Chapitre 13 : Partie 2/4

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Erhwa détestait la foule. Les irnaths les dévisageaient, elle et le nergecyen – surtout le nergecyen. Certains grimaçaient et lui jetaient des regards torves, comme si la vue de cet étranger les dérangeait... comme s’il les répugnait. Combien d’IrPurh se trouvaient parmi eux ? C’était eux, pourtant, les êtres écœurants ! Des déchets sans nom, prêts à tuer pour conserver la pureté de leur race. En dépit de sa place de conseillère, Erhwa ne concevait pas cette tolérance. Ni la raison pour laquelle Shin encourageait ce mouvement méprisable.

Pire encore, combien d’OrihR l’entouraient en ce moment-même ? Ces fous dangereux considéraient leur monarque comme leur dieu, allant même jusqu’à lui consacrer des cultes. Erhwa fut prise d’un frisson à cette pensée. C’était ça, la raison pour laquelle Shin les soutenait : il aimait le pouvoir. Se savoir élevé au rang de Dieu par sa propre race devait sans doute être jouissif. Cependant, l’irnathesse ne pouvait rien dire, même si elle crevait d’envie de balayer tous ces monstres d’un revers de la main. La promesse d’une pendaison haut et court la dissuadait de s’exprimer.

La direction que le royaume empruntait la répugnait.

Elle ouvrit la porte, fit entrer le nergecyen en premier et prit soin de refermer derrière elle. Erhwa usa de son don pour allumer les cierges disposés sur le lustre circulaire. Gaël se figea.

- Vous… vous possédez le don ? balbutia-t-il, hébété.

Elle sourit d’un air narquois.

- Mais je croyais que… reprit-il.

La voix du commandant s’éteignit d’un coup alors que ses yeux, rivés sur Menth, s’agrandissaient de stupeur. Il venait de remarquer sa créature de compagnie qui dormait en paix, au fond de l’atelier. Le ventre du reptile endormi se gonflait dans un léger sifflement au rythme de sa respiration lente. Le nergecyen recula d’un pas, se plaqua contre le mur et se mit à tâtonner la commode adjacente, comme si sa main cherchait à tout prix une arme. Seuls quelques bibelots poussiéreux la surplombaient. L’irnathesse croisa les bras, amusée de sa réaction.

- Un problème ?

- C’est un dragon, marmonna-t-il.

- Oui, c’est bien un dragon. Je te conseille de faire tout ce que je te dis, si tu ne veux pas que je lui ordonne de te brûler vif.

Son visage blêmit. Elle le poussa d’un mouvement de bras et fouilla un des nombreux tiroirs du meuble. Elle en sortit une longue tunique parfaitement pliée, ainsi qu’un pantalon en toile. Cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas sorti ces vêtements trop amples pour elle.

- Ne t’avise pas de t’échapper. Les véritables monstres sont dehors et ils n’hésiteront pas à te vider de ton sang.

Son air sidéré ne le quittait pas. Alors qu’il était un militaire haut gradé, il semblait effrayé par une créature qui ne lui arrivait pas à la taille. C’était ridicule.

- Je vais m’occuper de tes bandages, mais d’abord tu vas te décrasser. La source est juste là, dit-elle en indiquant de la main la porte du fond.

Il s’y avança avec précaution, ne quittant pas le reptile des yeux. Lorsqu’il se rendit compte que l’irnathesse lui précédait le pas, il lui fit face, l’air déconcerté. Erhwa ricana :

- Tu ne crois quand même pas que je vais te laisser seul alors que tu n’as qu’une envie : c’est de t’enfuir ! Avance.

Dès qu’ils entrèrent, les lumières disposées au plafond révélèrent la pièce plongée dans le noir. Erhwa déposa les habits sur le rebord de l’alcôve sur leur droite, puis attrapa sur l'étagère une serviette qu'elle lui tendit. Le nergecyen semblait hésiter à se dévêtir. Il examinait la source, les yeux grands ouverts et sourcils relevés, comme s’il n’en avait jamais vu.

- Tu comptes te laver tout habillé ? s’impatienta-t-elle.

Gaël sortit de sa torpeur et entreprit enfin de se débarrasser de ses épaisseurs crasseuses. Il jeta un regard noir en direction de l’irnathesse qui ne le lâchait pas des yeux, puis se retourna et s’approcha du centre de la salle. Les jets s’activèrent et l’eau se mit à ruisseler le long de son dos. Erhwa prit appui sur une paroi du mur sec, en retrait, les bras croisés. Elle prenait un malin plaisir à jauger le nergecyen de haut en bas. Ses cheveux aplatis sous le poids de l’eau fuyaient dans son cou et le long de ses épaules carrées. Bien que sa carrure eût fondu, on pouvait voir ses muscles – certes, plus fins – se gonfler au gré de ses gestes.

Gaël ne passa qu’une poignée de minutes à se frictionner le corps, comme s’il était pressé d’en finir. Il revint vers l’irnathesse, prenant soin de camoufler ses atouts masculins par pudeur. Elle lui tendit ses vêtements qu’il enfila au plus vite, puis l’invita à s’installer dans l’alcôve.

- On va s’occuper de ta barbe.

Elle ouvrit le battant d’un meuble incrusté dans la pierre, duquel elle sortit un flacon, ainsi qu’une lame d’une dizaine de centimètres que le nergecyen fixa avec insistance. Une lueur de détermination éclairait son regard.

- N’essaie même pas, le calma-t-elle sèchement.

Erhwa le fit s’asseoir dans le siège rond, face au miroir ébréché. Elle appliqua la lotion sur ses poils broussailleux, puis s’appliqua à le raser. La lame raclait ses joues dans un léger bruit de frottement rugueux. Concentrée sur sa tâche, elle gardait tout de même un œil sur ses mains pour s’assurer qu’il ne la lui dérobât pas.

Ensuite, elle banda sa jambe meurtrie avant de lui proposer un repas. Bien qu’il ne fît part d’aucun enthousiasme, il l’accepta sans rechigner. Ils se rendirent dans la cuisine, où l’irnathesse couvrit la table de kakyes et déballa un linge de viande séchée. Gaël prit un des fruits au fin duvet violacé et mordit dedans après l'avoir succinctement jaugé. Son visage afficha aussitôt un air satisfait. Ses papilles retrouvaient sans doute le goût des aliments. Erhwa savait que la bouillie servie dans la tour était infâme.

Quand il fut enfin rassasié, il s’appuya contre le dossier de la chaise et souligna de deux doigts les traits de son tatouage.

- Dis-moi ce qui m’est arrivé.

- Ce n’est pas nécessaire pour l’instant.

- Parle m’en, ordonna-t-il.

Erhwa soupira. Il était trop tôt pour lui expliquer.

- Shin a activé ta rune. Tu sauras en temps et en heure ce qui t’attend.

Son ton ferme dissuada le nergecyen de poursuivre.

- Dès demain, tu intègreras le clan draconique. Tu travailleras pour Ulreyh.

- En quoi ça consiste ? demanda-t-il, perplexe.

- Tu le découvriras par toi-même. Je pense que ça te plaira.

La frustration se peignit sur son visage.

L’irnathesse se leva, sortit un bol en terre cuite d’un grand placard et le remplit d’eau. Elle y versa des plantes broyées qu’elle gardait dans un bocal et y ajouta quelques gouttes d’un des nombreux flacons que renfermaient les tiroirs de sa cuisine. Elle mélangea le tout avant de tendre le récipient au nergecyen.

- Bois ça.

- Qu’est-ce c’est ? se méfia-t-il.

- C’est pour ta jambe, mentit-elle.

Gaël referma ses doigts autour du bol, non sans grande conviction. Il sentit la mixture, grimaça, puis l’ingurgita d’une traite.

Un rictus étira les lèvres d’Erhwa. Elle n’eut qu’à attendre quelques dizaines de secondes avant qu’il ne s’effondrât sur son dossier, endormi. Si elle ne s’était pas trompée dans le dosage, elle avait bien plusieurs heures de tranquillité devant elle. L’irnathesse extirpa le nergecyen de sa chaise et l’amena tant bien que mal sur le duvet placé contre son atelier de douilles. Menth, enfin réveillé de sa sieste, observait tous ses faits et gestes depuis l’établi sur lequel il s’était roulé en boule. Ses yeux jaunes et globuleux, contrastant avec ses écailles brunes et ternes, suivaient ses mouvements avec vivacité. Erhwa dénicha une corde tressée qui traînait sur son bureau, puis tira dessus pour en tester la solidité.

- Tu ne risques pas de te réveiller avec ce que tu as bu, mais on ne sait jamais, pensa-t-elle à voix haute.

Elle lia ses poignets et ses chevilles, puis contempla son travail. Elle avait à présent le champ libre pour ce qu’elle avait à faire. La fin de l’après-midi amenait avec elle une importante baisse de luminosité. Le soleil ne tarderait pas à se coucher.

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