Chapitre 2 : Partie 3/4

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Elle ouvrit les yeux et se redressa. Elle se raidit lorsqu'elle découvrit les compresses encore humides, qui tombèrent de son cou et de son ventre. Ses vêtements à moitié déchirés pendaient sur le dossier d’une chaise à côté du lit. Affolée, Eileen s’empressa de vérifier sa tenue. Avaient-ils abusé d’elle ? Elle soupira de soulagement, constatant qu'elle portait toujours ses sous-vêtements, mais se crispa en imaginant les scénarii qui auraient pu se produire. A cet instant, le vent marin s'engouffra dans la cabine malgré la porte fermée. Elle frissonna et se frictionna les bras pour se réchauffer.

Prise d’une soudaine panique, elle se jeta sur son jean et tâta les poches, à la recherche de son téléphone pour prévenir sa grand-mère ou Franck.

Disparu !

Elle pivota et examina le sol. Il avait pu tomber sur le trajet jusqu’au bateau ou peut-être bien dans la forêt, après qu’elle se fût effondrée contre le rocher. Elle soupira, désemparée, et s’assit sur le lit qui craqua sous son poids. Son seul espoir s’était envolé aussi vite qu’il était apparu. Un long moment passa avant qu’elle ne se résignât à bouger.

D'abord hésitante, elle enfila des vêtements d’homme – une chemise et un pantalon en toile claire – posés sur l’assise de la chaise, sans trop se poser de questions. De toute façon, elle n'allait pas rester à moitié nue avec des inconnus ! Les habits trop larges glissèrent sur sa taille fine. Elle remédia à ce problème à l’aide d’une ceinture à proximité.

Une fois habillée, elle analysa les alentours plus en détails. Il y avait un grand bureau recouvert de feuilles et de carnets en cuir empilés, ainsi que de bibelots travaillés avec finesse – tantôt des silhouettes humaines, tantôt des formes abstraites. Tout était en bois et malgré la fenêtre étroite, la pièce recevait une excellente lumière. Curieuse, Eileen ouvrit un tiroir, attirée par la poignée ronde et dorée. Celui-ci coulissa sans un bruit. Il ne renfermait qu’un miroir difforme, qu’elle ramena à elle. La jeune femme hoqueta de surprise à la vue de son reflet. Ses cheveux autrefois longs peinaient à atteindre son menton.

Elle sortit de la cabine en trombe. Son sang bouillonnait.

Eileen déboula sur le pont où le personnel se faisait rare, peut-être en pause, et se dirigea vers le commandant qui manœuvrait.

- Je me réveille au milieu de nulle part, je manque de me faire tuer par un dragon, et après ça, vous vous permettez de retirer mes vêtements et de me couper les cheveux ? hurla-t-elle en indiquant ses cheveux courts et irréguliers. Mais vous vous prenez pour qui !

- Ne t’inquiète pas, tu n’as rien à craindre, nous ne sommes plus qu’à trois jours des Terres de Lumière. Nous arriverons plus vite que tu ne le penses, répondit-il sur un ton indifférent.

- Mais ce n’est pas la question !

En colère, elle se plaça en face de lui pour capter son attention. Son cœur se serra soudain.

Il posa sur elle un regard à la fois calme et sévère, et Eileen éprouva subitement de la honte. Elle le savait commandant, mais ne se rendait pas compte de l’importance d’un tel titre. De plus, cet homme lui avait sauvé la vie. Elle lui devait toute sa reconnaissance. Mais ce n'était pas seulement ça, il dégageait une telle prestance que ses mots restèrent soudain dans sa gorge. Elle n'osait plus bouger.

Son sauveur vérifia les alentours, puis reprit la parole.

- Le Capitaine Kilenswar, mon second, t’a soignée. Il a ensuite coupé tes cheveux pour te faire passer pour un homme. Notre unité de mission ne comporte aucune femme, alors pour éviter tout problème à l'arrivée, il a pris cette décision... Patiente encore une semaine. Une fois rentrée, tu seras libre de faire ce que tu veux. Tu pourras te fondre dans la masse.

Eileen sut qu'elle devait se taire et le remercier sans broncher. Elle fit demi-tour, hésitante, puis revint sur ses pas.

- Quel est votre nom ?

Toutes sortes de questions fusaient dans sa tête à propos de cette vie, de cet endroit, pourtant ce furent ces mots qui franchirent ses lèvres.

- Je suis le commandant de la garde royale, Illian Ell'Tin.

Elle le remercia d’un hochement de tête et repartit d'un pas plus lent pour essayer de recouvrer ses esprits en profitant de la brise. Des rires éclatèrent quand elle passa près des escaliers et Eileen aperçut l’équipage prendre son repas par la porte entrouverte. Elle passa son chemin, fit le tour du navire et leva les yeux au ciel. Une silhouette assise au milieu des cordages attira son attention.

- Capitaine ? l'interpella-t-elle d'une voix hésitante.

Le jeune homme baissa la tête, puis descendit de son perchoir avec habileté.

- J'ai cru que tu étais un homme de l'équipage, j'allais te demander de t'activer avec les autres.

Vexée d’être aussi facilement confondue avec un homme, Eileen grimaça. Cependant, avec ses formes discrètes noyées sous ces vêtements amples, ses beaux cheveux dorés comme les blés saccagés et sa voix un peu graveleuse, elle reconnut qu’elle ressemblait plus à un jeune homme efféminé qu’à une femme de bonne famille.

- Merci de m'avoir soignée. Et je suis désolée de vous avoir crié dessus…

Sa remarque lui tira un bref sourire.

- Non. Tu étais déboussolée, je ne t'en veux pas. Pardonne-moi de ne pas m’être présenté. Je suis Gaël Kilenswar, capitaine de la garde royale, second du Commandant Ell’Tin.

- Je ne comprends pas comment je suis arrivée là, hier je tournais un film, puis le sol a tremblé et...

- Un film ?

- Oui, un film.

- Comment t’appelles-tu ?

- Eileen. Eileen Harleyn.

- Je ne sais pas si ça va te faire retrouver la mémoire Eileen, mais je vais te montrer la carte, pour que tu comprennes où on est.

Il tira un morceau de parchemin d’une de ses poches arrière et le déroula sur la rambarde. Le papier jauni, et noirci sur les bords, craquait sous l’effet des caprices du vent.

Eileen considéra Gaël du regard. Il la surplombait d'une tête et ses cheveux bruns étaient coupés courts, toutefois assez longs pour se dresser sur son crâne et s’agiter au rythme de la brise. Ses yeux noisette en amande et son nez fin adoucissaient ses traits durcis par la fatigue. Il était beau. Plutôt jeune, il était loin d’être baraqué comme elle l’aurait attendu d’un homme dont le grade était aussi important, quoiqu’une fine musculature se laissât deviner sous ses vêtements. Il avait retroussé les manches de sa chemise recouverte de quelques pièces de cuir simples sur le torse et les épaules, laissant voir plusieurs bracelets, de cuir également. Il portait aussi un tatouage encré sur son bras gauche, un symbole constitué d'arabesques entremêlées autour d’un triangle. Un cordon, assez épais pour qu’elle le remarquât, entourait son cou et plongeait sous le tissu.

- Eïenvallar est composé de nombreuses îles, dont quatre continents principaux, expliqua-t-il. Tu reconnais quelque chose ?

Eileen porta son attention sur la carte. Des écritures manuscrites et stylisées se superposaient aux illustrations d’encre noire, et des blocs ocre se profilaient au milieu de l’étendue bleue. Des teintes pastelles venaient les enrichir par endroits pour représenter les différents types de territoire : les forêts, les eaux ou encore, les montagnes.

- Non, je ne reconnais rien.

Gaël désigna l’île la plus à gauche. Le pentagone s’apparentait à un trapèze aux flancs rongés.

- Les Terres de Lumière, sur lesquelles nous vivons. Nergecye longe la côte Est et se trouve ici.

Puis son doigt fila sur le plus à droite. À l’inverse du premier bloc, celui-ci était plus allongé. Sa forme ressemblait curieusement à la Corse.

- Les Terres Rouges, d’où viennent nos ennemis. Naleth est le royaume des Irnaths. Il s’étend sur toute la partie ouest et fédère tous les peuples voisins. C’est le plus grand royaume que je connaisse, mais probablement pas le plus dangereux…

Le capitaine indiqua ensuite l’île qui longeait le bord de la carte sur la moitié de sa largeur au moins, au-dessus du reste.

- Le Troisième Continent. Il a été découvert il y a des centaines de saisons, mais n’a jamais été colonisé. Plusieurs voyageurs s’y sont essayés et leur perte a donné naissance à plusieurs mythes. Il paraitrait que les monstres qui l’habitent sont pires que les Irnaths.

- Que sait-on d’eux ? se risqua-t-elle à demander.

- Certains disent qu’ils ont l’apparence d’ogres, d’autres que ce sont des êtres mi-hommes mi-animaux. Tous s’accordent sur un point : leur barbarie serait sans limite.

Il planta son regard dans le sien.

- Mais sois sans crainte, la rassura-t-il. Nous n’avons jamais subi une seule de leurs attaques. Ils ont l’air de vivre reclus. Souviens-toi que notre priorité est l’Entre-Deux.

Le petit morceau de terre s’insinuait entre les deux continents en guerre.

- Comme tu l’as compris, sa seule particularité est de se situer entre les Terres de Lumière et les Terres Rouges. Cela fait un cycle maintenant que les irnaths cherchent à ravager l’île.

La jeune femme écoutait ses explications sans pouvoir tout saisir ; une partie d'elle-même n'y croyait toujours pas. Dans un coin de sa tête, son esprit la persuadait encore que ce qu'elle vivait ici n'était pas réel.

- Qu’est-ce qu’un cycle ? l’interrogea-t-elle, incrédule.

- Faut-il vraiment que je t’explique ça ? soupira-t-il.

- Euh, oui.

- Reprenons les bases, alors. Une saison se découpe en trois cycles et chaque cycle se compose de deux mois. Nous entrons tout juste dans la période estivale.

Eileen fit un rapide calcul mental.

- Si une saison dure six mois, alors une année en a vingt-quatre ?

- Bien sûr que non, répondit-il d’un ton évident, presque moqueur. Chaque millésime est différent du précédent. L’un est composé du printemps et de l’été, soutenu par la divinité du renouveau, l’autre constitué de l’automne et de l’hiver, rattaché à la divinité de la destruction. Ces déesses sont respectivement appelées Ný et Enda.

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