe de vie à l’intérieur. Les derniers occupants semblent avoir décampé depuis un certain temps par l’aspect extérieur de la cour et des volets. La boîte aux lettres dégueule de prospectus fourrés de force à l’intérieur.

Comme nous, lorsque nous étions mômes, pour être mieux roués de coups tes soirs de beuverie.

« Fallait nous rendre fort, le monde est sans pitié, pas de place pour les mauviettes, arrête de chialer, on dirait ta mère. »

Je m’approche un peu, le portail porte encore l’inscription de Max, mon petit frère, ce qui lui avait valu une sérieuse correction et une absence d’une semaine de l’école. Je crois qu’aujourd’hui on s’inquièterait de ça. Pas à cette époque…

J’entends nos rires d’enfant dans la cour arrière lorsque par bonheur tu étais absent. Je ne sais même pas ce qu’il est devenu le frangin. Lui, comme moi, on ne veut pas de lien avec toi, alors c’est passé par un mutuel effacement. Un reset pour survivre.

Machinalement, je jette mon mégot encore fumant par terre. En peu de temps, une fumée épaisse émane d’un tas de feuilles qui jonchent l’angle de la maison. Je me précipite dessus et disperse à coups de pieds les feuilles pour éteindre ce début de brasier. Mais surgit en moi, une étincelle…

Et si je cramais tout ? Que j’envoyais ce tas de briques en enfer à ta place ?

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