Chapitre 17 : Partie 1/3
Comme à son habitude, le lurnath ne lui avait pas décroché un seul mot.
Erhwa quitta le bâtiment d’un pas rapide. Quelques heures de tranquillité sans le nergecyen s’offraient à elle et elle comptait bien en profiter. Il lui fallait faire un compte rendu à Shin sur l’intégration de Gaël au clan, mais avant ça, un détour par le quartier LicifethR s’imposait.
L’irnathesse traversa et remonta à grandes enjambées les places et rues menant au quartier noir. Une heure suffit à ce qu'elle y parvînt. Elle emprunta ensuite une paire de ruelles délaissées, puis gagna l’entrée du café ONathYr sans plus tarder. Par réflexe et tout de même méfiante, elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule avant de s’y aventurer. Personne ne l’avait suivie.
L'ambiance était toute autre qu'à sa dernière visite : la fumée n’accaparait pas ses narines, aucun brouhaha ne parvenait à ses oreilles et la faible luminosité se résumait à de timides lueurs rougeâtres. La salle n’était pas vide, mais la clientèle libertine laissait place à tous les dépressifs du royaume réunis. Erhwa balaya la pièce trop calme des yeux avant de rejoindre Sethe qui l’attendait toujours à la même table. Il paraissait soucieux, le visage fermé, alors qu’il triturait son verre plein. Il se redressa à son approche et passa une main dans ses cheveux qui retombèrent sur son front avec mollesse. Erhwa s’étonna de son style négligé : coiffure inexistante, barbe naissante autour de sa moustache en bataille… Cela ne lui ressemblait pas.
- Alors ? demanda-t-elle en s’asseyant.
Il tira de sa poche une petite fiole au liquide verdâtre. Erhwa la ramena à hauteur du visage, puis, satisfaite, la glissa dans sa besace en cuir.
- Alors on ne se trompait pas.
- Ça fonctionne, c’est sûr ?
- Oui.
Sethe se racla la gorge et poursuivit, un ton plus bas :
- Leur dôme ne désintègre pas le gène Z, contrairement à ce qu’on croyait. C’est ce qu’ont révélé les tests.
Erhwa profita du passage d'une serveuse pour réclamer un jus d’ombre. Elle attendit qu’elle s’éloignât pour reprendre :
- Qu’est-ce que ça signifie ? Qu’on aurait pu le traverser depuis le premier jour ?
- Non. Attends, laisse-moi t’expliquer.
Il marqua une pause quand son verre arriva ; l’irnathesse s’empressa d’en boire une gorgée.
- Il est fort à parier que les nergecyens ont conçu leur protection tout comme la nôtre : avec le don, évidemment, et aussi des vies pour cibler les caractéristiques à contrer, pour repousser le gène Z. Mais ils ont oublié une chose, et pas des moindres : leurs origines. C’est la haine qu’ils nous portent qui les a aveuglés.
Erhwa arqua un sourcil, un sourire naissant sur les lèvres.
- Ils ont oublié qu’eux aussi possédaient ce gène ?
- Exactement, confirma son fournisseur. Enfin… presque. Pour être plus exact, le temps et la mixité des races ont modifié ce gène. La plupart des nergecyens possèdent une variante du nôtre. En revanche, ils ont développé une résistance naturelle plus poussée. Leur dôme autorise seulement le passage de cette caractéristique que nous n’avons pas.
- Des centaines de vies perdues pour en arriver à ce résultat, murmura-t-elle.
Elle prit une nouvelle lampée de sa boisson, pensive. Cela faisait des mois que Shin organisait des tests pour trouver le moyen de détruire le dôme des nergecyens. Des irnaths volontaires, à qui l’on avait promis un objectif tout autre, s’étaient adonnés à ces expériences, avec nulle autre finalité que la mort elle-même.
- Des centaines de vies pour trouver la solution, rectifia-t-il.
- Mais s’ils possèdent aussi ce gène… percuta Erhwa, le regard soudain inquiet. Ça veut dire qu’ils peuvent passer notre protection ?
- N’as-tu pas écouté ce que j’ai dit ? Ils ont jadis possédé ce gène. Les tests ont révélé une variante seulement, ce n’est pas suffisant pour passer notre dôme. Tu sais ce que cela signifie ?
Elle plissa les yeux, méfiante.
- En buvant l’élixir qu’on a créé, nous pouvons passer d’un dôme à l’autre sans problème.
Son regard s’éclaira.
- Tout comme un sang-mêlé !
- C’est précisément pour cette raison que ton... nergecyen a pu le traverser sans problème.
- Sa durabilité ?
- Soixante-douze heures à partir de l’ingestion.
Ce qui laissait suffisamment de temps, elle l’espérait, pour l’opération N.
- As-tu un autre flacon de son sang ? demanda-t-il. J’aimerais en faire plus. Beaucoup plus.
Erhwa finit son verre cul sec. Celui de Sethe était toujours plein. Il n’y avait pas touché.
- Le nergecyen a assez souffert.
Elle n’avait eu aucun mal à récupérer des échantillons lorsqu’elle s’occupait de panser ses plaies. Ils lui devaient leur réussite. Erhwa prit une grande inspiration, nerveuse. Pour créer l’élixir, son fournisseur lui avait demandé une récompense un peu trop ambitieuse à son goût : flacons de sang de dragon, dents et écailles à profusion… Cette fois, Ulreyh avait refusé de céder. Et elle allait devoir l’annoncer à Sethe. Elle poursuivit, d’une voix soudain plus douce, plus langoureuse :
- Concernant le paiement…
- On verra plus tard, la coupa-t-il. Tu m’en devras une.
Elle haussa les sourcils, surprise. Comme s’il était pressé d’en finir, ses traits se durcissaient et son talon frappait nerveusement le parquet, tandis que son regard s’évadait. Quelque chose clochait. Elle laissa l’inquiétude la gagner à son tour.
- Il y a un problème ?
Sethe prit enfin une grande lampée de sa boisson.
- C’était notre dernière entrevue. Je vais arrêter.
Erhwa sentit sa respiration s'accélérer et une bouffée de chaleur l’envahir. Elle s’imaginait déjà traquée par la patrouille de Naleth, avant de se retrouver bannie du royaume. L’irnathesse s’efforçait de garder son sang-froid, malgré la sonnette d’alarme qui résonnait dans son esprit. Sethe engloutit d’une traite le contenu de son verre, puis lâcha un long soupir. L’odeur âcre de l’alcool brûla les narines de sa compère qui ne cacha pas son dégoût.
- Mes complices continueront de te couvrir, la rassura-t-il. La surveillance grandit de jour en jour… De plus en plus de patrouilles investissent le quartier, mais ce qui me tracasse le plus… c’est toi.
Erhwa fronça les sourcils. Son teint pâlit.
- Va droit au but, exigea-t-elle d’impatience.
- Tu es ma plus fidèle cliente, je te dois bien ça.
Il soupira et gigota sur sa chaise, mal à l’aise. De la sueur venait perler jusque sous ses yeux cernés. Il l’essuya du bout d’une de ses manches et renifla bruyamment. Il n’avait plus rien du négociateur distingué et sûr de lui.
- Mes espions m’ont rapporté de sales nouvelles. Tu n’es pas sans savoir que demain soir aura lieu la fête vouée à NathYr…
Bien sûr qu’elle le savait. C’était bien la dernière occasion de lui rendre hommage en public… À vrai dire, Erhwa s’étonnait toujours que Shin ne l’eût pas supprimée.
- Les OrihR comptent en profiter pour éliminer un maximum de NeohLeth. En ce moment-même, ils marquent les habitations de tous ceux qui s’opposent à la monarchie. On m’a informé que ton nom figure sur leur liste.
Cette nouvelle la frappa de plein fouet. Non, il devait forcément lui faire une mauvaise blague. Elle éclata d’un rire nerveux.
- C’est impossible, enfin. Je suis la conseillère du roi.
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