Chapitre 2/3

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19 h 45 à ma montre. J’ai peut-être encore le temps d’aller à la station de service sur l’avenue perpendiculaire. D’un pas cadencé, je me lance à la poursuite d’un bidon d’essence.

En à peine 10 minutes, j’arrive devant la boutique. Des néons miteux gresillent et signalent que c’est encore ouvert. Je fonce vers le rayon de lave-glaces à la recherche d’un contenant et règle mon dû. Puis, je déverse le liquide verdâtre dans une bouche d’égout sur le côté du parking où les nids de poules côtoient des canettes de bière vides. Calmement, je remplis le bidon de gasoil.

Je retourne payer, en cash.

Ne pas laisser de trace.

Panne d’essence ? Me lance le caissier.

Ouaip ! Pas de bol, à quelques centaines de mètres d’ici…

Ah ! Faut pas jouer avec le feu quand la jauge s'allume. Rétorque-t-il dans un rire à la con.

Je le regarde d’un air circonspect. Se doute-t-il de quelque chose ? Sûr de moi, je lui réponds : “Elle déconne, faut que je la répare…” et sur ce, je tourne les talons.

Votre visage ne m’est pas inconnu, me dit-il alors que je m’apprête à franchir le seuil.

Sans me retourner, je marque un arrêt dans l'entrebâillement de la porte. “Aucune chance, j’suis pas du coin.”

Mais si ! Alexandre Vernanchet, c’est toi ?

Putain, merde, c’est qui ce type… À dire vrai, il ne m’est pas étranger non plus. Un gars de l’école, du collège ?

J’ai le palpitant qui s’emballe. De mes machoires serrées, je lâche :

- Non, vous faites erreur. Bonne soirée m’sieur !” et je claque la porte.

Ne pas se déconcentrer. Je crame tout, je rentre à l’hôtel, ni vu ni connu et demain soir, je me barre loin d’ici.

Tel un automate, je refais le chemin inverse. Je ne peux même pas dire que je ne me reconnais pas. J’ai l’impression d’être enfin moi. De me délivrer de toi. À part mon existence, et celle de Max, plus rien ne sera témoin de ta trace sur terre.

La nuit tombe. Je m’enfonce dans l’obscurité.

À mesure que je me rapproche, la fureur m'embrase, j’ai l’impression de rougir, de rôtir de l’intérieur. Je sue à grosses gouttes. Ça perle dans mon dos et sur mes tempes. Dans ma poitrine, mon cœur compose un set de techno allemande. J’en ai des frissons.

Me revoilà !

Je me dresse face à cette bâtisse, comme j’aurais voulu me dresser face à toi. Les deux grandes fenêtres de l’étage et la porte au centre confèrent à cette maison une gueule de géant.

Je suis dans l'arène.

Je suis Odin, tu es Ymir.

Je suis Héphaïstos, tu es Clytios.

En symbole ; je purifierai par le feu, tu périras par les flammes.

Je m’approche et du coude, j’assène un coup sec pour péter la vitre de la cuisine. Merde ! Elles ont été changées. Foutu double vitrage.

Je jette un oeil aux alentours pour m'assurer que personne ne m’épie. Avec encore plus d’ardeur, je relance mon assaut. La vitre ne bouge pas, mais mon élan me fait valser dans les persiennes métalliques. Le fracas fait aboyer un cleps. Une lumière s’allume dans la maison d’en face. Je me colle contre la façade prenant comme couverture les ombres nocturnes.

J’attends.

Après plusieurs longues minutes, je commence à m'extraire de ma planque lorsqu’une bagnole tout phare devant s'engage dans la ruelle. Vite ! Le jardin ! Dans une souplesse que je ne me connaissais pas, j'enjambe le portillon et m'accroupis derrière illico.

J’attends. Encore.

Des fourmis engourdissent mes jambes. Je dois bouger. Je me relève tout ankylosé par cette position. Le bidon ? Quel con ! Je l’ai laissé sur le trottoir. Il faut que j’y retourne.

La nuit est maintenant pleine. J’y vois que dalle. L’éclairage public ne s’engouffre pas jusque là.

À tâtons, je retourne vers l’entrée du jardin. Du bout des doigts, je constate que le système de fermeture n’a pas changé : un verrou de box. Ouf. J'ouvre le loquet, m'apprête à sortir lorsque mes pieds butent sur une grosse pierre. Encore un peu et je me fracassais le menton par terre. Sans doute a-t-elle été mise là pour bloquer davantage la porte. Je la déplace pour aller chercher le fluide de ma vengeance, puis la regarde de nouveau : cette pierre est mon sésame!

Triomphalement, je chope du bras gauche le bidon, j’extrais de la boîte aux lettres quelques journaux suppliants de s’échapper et les fourre dans ma poche arrière de jean. Puis, je retourne vers cette roche et la saisis sous le bras droit. Par un premier coup de hanche, je passe de nouveau le portillon, et par un second le referme.

Dans la sombreur, je m’exécute.

J’empoigne la pierre et tel un lanceur de disque ayant la rage comme force de propulsion, je la projette contre la porte-fenêtre.

Un rugissement s’échappe de ma gorge donnant le “la” à une symphonie de bris de verre s’éclatant au sol.

Maintenant, je me glisse dans la gueule du monstre.

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