2ème partie
Le majordome Nosferatu, qui se nommait en fait Norman Bates comme le tueur fou de Psychose, me proposa une collation que j’acceptai volontiers. En dépit de la déprime ambiante, j’avais une faim de loup. Je suivis le domestique dans la cuisine où les vieux meubles en noyer mal entretenus donnaient un aspect glauque, sans parler du carrelage mural en piteux état.
En y réfléchissant, je trouvais que Norman était bien assorti à la demeure. Quand il remarqua que je l’observai avec attention, tout penaud, il m’esquissa un simulacre de sourire. Vu que ses traits ne se prêtaient guère à ce type de démonstration, bon prince, je ne lui en tins pas rigueur. Il me prépara un sandwich et me servit une part de tarte aux pommes avec un verre de lait.
― Avez-vous fait un bon voyage ? s’enquit-il.
― Oui, mon trajet s’est bien passé, mais je suis vraiment naze.
― Voulez-vous une camomille ?
― Euh non, merci c’est gentil. Au fait, depuis combien de temps travaillez-vous pour la famille Usher ?
― Depuis environ sept ans, après le décès de mon oncle qui occupait ma fonction. Notre famille est au service des Usher depuis des générations.
― Vous êtes le neveu de Bernie ? Celui qui ressemblait à Frankenstein… euh je veux dire Frank Einstein, l’arrière-petit-fils d’Albert… je crois un jet-setter, un truc comme ça.
― Ah bon ? Frank Einstein, connais pas, s’étonna-t-il.
―Un brave gars, ce Bernie, mais il n’était pas trop loquace d’après mes souvenirs.
― Il était muet, coupa Norman de sa voix juvénile.
Je me levai de ma chaise pour reprendre une nouvelle part de cette délicieuse pâtisserie au frigo. Le majordome me bloqua le passage, aussi rapide que l’éclair.
― Que faites-vous ?
― J’aimerais bien avoir encore un peu de tarte aux pommes.
― Rasseyez-vous, c’est à moi de vous servir ! s’emporta-t-il, les yeux exorbités.
Après le repas, je m’isolai dans ma chambre. Je ne cherchais pas à comprendre la réaction de Norman Bates, la jugeant disproportionnée. Malgré tout, mon instinct me soufflait de me méfier de ce sinistre personnage.
Je dormis comme un bébé et me réveillai vers dix heures. Je me sentais en pleine forme, et ma mauvaise humeur s’était volatilisée comme par enchantement, enfin… jusqu’au moment où j’ouvris les volets. Un épais brouillard empêchait le soleil de percer. Quel temps pourri ! J’étais un habitué du climat californien, et cela me changeait radicalement, mais il m’en fallait plus pour m’abattre. Même si je comptais ne pas faire de vieux os dans ce charmant endroit, j’étais bien déterminé à profiter de mon séjour.
Après m’être douché, rasé de près et habillé, je rejoignis mon ami qui m’attendait dans le salon. Il paraissait avoir rajeuni par rapport à la veille. Ce constat me fit plaisir. Je lui proposai une sortie en ville, histoire de lui changer les idées, mais Roderick refusa poliment. Il préférait des activités à la maison, en prétextant que le grand air lui était nocif. Je me retenais de le secouer comme un prunier pour l’extirper de sa torpeur perpétuelle. Nous passâmes donc la journée à nous divertir avec des jeux de société, jonglant entre le Docteur Maboul, le Dada et les 7 familles. Bien qu’il se montrât un adversaire enjoué, je ne m’éclatais pas des masses.
Nous entendions par intermittence des bruits de perceuse et de marteau. Je demandai à mon ami si des ouvriers effectuaient des travaux. Il ne comprenait pas pourquoi je lui posais cette question et me scruta comme si j’avais une corne au milieu du front.
Toutefois, ma compagnie avait un impact positif sur Roderick qui reprenait du poil de la bête. Cela me faisait plaisir de le voir se requinquer si vite. Et je trouvais même la demeure plus chaleureuse, remarquant au passage que l’odeur de moisi s’était bien estompée. Finalement, je ne me sentais pas si mal, mais je comptais toujours repartir dès demain. À mon grand regret, je n’eus pas l’occasion de recroiser la ravissante Madeline...
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