3ème partie
On tambourina violemment à la porte de ma chambre en pleine nuit. Je me réveillai en sursaut et me hâtai d’ouvrir à Roderick qui tremblait de tous ses membres. Son regard affolé n’augurait rien de bon. Il gesticulait comme un pauvre diable en balançant des propos incohérents sur sa sœur jumelle.
― Mon cher ami, je me fais un sang d’encre… je crains que Madeline ait disparu ! gémit-il.
― Hein ?
― Elle a disparu, t’as pigé ? Je redoute qu’un malheur lui soit arrivé…
― Tu as dû faire un cauchemar, vas te recoucher, objectai-je la voix tout ensommeillée.
― As-tu compris ce que je te dis ? s’énerva-t-il les mains sur les hanches.
À cet instant précis, la tension était palpable dans la pièce. Norman Bates en profita pour surgir de nulle part, bien flippant dans son apparition.
― Euh, monsieur Usher, votre sœur vous réclame.
― Désolé de t’avoir réveillé, s’excusa Roderick confus.
― Pas grave, le sommeil, c’est surfait, plaisantai-je avec une furieuse envie de lui balancer mon oreiller à la tête.
Par la suite, j’entendis de mystérieux bruits sourds depuis mon lit. Impossible de me rendormir avec ce boucan, j’avais l’intime conviction que mon ami me cachait bien des choses.
Après avoir feuilleté quelques pages d’une bluette sentimentale soporifique — un livre qui traînait sur la table de chevet —, je finis par m’assoupir…
Ce matin-là, Roderick se montra d’humeur joviale, balançant même des petites blagues grivoises au petit-déjeuner, et il me réaffirma la joie que ma présence lui procurait. Toutefois, il dévia toute conversation à propos de sa sœur qui brillait par son absence. L’alarme de ma méfiance était activée, prête à sonner au moindre signe de suspicion.
Bien que cela fut une journée spéciale pour moi, je décidai de reporter mon départ au lendemain afin de lui rebooster le moral. Malgré tout, je déprimais en vue de l’exaltant programme qui m’attendait.
Je fis une nouvelle tentative pour l’extirper de cette maison, ce qui se solda par un refus catégorique de sa part sous prétexte de sa santé dégradée.
En guise d’activité, nous regardâmes Le Corbeau de Roger Corman avec Vincent Price et Boris Karloff. Devant l’écran, je bouillais intérieurement, regrettant mon choix de rester près de Roderick. Son comportement m’agaçait, car il ne se souvenait pas d’une information importante à mon sujet. Tu parles d’un super ami, autant faire du lèche-vitrine avec mon épouvantable ex-femme !
Norman Bates nous amena un festin digne d’un hospice avec un potage de légumes et une omelette nature, le tout disposé chichement sur un plateau jaune tout fêlé. Comble de l’horreur, il avait omis le dessert. En quête de ma dose vitale de sucre, je me dirigeai vers la cuisine, mais le majordome me bloqua l’accès d’une drôle de façon. Il me fusillait de son regard de tueur, prêt à montrer ses crocs de cerbère.
― Où allez-vous ?
― Du calme, Nosfe… euh, Norman ! Je vais me prendre un petit dessert.
― Je vous interdis de rentrer dans ma cuisine ! C’est compris ?
― Et mon dessert ?
― Pas de dessert, vous avez suffisamment mangé, rétorqua-t-il de sa voie juvénile et suraiguë qui commençait à me taper sur le système.
Une certitude, cet hurluberlu tramait quelque chose en douce et surtout de pas très catholique. Que me cachait-il ? J’imaginais bien Norman planquer un cadavre dans le congélateur, ou encore en pleine séance de torture de guili-guili sur une pauvre jeune femme blonde. Et au fait, Madeline n’avait toujours pas donné signe de vie, ce qui devenait inquiétant.
J’interrogeai Roderick à propos de sa sœur. Le visage impassible, il botta en touche avec la virtuosité d’un joueur de poker. Il prétexta une migraine foudroyante pour se retirer dans sa chambre, me laissant en plan avec mes questions gênantes. Tant pis, j’irais à la pêche aux informations, même si je n’étais pas emballé de travailler le majordome au corps.
Alors que je m’apprêtais à fureter dans le bureau de Roderick, j’entendis toquer à la porte. Je me précipitai, espérant retrouver Madeline. Mauvaise pioche. Je fis face à un homme chauve qui tenait un long sabre dans son fourreau noir. Ses yeux enfoncés et son sourire flippant lui donnaient un faux air de l’oncle Fester de la famille Addams. Vu sa mine patibulaire, je parierais qu’il s’agissait d’un parent de Norman Bates.
― Bonjour monsieur, marmonnai-je sur la réserve.
― Bonjour, est-ce que Norman Bates est là ?
― Qui dois-je annoncer ?
― Je suis Julio, le sabreur, répondit-il d’une voix rauque en pointant son arme vers moi.
― Ah, Bonjour Julio, viens avec moi ! s’exclama Norman Bates dont la soudaine apparition à mes côtés me fit sursauter.
― Norman, je peux zigouiller ce gars ? Sa tête ne me revient pas, rétorqua Julio.
― C’est l’invité des Usher.
― N’empêche que sa tête ne me revient pas, affirma-t-il le regard sombre avec un rictus zarbi.
Je déglutis et touchai par réflexe ma gorge. Mon père m’avait toujours dit de se méfier d’une personne avec une longue lame. À cet instant précis, je voulais bien le croire. Il ne fallait surtout pas que je flanche face à l’adversité, je devais me montrer fort. Et puis crotte de bique, ce n’était pas un jour pour mourir. Je me ressaisis et bombai le torse prêt à affronter ces deux zigotos.
― Julio, vous n’êtes pas gentil, balançai-je, pas si fier que ça de ma réplique.
Il se rapprocha et me jaugea avec ses yeux de fouine tout en caressant son sabre. Je n’en menais vraiment pas large.
― Arrête de le taquiner, et viens avec moi à la cuisine, intervint Norman tel le preux chevalier sauvant sa damoiselle de sa tour infernale.
― Et lui, il peut venir à la cuisine ? râlai-je.
― Lui, oui ! Vous, non ! C’est clair, comme ça ?
― On ne peut plus clair, mais je vais me plaindre à Roderick.
― C’est ça, allez chouiner dans les jupes du patron, se moqua le domestique.
― Vous êtes méchant ! répliquai-je les larmes aux yeux, et je fis semblant de monter dans ma chambre alors que j’avais une autre destination en tête.
J’attendis quelques minutes avant de mettre mon plan en action qui consistait à retrouver Madeline au plus vite. Une petite voix me soufflait qu’elle était toujours dans cette maison de timbrés.
Je me rendis à pas feutrés jusqu’au bureau de Roderick où je pus me faufiler sans difficulté. Youpi !
Sans perdre une seconde, j’entrepris de fouiller les tiroirs du meuble en ébène ouvragé. Je ne trouvai rien de compromettant, à part quelques factures de bouteilles d’alcool. Mais mon attention se porta sur un paquet déposé sur le siège. Cela me démangeait de le déballer, entraînant un dilemme intérieur entre ma bonne et mauvaise conscience. Après réflexion, je préférais m’assoir sur mes principes de gentleman, alors autant vérifier le contenu. Tandis que je m’apprêtais à déchirer le papier kraft, je ressentis une très vive douleur au sommet du crâne et perdit connaissance...
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