Chapitre 19 : Partie 2/2
Ils longèrent un couloir terreux délimité par une herbe sèche, puis s’arrêtèrent au pied du bâtiment arrondi. Une large porte de fer barrait leur progression. Ulreyh tira une clé de sa sacoche et la fit pivoter dans la serrure. Une suite de cliquetis accompagna son geste, qui se termina dans une longue plainte. Gaël ne suivit pas l’irnath tout de suite, pour prendre le temps de s’habituer à l’obscurité ambiante. Quand il entra à son tour, une odeur de renfermé l’envahit. La pièce circulaire lui rappelait la prison dans laquelle il avait séjournée à son arrivée sur ces terres.
Il réprima un frisson de colère. Se rappeler de la façon dont ils l’avaient traité le rendait vert de rage. Néanmoins, Gaël réussit à garder son calme au prix d’un terrible effort.
Ils traversèrent la pièce, empruntèrent les escaliers du fond et franchirent le seuil d’une ouverture à mi-niveau. Des étagères en bois sombre étaient fixées sur toute la hauteur de la salle, tandis que des caisses, claires cette fois, s’entassaient ici et là. Ulreyh s’affaira à fouiller l’une d’entre elles.
- Prends ça, dit-il au bout d’une minute.
Il lui jeta un long pan de cuir dans les bras, que Gaël rattrapa de justesse. Malgré la pénombre ambiante, le commandant pouvait distinguer certains éléments : essentiellement du tissu et des objets métalliques en tous genres, des appareillements qui lui étaient inconnus, des armes. Une pensée malsaine naquit dans son esprit et secoua son échine. Trop occupé à ses affaires, l’irnath ne lui prêtait guère attention. Gaël n’aurait aucun mal à s’armer et à se débarrasser de lui. Ses mains devinrent moites et sa respiration s’accéléra. La tentation fourmillait dans ses doigts. Il suffisait juste de…
Non.
De toute évidence, cette idée empestait l’échec. Gaël était sur le point de se rendre à Nergecye, aucun faux pas n’était permis à ce stade. Une nouvelle pièce en cuir vint alourdir ses bras. Ulreyh continuait de chercher. Il déplaçait des caisses et empilait toutes sortes d’objets qui s’entrechoquaient dans un grand fracas. De temps à autres, il chargeait encore un peu plus Gaël qui attendait patiemment malgré les poids qui s’accumulaient.
Soudain, de l’irnathi résonna. Gaël se tourna en dissimulant au mieux son sursaut. Deux points rouges se détachaient de l’obscurité. Un irnath venait de surgir sur leur gauche, dont la silhouette se dessinait avec plus de précision à chacun de ses pas.
Ses épaules carrées s’apparentaient un mur infranchissable. Avec son visage fermé et ses traits marqués, pas une once de bienveillance ne se dégageait de lui. Ulreyh fit une pause, et en le regardant à peine, lui répondit dans cette langue incompréhensible. L’irnath les jugea de haut en bas et tordit ses lèvres. Sa voix grave s’éleva encore, puis, impassible et dans le silence le plus total, il revint sur ses pas et disparut de leur champ de vision aussi vite qu’il était apparu. Ulreyh ramassa son désordre et indiqua la porte d’un geste de la tête. Une certaine anxiété se décelait dans ses mouvements plus rapides. Ils venaient de se faire voir… n’auraient-ils pas dû éliminer l’irnath comme l’avait suggéré Erhwa ? Gaël espérait que ce détail ne serait pas une gêne pour la suite. Il était hors de question qu’ils ne pussent rejoindre Nergecye.
En moins d’une minute, la clôture et l’inquiétante tourelle se retrouvèrent derrière eux, et ils atteignirent la forteresse des dragons plus vite qu’à l’aller. Ces murs, interminables, lui donnaient toujours autant le vertige. Mais surtout, l’idée de se retrouver à nouveau à l’intérieur l’effrayait. Il espérait ne plus jamais se retrouver nez à nez avec un dragon, et pourtant…
La porte se referma derrière lui.
Le grand espace verdoyant lui semblait à présent hostile. Il préférait encore se trouver dehors, sur le sol sec et saccagé, plutôt qu’ici, dans cet enclos végétal bariolé.
- Reste derrière moi et fais ce que je te dis, lui somma Ulreyh.
Gaël ne se remémorait que trop bien Khreir et sa gueule grande ouverte. La flamme, au fond de la gorge du monstre, qui menaçait de l’embraser à tout instant.
Ils suivirent les immenses parois durant d’interminables minutes. Des grondements tonnaient de temps en temps et alourdissaient l’ambiance déjà pesante.
Puis ce qui devait arriver arriva.
Le dragon noir troubla l’air et fit trembler le sol. Cette fois, Ulreyh l’immobilisa de sa foudre sans plus attendre. Il assembla ensuite plusieurs éléments ramenés de la tourelle et s’approcha du reptile. Contre toute attente, il ne le brusqua pas et tapota son museau avant de commencer à l’équiper. Les filaments de foudre s’évanouirent, pourtant le monstre se montrait docile.
- Pose les affaires ! cria-t-il à Gaël.
Le jeune homme s’exécuta aussitôt. Absorbé par ce qu’il voyait, il en avait oublié la douleur qui courait dans ses bras engourdis. Ulreyh réclama son aide et ils passèrent presque une heure à équiper Khreir. Le monstre possédait une masse musculaire incroyable, et venir y accrocher des installations pour le chevaucher demandait beaucoup d’efforts et de temps.
- Erhwa ne devrait plus tarder, annonça Ulreyh une fois le travail terminé.
Il guida le reptile à l’autre bout de la forteresse, où le filet ne les séparait plus du ciel à présent rougeoyant. L’irnathesse était déjà là, adossée contre le mur, à côté de la porte. Elle soupira et s’en décolla avec peine pour les rejoindre.
- Vous avez été longs, râla-t-elle.
Une griffure barrait sa joue droite, tandis qu’une série de plaies marquait ses bras et ses jambes. En la voyant, Ulreyh ronchonna :
- Dis-moi que tu n’as pas fait de bêtise.
- J’ai seulement fait le nécessaire, se défendit-elle. Personne ne vous a vus ?
- Non.
Erhwa les dévisageait tour à tour, l’air sceptique et contrariée. Après un long silence, elle plongea une main dans sa besace pour en tirer une petite fiole pourpre. Elle fit sauter le bouchon de son pouce et trempa ses lèvres dans la mixture, avant de la tendre à son compère.
- Fais comme moi et donne le reste à Khreir.
Peu rassuré, il en sentit le contenu et grimaça.
- Tu es sûre que ça nous couvrira assez de temps ? Et on pourra passer notre dôme avec ça ?
- Trois jours, ça devrait suffire non ? Et fais-moi confiance.
Il humecta ses lèvres à son tour. Au même moment, un mammifère choisit de les rejoindre. La petite boule de poils innocente courait le long du mur, passant de buisson en buisson. Ulreyh le foudroya sur place, puis partit le chercher et fourra la fiole dans sa gueule. Il attira l’attention du dragon avant de jeter la boule de poils inanimée en l’air. Le reptile n’en fit qu’une bouchée.
- Ça devrait faire l’affaire, commenta Erhwa.
D’un coup, une explosion sourde résonna en provenance de la ville. L’irnathesse se figea, le visage décomposé, les yeux écarquillés. Le bruit retentit une nouvelle fois.
- Ils ont commencé… On y va.
La voix d’Erhwa avait été claire et forte. Elle paraissait sûre d’elle, toutefois ses traits déformés trahissaient son inquiétude. Elle se rua vers le dragon et s’y hissa avec une facilité déconcertante. Le commandant se précipita à son tour, mais à l’approche de la bête, il hésita et s’arrêta. L’animal, était juste là, au moins dix fois plus grand que lui, monstrueusement imposant.
- Monte ! s’impatienta Ulreyh.
Poussé par l’irnath et la pression ambiante, Gaël prit une grande inspiration, puis s’agrippa aux écailles, plus souples que ce qu’il imaginait, s’élança et saisit une attache fixée sur un pan de cuir. L’irnathesse lui tendit sa main qu’il attrapa sans réfléchir. Debout sur le dos du reptile, le commandant faillit perdre l’équilibre. La bête se mouvait à peine, mais le roulement de ses épaules le déstabilisait. Il s’accroupit pour ne pas tomber, et tout en s’agrippant aux coques de Khreir, gagna la selle montée un peu plus tôt par Ulreyh qui le suivait de près.
- Enroule tes bras et tes jambes, lui conseilla Erhwa.
Sans aucun repère, il l’observa et exécuta ses mouvements à l’identique. De chaque côté de son siège, un simple morceau de cuir surélevé, bombé à l’avant et à l’arrière, se trouvait un étrier, duquel pendaient deux lanières noires. Il s’empressa de bien se positionner, puis attacha avec soin les morceaux de tissu autour de ses mollets, qu’il serra de toutes ses forces. Ensuite, il cala ses coudes contre l’avant du cuir proéminent et enroula son bras gauche de la même façon que le bas du corps. Une fois bien fixé, il s’accrocha fermement à une attache à portée de sa main droite. Le dos voûté, il appuyait son front contre les écailles du monstre, les yeux fermés, priant pour ne pas se retrouver éjecté lors de l’envol.
- La nuit va être longue, annonça l’irnathesse.
Khreir se projeta dans les airs.
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