Chapitre 13 : Partie 3/4

6 minutes de lecture

L’irnathesse revêtit sa longue cape bleu nuit et rabattit sa capuche. De la sorte, personne ne pourrait se douter de son identité. Elle récupéra sa besace en cuir, franchit la porte et la verrouilla dans la foulée.

La pleine lune, ainsi que les torches accrochées sur les murs des habitations, éclairaient son chemin, ce qui était autant un avantage qu’un inconvénient. Des irnaths allaient et venaient, passaient à proximité sans même la regarder, quand d’autres, des marchands ambulants, l’abordaient pour lui échanger toutes sortes de choses, avant de happer une nouvelle cible plus coopérative.

Vivant dans l’ombre du roi, peu de personnes pouvaient reconnaître son visage. Cependant, elle n’était pas à l’abri de faire une malencontreuse rencontre. Une connaissance ou pire, une patrouille de gardes. Elle devait prendre un maximum de précautions. Perdre sa place au sein de Naleth serait la pire catastrophe envisageable. Vivre à Naherleth, la capitale, signifiait prendre des risques au quotidien, dans sa situation clandestine.

Elle longea l’avenue principale avant de s’engouffrer dans les ruelles labyrinthiques. Peu à peu, les pans de murs s’élevaient plus haut, assombrissaient les alentours... Erhwa se méfiait de l’obscurité comme de la peste. En particulier à la nuit tombée, lorsque les ombres attaquaient les passants. Ces ordures étaient pires que les nasombres… Un frisson secoua sa nuque et fit hérisser les poils de ses bras. Tous ses sens étaient en alerte, à l’affût du moindre changement de son environnement. Elle se souvenait encore de sa dernière entrevue avec ces créatures et espérait ne pas en revoir une de sitôt, surtout dans ces conditions. Quitte à faire une mauvaise rencontre, elle préférait encore tomber nez à nez avec un irnath jouant du don de l’ombre pour assouvir ses plus noirs désirs. Eux, au moins, étaient matériels. Elle pouvait s’en défendre et contre-attaquer plus aisément.

L’allée déboucha sur une grande place encore bondée de monde : le quartier Vauthoo, le plus animé de toute la capitale… La nuit bien installée ne décourageait ni les commerçants, qui ne quittaient pas leur stand, ni les clients, qui continuaient à affluer. Erhwa détestait cet endroit. Le brouhaha était dérangeant, la foule oppressante. Elle sentait déjà une migraine monter et d’affreuses démangeaisons dans tout son corps. La tête baissée, elle poursuivit sa route, concentrée sur son objectif.

L’irnathesse s’apprêtait à quitter la zone marchande, quand des bruits de pas et tintements de métaux résonnèrent. Son cœur bondit.

Une patrouille.

Erhwa se figea, l’adrénaline lui coupant le souffle. Elle se plaqua contre le mur le plus proche et s’enfonça dans l’obscurité, attendant que les soldats disparussent. Ils contrôlaient les accès aux quartiers et en général, empêchaient les irnaths de poursuivre leur chemin vers le quartier noir. Et officiellement, que pouvait y faire la conseillère du roi à une heure pareille ? Elle n’avait aucune raison d’être ici !

Erhwa pressa le pas. Elle y était presque ! Malgré sa connaissance parfaite du coin, l’étroitesse des ruelles attisait sa méfiance. Elle pivota sur elle-même et s’engouffra dans un nouveau chemin qu’elle remonta à grandes enjambées. Elle jeta un rapide coup d’œil par-dessus son épaule avant de disparaître derrière une vieille porte en bois.

La salle, plongée dans les ténèbres et mal entretenue, avait tout l’air d’une maison abandonnée. Les faibles rayons lunaires qui frappaient les carreaux crasseux des deux fenêtres étroites dévoilaient avec peine les meubles couverts de poussière et rongés par les mites. Des toiles d’araignées épaisses s’accumulaient dans les coins, tandis que d’autres pendaient en travers de la pièce. Du sable rouge tapissait le parquet et craquait sous ses pas. Cette couverture était parfaite. L’irnathesse contourna le comptoir et ouvrit une trappe qui se referma après son passage. Elle dévala l’escalier. Plus elle s’approchait de la fin des marches, plus la vapeur caressait ses narines, le brouhaha s’élevait et la lumière tamisée naissait.

Un sourire fendit son visage. Le café ONathYr, son repère.

Comme d’habitude, le sous-sol était bondé, entre les irnaths venus se détendre devant les danseuses dénudées, ceux qui jouaient leurs ressources, ou encore ceux qui rendaient hommage à NathYr en s’adonnant à des affaires plus intimes. Mais Erhwa n’était là pour aucune de ces raisons. Elle fouilla la foule du regard, puis vint s’assoir à une table délaissée. Sethe n’était manifestement pas pressé de venir à sa rencontre.

D’un geste de la main, l’irnathesse happa l’attention d’un serveur qui passait à proximité.

- Un jus d’ombre.

- Noir ou rouge ?

- Rouge.

Moins d’une minute plus tard, la boisson pétillante se trouvait déjà entre ses mains. Elle sortit une écaille de dragon de son sac et la donna en guise de paiement.

- C’est bien trop ! s’alarma le garçon. Une étoffe ferait largement l’affaire.

- Prenez-la. Je n’en ai pas besoin.

Il se courba en silence, signe d’une grande gratitude, puis retourna vaquer à ses occupations. Erhwa prit une lampée de son breuvage et grimaça lorsque l’alcool lui brûla la gorge. Elle ramena le verre à sa hauteur pour l’observer. Le liquide était écarlate et bien que plus fluide, semblable à du sang. Celui des ombres s’ils en possédaient, comme aimait à le dire son créateur, le barman du café ONathYr. Le jus noir, quant à lui, représentait leur âme.

Erhwa s’enfonça dans son siège, les yeux rivés vers l’entrée. Ses doigts tapotaient nerveusement la table. Qu’est-ce qu’il foutait ? Son fournisseur aurait déjà dû répondre présent ! L’irnathesse retint un soupir agacé et laissa son regard glisser sur la scène.

Malgré la foule, elle réussissait à voir les danseuses peu vêtues onduler des hanches et jouer de leur charme. Des peintures colorées ornaient leurs visages et rehaussaient leurs pommettes d’une manière presque caricaturale, tandis que du feutre argenté soulignait leurs yeux. Des irnaths, plus ou moins imbibés d’alcool, les acclamaient. Certains dansaient comme s’ils étaient en transe, enivrés par les notes des cuivres et des instruments à cordes qui résonnaient à travers le brouhaha, quand d’autres partaient s’isoler dans les alcôves en bonne compagnie. En face de la scène, une dizaine de fûts métalliques s’entassaient derrière le comptoir encombré de verres et bouteilles vides. Des piliers en acier, en haut desquels étaient accrochés les luminaires rouges, entrecoupaient l’espace à intervalles réguliers. La fumée blanche stagnante au plafond, qui retombait sur la foule comme un léger brouillard, empêchait de saisir la salle dans son ensemble.

Erhwa finit d’une traite son verre, avant de le poser sans grande délicatesse.


Sethe ne daigna se montrer qu’après une longue heure, au grand dam de l’irnathesse. Il arborait un style qui se voulait distingué : un long manteau sobre mais conçu d’une matière noble, de courts cheveux ébènes impeccablement lissés en arrière et une moustache aux extrémités pointant en l'air avec fierté.

- Je commençais à me dire que tu ne viendrais pas, s’énerva-t-elle.

- Tu sais bien que j’aime me faire attendre.

- Tu l’as ?

- Je te retourne la question. À moins que pour une fois, tu veuilles ma marchandise ?

- Je ne veux pas de ta merde coupée à l’eau et aux drogues.

Elle tira un flacon de son sac. Deux millilitres de sang de dragon recueilli plus tôt dans la matinée par Ulreyh. Sethe lui montra une seringue munie d’un petit réservoir dans lequel il déversa le liquide carmin. Sans un mot, Erhwa tendit son bras, le poing fermé et le dos de la main posé sur la table. Ainsi, elle mettait en évidence la marque de « son clan » : une rosace d’un pourpre délavé. Elle faisait partie des Tireurs, l’un des clans les plus importants du royaume. Officiellement, du moins. Mais comme tout membre, elle ne dérogeait pas à la règle : elle devait raviver la couleur de son signe d’appartenance lors de chaque pleine lune.

Sethe planta la large aiguille dans sa peau et appuya sur le piston. La marque d’Erhwa se teinta d’un rouge vif. L’irnathesse serra les dents. Le liquide brûlait sous sa peau.

- J’imagine que je te couvre aussi pour les registres ? demanda-t-il en rangeant son matériel.

- Tu imagines bien.

- Tu sais ce qu’il te reste à faire dans ce cas.

D’un geste nonchalant, elle tira une bourse en cuir de sa besace et la lui tendit. Sethe fronça les sourcils et remua nerveusement ses doigts.

- Je t’ai déjà dit que l’argent ne m’intéressait pas.

Le visage renfrogné, il la fixa, impatient. Elle se redressa avec sensualité sur sa chaise et dévoila l’extrémité de ses canines. Le voir bouillonner la ravissait.

- Ce n’est pas de l’argent. Ce sont des dents de dragon, comme tu me l’as demandé.

Aussitôt, les traits de l’irnath s’adoucirent et sa main cessa d’importuner le bois de la table. Tout de même méfiant, il vérifia son contenu.

- C’est toujours un plaisir de faire affaire avec toi, la complimenta-t-il.

Erhwa leva les yeux au ciel. Elle se redressait pour partir, quand la main de Sethe la retint.

- Au fait, comment avance ton plan ? s’enquit-il.

- C’est sur la bonne voie.

Annotations

Vous aimez lire Elwenwe ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0