Chapitre 13 : Partie 4/4
Elle ne voulait pas s’attarder ici, mais couper court à la conversation pouvait vexer son fournisseur, ce qu’elle préférait éviter.
- Shin se doute de quelque chose ? demanda-t-il.
- Non.
Et il n’avait plutôt pas intérêt. Soudain, Sethe revêtit son visage le plus sérieux. Il poursuivit à voix basse, ce qui obligea l’irnathesse à se rapprocher de lui.
- Une rumeur circule, Erhwa. Shin n’a pas l’intention de remettre les pieds sur les Terres de Lumière. Il compte les ravager.
L’information eut l’effet d’une masse frappant son crâne.
- Impossible. Ce n’est pas ce que nous avons convenu. Le nergecyen peut nous aider…
Par NathYr, le nergecyen ! Elle avait réussi à complètement l’oublier. Depuis combien de temps était-elle ici ?
- Excuse-moi Sethe. Je dois partir, reportons cette discussion à plus tard.
Sans lui laisser le temps de répondre, elle se glissa hors de sa chaise et brava la foule pour gagner la sortie. Devant les escaliers, une irnathesse à moitié nue lui tourna autour. Roulant des hanches, elle exhibait fièrement sa poitrine, tandis qu’une de ses mains jouait avec les plis de sa jupe noire trop courte. En temps normal, Erhwa aurait volontiers accepté ses avances, mais pas cette fois. Elle lui fit signe de s'écarter en tâchant de ne pas être trop brusque, puis s'empressa de rejoindre la porte.
Elle replaça sa capuche, vérifia les alentours d’un coup d’œil et fila d’un pas rapide. Son mauvais pressentiment ne la quittait pas. Au contraire, il ne cessait de grandir et prenait une telle ampleur qu’elle en perdait même ses réflexes : elle se pressait sans analyser l’environnement.
Elle vira à droite, remonta la ruelle sombre, puis entama la traversée d’une large place. Juste derrière, le quartier LiciferthR se terminait. L’idée de le quitter la soulageait. Elle le détestait, tout autant que la foule. Les yeux rivés droit devant, un irnath attira pourtant son attention. Elle fronça les sourcils, méfiante.
Il progressait à pas comptés, visiblement sur ses gardes, sans cesse en train de vérifier ses arrières. Erhwa ralentit, intriguée. Elle n’eut aucun mal à reconnaître son visage et son teint coloré lorsqu’il passa à proximité d’une torche. Ses yeux s’écarquillèrent et son cœur bondit dans sa poitrine. Mais qu’est-ce que le nergecyen foutait là ? Quel inconscient… quel abruti ! Et malheureusement pour lui, il avait raté son coup en s’enfonçant dans la capitale au lieu de s’en éloigner. Tout de même, il avait réussi à éviter les patrouilles, ombres et irnaths, et presque atteint le quartier noir. Elle l’aurait volontiers félicité s’il n’avait pas été le fugitif dont elle avait la garde.
Des entrechoquements de métaux résonnèrent. Erhwa vit le nergecyen se figer, les yeux vissés sur la patrouille qui débarquait sur la place, avant de disparaître dans l’ombre de la ruelle d’en face. L’irnathesse se plaqua contre le mur, le souffle coupé. Les cinq soldats progressèrent jusqu’à la fontaine centrale, puis s’engagèrent dans une allée perpendiculaire. Parfait. Elle fit craquer ses cervicales pour se détendre, revint à la lumière et se mit en chasse.
Le nergecyen hors de sa vue, Erhwa se précipita dans la rue où il avait disparu. Une vingtaine de secondes s’était écoulée, une trentaine peut-être, et pourtant : des ombres grandissaient et enveloppaient le commandant, figé au milieu de la ruelle. Depuis quand attaquaient-ils groupés ? L’irnathesse serra les dents. Envoyer une ou deux douilles à faire exploser auraient suffi à les éloigner, mais avec la patrouille dans le coin, impossible de le faire sans l’alerter.
Elle soupira et, par dépit, lança les deux dernières fléchettes de sa ceinture qui allèrent se ficher dans ses cibles. Paralysés, les ombres demeurèrent immobiles un moment puis se rétractèrent en se détachant sans bruit du negercyen. Un tintement métallique résonna contre le sol pavé. Erhwa reconnut la lame qui avait servi à raser Gaël plus tôt dans la journée.
Elle déboula dans son dos et l’attrapa par l’épaule. Les créatures avaient juste eu le temps de l’entailler à la base du cou, toutefois assez profondément pour que le sang tâchât ses vêtements. Il eut à peine le temps d’ouvrir la bouche qu’Erhwa le frappa sur la tempe. Le fugitif tomba inconscient. Décidément, il ne lui facilitait pas la tâche. Elle souleva son corps, glissa un bras sur ses épaules et le maintint par la taille. Elle poursuivit sa route sans perdre un instant. La lune éclairait toujours les alentours, bien que les petites ruelles restassent sombres. Cette fois, elle devait prendre plus de précautions encore : avec le nergecyen sur le dos, sa cadence s’en voyait ralentie et elle risquait de plus attirer l’attention.
En fin de compte, elle regagna son habitation sans heurt pour découvrir les carreaux de sa fenêtre brisés. Encore une réparation à faire, pour une fois que Menth se tenait tranquille…
Le poids de Gaël, bien qu’assez faible pour un soldat, commençait sérieusement à se faire sentir. Elle entra et le posa avec plus ou moins – plutôt moins – de délicatesse sur sa couche, avant de se masser le bas du dos en grimaçant. Par NathYr, elle se sentait enfin revivre ! Erhwa le redressa comme elle put, la tête contre le mur et l’immobilisa tant bien que mal. Elle ne pouvait pas le laisser comme ça. Il avait déjà essayé de s’enfuir en dépit de toutes les mesures qu’elle avait prises et il recommencerait peut-être. Les liens tressés et déchirés trônaient à côté du duvet.
- Désolée, mais tu ne me laisses pas le choix.
Elle déroula une longue chaine en métal ancrée dans la pierre et couverte d’un linge noir, saisit l’attache et la referma sur la cheville de Gaël. L’irnathesse n’aurait jamais cru devoir l'utiliser un jour sur quelqu'un d'autre que Menth. Elle vérifia sa résistance en tirant dessous, puis l’observa, satisfaite. Il ne pourrait plus aller bien loin. Pour de bon.
Le nergecyen émergea de son sommeil forcé.
- Qu’est-ce…
Ses paupières papillonnèrent. Erhwa ne lui laissa pas le temps de reprendre ses esprits.
- Ne refais plus jamais ça ! l’incendia-t-elle. Ta sécurité, comme la mienne, en dépendent. Crois-moi, tu ne voudrais pas avoir à faire à ceux qui rôdent par ici. Et surtout, rappelle-toi bien d’une chose : sans moi, ce soir, tu étais mort.
Elle avait même utilisé ses dernières fléchettes d’ombre pour le tirer d’affaire. Elle devrait renouveler son stock auprès de Sethe dès qu’elle en aurait l’occasion et cette idée ne l’enchantait guère.
Gaël demeura silencieux. La rage ne quittait pas son regard. L’irnathesse revêtit l’un de ses plus beaux rictus.
- Tu veux que je t’explique ? Tu te trouvais dans le quartier LicifethR, le quartier noir. Des formes de dons illégales sont utilisées là-bas. On y vénère la puissante NathYr, déesse de l'indépendance, de l'anarchie et du plaisir charnel. Shin interdit formellement ces pratiques et pour lui, quiconque se rend dans le quartier noir y est forcément lié. Tu veux savoir ce qu’il se passe si tu y es vu et simplement suspecté d’en faire partie ?
Elle s’abaissa pour se mettre à son niveau et s’arrêta à quelques centimètres de son visage.
- Ta mort, donnée en spectacle dans l’arène. Crois-moi, tu n’auras pas hâte de te faire déchiqueter sous les acclamations.
Elle remarqua une lueur de défi s’allumer dans ses yeux. Son prisonnier ne disait rien mais son faciès parlait pour lui. Erhwa s’en détourna. Son numéro d’intimidation était primordial pour rappeler la place de chacun.
Elle gagna sa chambre à grandes enjambées et ferma la porte derrière elle. Adossée contre celle-ci, elle soupira et tous ses muscles se détendirent. Elle ramena son poignet face à elle pour examiner sa marque. Sa vie aurait été plus simple si elle avait vraiment fait partie du clan des Tireurs. Certes, elle adorait combiner la poudre à son don pour faire des ravages, mais elle n’avait jamais adhéré à ce système. Shin l’avait rendu obligatoire et, comme à tous les irnaths, il le lui avait imposé.
Elle regrettait l’ancien monarque. Une merveilleuse irnathesse, adorée de tous, qui n’aurait jamais cautionné une telle tournure des événements.
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