Semaine 01

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Il s’assit à son bureau, les yeux fixés sur la feuille immaculée. La lumière de l’après-midi filtrait à travers les rideaux qui se balançaient sous la brise printanière, projetant des motifs délicats sur le bois de la table. Autour de lui, le calme de la pièce contrastait fortement avec le tumulte incessant de son esprit. Chaque respiration semblait soulever une nouvelle vague d’idées et des récits entremêlés se bousculaient pour émerger, mais aucun ne parvenait à franchir la barrière invisible de sa page blanche.

Dans sa tête, un véritable torrent de récits se déchaînait. Il pouvait entendre les voix des personnages qu’il avait créés, ressentir leurs émotions avec une intensité presque douloureuse. Un capitaine de vaisseau dans une mer infinie, ses pensées embrouillées par la solitude et le désespoir, naviguant sans fin vers une terre désirée. Il laisse sa place à un prince en fuite qui traversait une cité brûlante de soleil, ses pas lourds de responsabilités et de secrets inavoués, cherchant désespérément une échappatoire à son destin imposé. Il s'effaça à son tour pour laisser apparaître la silhouette d'une femme solitaire qui hésitait entre rester ou partir pour toujours, ses souvenirs tourbillonnant autour d’elle comme des feuilles mortes emportées par le vent.

Chaque histoire prenait vie avec une telle clarté dans son esprit que parfois, il avait l’impression de pouvoir les toucher, de sentir la texture des paysages qu’il imaginait, d’entendre le fracas des épées ou le murmure des vagues. Les dialogues se formaient d’eux-mêmes, les conversations entre personnages se déroulaient avec une fluidité naturelle, comme s’ils étaient déjà des êtres indépendants.

Il fixa la feuille vierge qui le défiait silencieusement. Le vide semblait l’observer, juger chacune de ses hésitations. Il inspira profondément, espérant que l’inspiration viendrait avec une clarté soudaine, mais ce n’était qu’un mirage. Les histoires qu’il portait en lui étaient trop vastes, trop complexes pour être confinées à quelques pages. Il se rappelait les heures passées à rêver de mondes lointains, de personnages fascinants, de drames poignants et de triomphes héroïques. Chaque idée était une étoile scintillante dans la galaxie de son imagination, mais elles restaient toutes suspendues dans l’obscurité, refusant de pleuvoir sur le papier.

Un frisson de frustration parcourut son échine. Il s'était toujours su doté d'une imagination débordante mais cette même abondance d’idées était devenue une malédiction. Plutôt que de l’inspirer, elle l’étouffait, le plongeant dans un état de paralysie créative. Il se demandait parfois si le problème ne venait pas de lui-même, de sa confiance en ses capacités d’écrivain. Chaque tentative de donner forme à ses histoires se soldait par un échec, une sensation d’inadéquation, comme si les mots qu’il choisissait ne faisaient pas justice à l’intensité de ses pensées.

Il se leva de sa chaise, marchant lentement autour de la pièce, tentant de chasser les pensées encombrantes. Dehors, le monde continuait de tourner, indifférent à son combat intérieur. Des enfants jouaient dans le parc, des couples se promenaient main dans la main, et des passants pressés allaient et venaient, chacun absorbé par sa propre vie. Lui restait prisonnier de ses pensées, incapable de partager les histoires qui le consumaient. Il prit une profonde inspiration et s’efforça de se recentrer, de calmer le chaos intérieur.

Il s’assit de nouveau, cette fois avec une légère résignation. Plutôt que de tenter de capturer une histoire entière, il décida de se concentrer sur un seul élément, une seule idée. Il ferma les yeux ety laissa son esprit vagabonder jusqu’à ce qu’une image claire émerge. Une jeune femme, assise sur un banc dans un parc désert, regardait les feuilles tomber des arbres avec une expression mélancolique. Il prit son stylo et commença à écrire, plein d'espoir que cette scénette serve de point de départ.

Mais dès qu’il posa les premiers mots, le doute s’installa. Était-ce vraiment ce qu’il voulait raconter ? La simplicité de la scène semblait insuffisante pour capter l’attention du lecteur. Il effaça les mots qu’il venait d’écrire, sentant une frustration monter en lui. Pourquoi était-il si difficile de commencer ? Pourquoi ses idées les plus claires semblaient-elles se dissoudre dès qu’il tentait de les exprimer ?

Il se rappela alors une citation qu’il avait lue un jour : « La perfection n’existe pas, et chercher à l’atteindre paralyse souvent la création. » Devait-il apprendre à accepter l’imperfection, à embrasser le processus plutôt qu’à se focaliser sur le résultat final ? Il prit une autre profonde inspiration et tenta de relancer l’écriture, cette fois avec une approche différente. Les mots coulèrent en lui naturellement et il se laissa porter par une nouvelle histoire.

Hiao est un jeune homme têtu. Paradoxalement, il ne lui aura pas fallu beaucoup de temps pour accepter l'existence de la musique en découvrant des partitions tracées à la main dans un tout petit ouvrage craquelé, bien planqué au fond d'une rangée invisible de la bibliothèque municipale de son village. Oh ! Sa mère lui avait bien raconté que les anciens chantaient pour apaiser les dieux, mais comme toutes les histoires qu'elle lui chantait en le prenant dans ses bras, il avait fini par ne plus y prêter grand intérêt.

Mais cette découverte avait éveillé quelque chose en lui. Les lignes sinueuses des portées et les notes dessinées avec une précision presque religieuse, avaient piqué sa curiosité. Comment ces symboles pouvaient-ils engendrer un son si mystérieux qu’on en parlait à peine ? Et pourquoi ces partitions avaient-elles été cachées dans un recoin oublié ? Des questions qui trottaient dans son esprit chaque nuit, le poussant peu à peu à se convaincre que la musique n’était pas un mythe, mais une réalité enfouie qu’il lui appartenait de redécouvrir.

Puis tout s'arrêta. Le jeune écrivain fronça les sourcils. Comment allait-il retranscrire les petits sons infinis de la vie en notes de musique ? Tout lui semblait trop banal, trop plat. Il froissa l'idée dans son esprit, comme pour l'enterrer à jamais. Il réalisa que ce n’était pas seulement un manque de confiance en lui, mais aussi une peur de ne pas être à la hauteur de ses propres attentes. Chaque histoire qu’il imaginait était un reflet de ses désirs et de ses rêves, mais aussi de ses peurs et de ses doutes. Il retenta :

14 mars 1979, Longwy. Le crépuscule s’étendait sur les toits rouillés des usines sidérurgiques, projetant des ombres longues et inquiétantes sur la ville. Au loin, les hauts-fourneaux vomissaient encore des nuages de fumée noire, mais leur souffle semblait moins vigoureux qu’autrefois. La Lorraine s’enfonçait dans la crise, et avec elle, des milliers de familles.

Chez les Keller, le dîner était silencieux, interrompu seulement par le tintement des couverts sur les assiettes en émail. André, le père, usé par des années de travail acharné à l’usine, fronçait les sourcils, concentré sur sa soupe. En face de lui, Pierre, son fils aîné, jetait des regards furtifs vers la fenêtre où l’obscurité envahissait peu à peu la pièce. La tension était palpable, une tempête de non-dits menaçait d’éclater à tout instant.

Mais comment capturer la complexité de cette relation père-fils ? Comment retranscrire la tension entre le désespoir et l’espoir ? Le crayon resta figé, et il repoussa l’idée avec frustration.

Elle avait toujours été là, cette place de la ville, lieu de passage, anonyme, insignifiant. Pourtant, aujourd’hui, quelque chose de différent semblait flotter dans l’air. Un homme pressé, une femme qui s’arrête pour l’aider à ramasser un livre qu’il a fait tomber. Leurs mains se frôlent, et sans se connaître, ils échangent un regard furtif. À quelques pas de là, un autre homme observe cette scène, pensif, un souvenir enfoui de sa propre jeunesse refaisant surface. À l'autre bout, un gamin passe en skate, des écouteurs plantés dans les oreilles ; il se dévisse le cou pour suivre des yeux un blondinet au visage saupoudré de taches de rousseur. Ce moment, aussi bref soit-il, semblait contenir une infinité d’histoires entrelacées. Des inconnus, des vies séparées, mais liées, comme les fils invisibles d’une toile.

L’idée lui parut intéressante. Mais il s’arrêta encore. Trop évasif ? Pas assez percutant ? Il n'arrivait pas à trouver l'équilibre, à saisir l’essence de cet instant fugace. Il se redressa, laissant tomber le carnet sur la table. Les idées continuaient de tourbillonner dans son esprit, mais aucune ne semblait pouvoir franchir cette barrière invisible. Chaque tentative, chaque vision d’histoire qu’il imaginait se dérobait sous ses doigts, comme du sable qui glisse entre les mains. Peut-être que tout cela n’avait aucun sens. Peut-être n’était-il tout simplement pas fait pour écrire cette œuvre grandiose qu’il rêvait de créer.

Il soupira, épuisé par cette lutte silencieuse contre lui-même. Le crayon roula lentement sur le bureau, s’immobilisant à quelques centimètres de la page restée vierge.

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