Chapitre 1 : Le Cauchemar (ou quand on se dit que la vie réelle, c'est bien aussi)
Elle... flottait. Oui, c’est ça, elle flottait. Cette curieuse impression de planer, de s’élever. Mais elle ne volait au-dessus des nuages, en fait, elle était simplement à quelques centimètre au-dessus du sol, en train de léviter. Oui, léviter était exactement le mot qu’il fallait pour décrire sa curieuse situation. Car, pour être curieuse, la situation était curieuse. Tout simplement car il n’était pas dans les habitudes de la jeune fille de s’élever à quelques centimètres du sol. Mais cela ne la perturbait pas plus que ça, parce qu’un sentiment de déjà-vu la troublait. Cet infime sentiment s’estompa quand son regard se posa sur l’étrange paysage qui l’entourait. Dire qu’elle se trouvait dans une forêt n’était pas vraiment exacte, et le mot le plus proche qu’elle trouva fut une jungle. Une très jolie jungle, certes, mais une jungle quand même. Serpents et bêtes sauvages livrées avec. Naturellement, la première réaction de l’humaine fut de bouger, pour éviter de servir de buffet à toutes les bestioles, petites ou grosse, qui commençaient dangereusement à s’intéresser à elle. Sauf que ce premier test ne fut pas très concluant. Car, en effet, ses différents membres refusaient de lui obéir. Son seul « organe » qui voulait bien lui donner l’offre de quelques mouvements, si douloureux fussent-ils, était la bouche. La jeune fille ne s’en priva pas, pour rester poli. Car, en fait, elle cria, hurla, s’égosilla, comme vous voulez, mais, en tout cas, une puissance sonore extraordinaire s’échappait de ses lèvres pulpeuses. Soudain, elle sentit un poids se poser sur son corps. Elle entendit une voix lui chuchoter à l’oreille. Ce qui était tout de même bizarre, car elle se trouvait dans une jungle, et qu’elle ne voyait rien sur son corps, à part une légère robe blanche, qui lui donnait l’air d’un fantôme. Elle s’arrêta donc de crier, pour mieux entendre ce que disait la voix. « Calme toi, tu es en sécurité, tu n’as rien à craindre, je veille sur toi... » Etrange, cette voix. Bien sûre qu’elle avait quelque chose à craindre ! Car un serpent, long d’au moins cinq mètres, était en train de lui monter sur la jambe. Bizarrement, elle voyait le serpent monter sur sa jambe, mais ne sentait pas son corps écailleux sur sa peau. Le serpent montait de plus en plus sur son corps, et bientôt il sera sur sa poitrine. Mais le gros reptile s’arrêta à son abdomen, il la mordit. Et elle se réveilla.
Le poids qu’elle sentait sur son corps n’était en fait que sa petite sœur, Alice. Elle continuait de lui chuchoter qu’elle ne craignait rien, qu’elle était là. Elle n’avait pas remarqué que sa sœur s’était réveillée. La jeune fille repoussa Alice, et celle-ci sursauta.
« Tu es réveillée ! s’écria-t-elle
- Mes oreilles, s’il te plait, Alice... Et je suis désolé que de t’avoir réveillée en criant...
- Ne t’inquiète pas, de toutes façon, je ne dormais pas. J’étais trop anxieuse pour demain...
- Ce n’est pas une raison, Alice ! si tu ne dors pas, je vais devoir te donner des somnifères ! Et je pense que les juges vont mal te juger s’ils voient ça.
Elle désigna du menton les énormes cernes qui grisaillaient les joues roses de sa sœur. En effet, Alice dormait très peu en ce moment, entre les cauchemars de sa grande sœur et ses propres inquiétudes.
- Je me maquillerai, ce n’est pas si grave ! Ce ne doit pas être si compliqué que ça de camoufler mes cernes...
- Oui mais tu risques de t’endormir sur scène ! la taquina sa grande sœur
- Arrête de me mentir ! puis elle lui balança un oreiller sur la tête.
- Je ne te mens pas ! et celle qui était censé donner l’exemple se vengea, Ce ne sera pas ma faute si tu ronfle devant le jury, je t’aurai prévenue ! »
S’ensuivit une grande bataille d’oreillers, ponctuée de « Oh la ronfleuse ! » et de « Moi, une ronfleuse ! Tiens, prends toi cet édredon dans la figure ! » Aussi, les sœurs n’entendirent ni les pas qui s’approchaient d’elles, ni la porte qui s’ouvrit en grinçant.
La femme qui se tenait sur le palier s’appelait Annabelle. Elle était grande, un mètre quatre-vingts. Ses cheveux argentés, extrêmement lisse, retombaient sur ses épaules tel un casque. Ses yeux étaient bruns, voilés par une tristesse sans égard. Mais l’expression de son visage se voulait sévère, endurcit par les difficultés rencontrées dans sa vie. Elle n’était pas maquillée, et quelques rides causées par le temps traversaient son visage. Elle devait être d’une beauté sans égale, avant que des malheurs ne l’usent. Elle portait une espèce de kimono blanc, tenue par une ceinture aux gais motifs floraux.
Sa silhouette svelte se dirigea vers de majestueux rideaux desquels s’échappait la lumière du soleil. Elle ouvrit les grands rideaux d’un coup sec, et la lumière envahit la chambre. La grande baie vitrée que couvraient les rideaux donnait sur un lac peuplé de cygnes, de canards et de grenouilles.
Les deux sœurs, qui ne s’attendaient manifestement pas à voir la vieille dame, tombèrent du luxueux lit baldaquin. Dans la majestueuse chambre, le soleil illuminait les moindres recoins. Le grand lit baldaquin était au centre de la pièce. Les murs étaient blancs et un seul rose pale. Des tas d’étagères remplient de trucs et de machins étaient disposée un petit peu partout dans la chambre. Et sur un des murs se tenait une immense bibliothèque, bourrée de centaines de livres et de BD. Un escalier donnait sur une petite mezzanine avec un bureau et encore des livres. La chambre avait deux portes : une qui communiquait avec un couloir et l’une avec un dressing suivit d’une salle de bain. Quand on ouvrait la baie vitrée, on pouvait directement aller dans l’herbe et courir dans le jardin. C’était une chambre magnifique.
« Annabelle ! Quelle bonne surprise ! s’enquit Alice sous un sourire crispé.
- Ce n’est pas du tout une surprise étant donné que je t’avais dit que je viendrais te réveiller à 8 heures, reprit la vieille dame. Puis elle se tourna vers la grande sœur : Et toi Alix, je t’avais prévenu, ta sœur doit dormir si elle veut réussir à chanter devant les juges. Si cela continu, je devrais te donner des somnifères plus efficaces.
- Mais on a déjà pris les plus puissants de la Pharmacie ! Et la dame nous a dit que cela pouvait devenir dangereux pour mon organisme !
- Si tu ne prends pas de somnifères, tu fais des cauchemars. Si tu fais des cauchemars, tu cris. Si tu cris, tu réveilles ta sœur. Et si tu réveilles ta sœur, elle chantera mal. Donc tu prends des somnifères. »
Sur ce, elle sortit.
Alice regarda Alix d’un air désolé, puis sortit de la chambre. Alix, resté seul dans l’immense pièce, ressentit un pincement au cœur. Ce sera de sa faute à elle si sa sœur ne gagnait pas. Une larme coula sur sa joue. Elle était le mouton noir. Celle qui n’avait aucun talent spécial, celle qui semait la pagaille là où tout était en ordre. Sa sœur, quant à elle, était une étoile. Elle chantait comme un ange, dansait comme un soleil, dessinait comme une déesse et avait une imagination débordante. En plus de tout ça, sa beauté n’avait d’égal. Silhouette svelte, cheveux blond caramel ondulants le long de son dos, sourire à fossettes, joues roses et yeux d’un vert pétillant. Pour Alix, la nature avait compensé toute cette beauté avec une fille terne et fade aux courts cheveux bruns et aux yeux tout aussi bruns. La seule raison pour laquelle cette erreur de la nature, comme elle s’appelait, voulait vivre, c’était pour l’amour qu’elle portait à sa sœur. Un amour fraternel, qui les unissait dans la perte de leurs parents et qui en fait aussi des amies, des confidentes, comme des sœurs jumelles. Ainsi elles n’avaient pas beaucoup d’autres amies qu’elles même, et n’allaient pas beaucoup vers les autres, car elles dépendaient déjà l’une de l’autre.
La seule chose qu’Alix savait faire, c’était réfléchir. Réfléchir, trouver une solution, raisonner. La logique était sa meilleure amie et les maths l’inspiraient. Posez-lui un problème, et elle vous trouvera une solution en un rien de temps. Les chiffres se rangeaient à leur place, les possibilités se formaient, et le raisonnement s’imprimait dans son cerveau. Elle dévorait les livres, mais son manque d’imagination l’empêchait d’en écrire et cela la frustrait. Son vocabulaire était remplit de mots compliqués, elle ne faisait aucunes fautes d’orthographe (elle savait comment conjuguer le verbe « bouillir » au passé deuxième forme au conditionnel). Mais dès qu’il fallait lui demander de faire quelque chose de créatif, qui demandait de la fantaisie, elle perdait tous ses moyens. C’est donc sa sœur l’artiste. Celle dont parlent les commères du village[1] pendant le thé : « Vous savez, la petite Alice, qui chante aussi bien qu’Arianna et qui écrit ses propres Mangas. ».
Alix était perdu dans ses pensées quand la voix d’Annabelle la ramena à la réalité.
« J’emmène ta sœur à la répétition de sa pièce de théâtre, tu viens avec nous, Alix ?
- Non, désolé, j’ai des devoirs à faire, répondit-elle.
- Tu es sûre ? lui demanda la petite voix d’Alice. Tu n’as jamais loupée une répet’ avant ?
- Justement, il y a un début à tout, rétorqua-t-elle d’un air énervé. »
Et elle claqua la porte violement.
Elle fut choquée de sa réaction. C’était bien la première fois qu’elle se mettait en colère contre sa sœur et qu’elle était violente avec elle. Mais bon, comme elle le disait, il y a un début à tout.
En fait, elle n’avait pas de devoirs du tout. Elle avait menti à sa sœur. Et s’était aussi la première fois. Fatigué, elle s’allongea sur son lit. Elle resta comme ça cinq bonne minutes, à observer la toile du lit à baldaquin. Elle balaya son regard sur les différentes photos encadrées posées sur une étagère. Elle toisa les visages des photos. Des petites filles aux joues roses et potelées lui rendirent son regard. Elle pensa à différentes choses pendant quelques minutes, allongée sur le lit. Puis, elle se leva, et inspecta une photo précise. Alice et elle étaient sur un poney coiffé de plusieurs tresses à deux mèches et des gros nœuds roses absolument immondes. Leurs sourires faisaient trois fois le tour de leurs visages. La joie pétillait dans leurs yeux, et un petit moment de bonheur envahit le cœur de la jeune fille. Elle regarda un autre cadre. Elles étaient dans un grand champ de fleurs, coquelicots, tulipes, marguerites, allongées dans les hautes herbes. La photo avait était prise à l’improviste, car elles étaient en mouvement, donc un peu floues. Les deux sœurs se tordaient de rire, leurs visages étaient rouges, et leurs joues étaient creusées de petites fossettes. Fossettes qui avaient disparues du visage d’Alix, mais qui restaient présentes sur celui d’Alice.
Les photos étaient placées par ordre chronologique, aussi elle se voyait changer. En 2006, Pouf ! elle était bébé. En 2007, elle se vit donner le biberon au bébé Alice. 2009, sa première rentrée, 2010, celle d’Alice. S’ensuivirent des tas de sourires étincelants, de joues roses et d’yeux pétillants. Les réussites, les défaites, Halloween, Noël et puis Pâques. Le ski, la mer et les randonnées.
Mais en 2016, fini tout ça. Plus que des regards ternes et des joues grisaillées par des cernes. Annabelle n’apparaissait que sur les photos d’anniversaires, et encore très rarement. En Mars 2016, plus précisément. Le 13.
Alix et Alice prenaient le petit déjeuné avec Annabelle, quand celle-ci s’était mise à vomir du liquide noir. Très vite, il a commencé à couler par ses yeux, ses oreilles et son nez[2]. Annabelle voulait crier, parler, mais les soubresauts et vomissements l’en empêchaient. Elle commença à trembler, ses cheveux tombaient, ses sourcils disparaissaient. Sa peau noircissait, se ridait. Les filles, totalement paniquées, criaient et n’entendaient pas les rares mots qu’Annabelle arrivait à prononcer. Soudainement, elle attrapa le bras d’Alix. Celui-ci, au contact de la main, se mit à noircir et rider à son tour. La petite fille, qui avait 10 ans à cette époque, se débattit. Alice, effrayée, partit en courant s’enfermer dans sa chambre. Annabelle s’était évanouit sous le coup de la douleur, et la petite fille était seule. Le noir continuait à envahir sa peau.
Elle avait peur.
Très peur.
Elle ferma les yeux, se disant qu’elle allait mourir sans présence humaine pour lui parler, la toucher, et lui dire « Je t’aime ». Elle rouvrit les yeux, et se sentit trembler. Elle avait mal. Sa peau était désormais ridée et noir jusqu’à son ventre. Son visage devait aussi être comme cela. Elle souffrait horriblement, mais ne s’évanouissait pas. Elle sentit un mouvement au niveau de son cil gauche, et vit, de son œil droit, son orbite gauche rouler par terre. Mais la pupille n’était plus brun noisette, mais rouge éclatant. Elle tendit sa main encore beige pour la récupérer. Elle la prit, et essaya de la remettre dans son œil, mais elle glissait.
Elle vomit soudainement des trucs qui ressemblaient bizarrement à un intestin. Elle fut prise de terreur et de dégout en sentant son œil droit partir de son visage. Son corps se décomposait SOUS SES YEUX ! Enfin, plus sous ses yeux, puisqu’elle n’en avait plus. Mais elle savait. Elle sentait un courant d’air sur son crâne. Surtout au niveau du cerveau.
Puis, ce fut le blanc.
[1] Michelle, Danielle, et Grenelle. Toujours sur le dos des autres, celles-ci !
[2] En fait, de toutes ses ouvertures... Quelles qu’elles soient...
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