2. Michel

2 minutes de lecture

Michel était malheureux. Il ne se l'avouait pas, encore moins à ses amis. Il y avait moins d'un an, quand son cadet était parti vivre en kot, sa femme, Mariane, lui avait dit : "Tu ne me fais plus rêver". Quasiment le lendemain, elle avait entamé une procédure de divorce. Tout s'était enchaîné rapidement. Trop rapidement. Son divorce avait été prononcé il y a deux mois, sa maison quatre façades, dont il avait toujours été si fier, avait été vendue dans la foulée. A presque quarante-huit ans, Michel n'avait pas eu l'envie de se battre pour garder la salle à manger, la chambre à coucher, l'appartement à la mer, la tondeuse ou les autres futilités du quotidien. Si elle était partie avec un autre, il aurait pu se rassurer en se disant qu'un connard avait mis fin à son couple. Mais non, elle était juste partie seule, avec l'envie "de faire des choses". Qui blâmer ? Lui ? La vie ? Peu importe, elle était partie.

Cela faisait maintenant trois semaines qu'il avait emménagé dans cet appartement loué par un collègue... Juste le temps de se retourner, avait-il dit. Michel avait quand même pris le soin de choisir un logement avec deux chambres, au cas où l'un de ses fils aurait eu envie de passer le voir. Il en doutait : ils avaient leur vie, leurs cours, leurs petites-amies. Déjà qu'ils ne les voyaient plus beaucoup avant le divorce, il craignait de ne les voir que pour les grandes occasions... s'ils y pensaient ! Et puis, il n'était plus si jeune, se rapprochant inexorablement du demi-siècle. Quand le futur quinquagénaire avait réalisé ça, il avait reçu comme un uppercut dans l'estomac. Il avait préféré mettre ses pensées au plus profond de son esprit, pour ne plus y penser.

A travers cette morosité, cette noirceur du quotidien, son seul plaisir de la journée était de regarder la voisine d'en face, par la fenêtre de la cuisine. Il aimait prendre son café le matin en la voyant faire des allers-retours entre ce qu'il supposait être sa salle de bain et son dressing. Elle était apparemment incapable de choisir une tenue définitive le matin. Elle se changeait régulièrement, après s'être longuement regardée sous toutes les coutures. Il ne l'a distinguait pas très bien de si loin, mais il l'imaginait belle. Elle devait avoir la vingtaine, pas beaucoup plus, au vu de ses habitudes. Ce soir là, son regard dévia une fois de plus vers cette voisine impudique. Il aimait voir ce corps nu se promener chez elle, comme si le monde extérieur n'existait pas. Il enviait sa jeunesse, son insouciance. Elle lui redonnait espoir. Elle allait probablement sortir car elle enfilait des bas. Elle n'en mettait jamais, préférant généralement la tenue d'Eve.

Michel s'éveilla en sursaut. Il avait dû s'endormir devant la télé. Le manque de bruit et de lumière quant elle s'était éteinte automatiquement, après une trop longue période d'inactivité, l'avait probablement réveillé. Il avait mal partout à cause de sa position dans le divan et avait la bouche pateuse. Il faisait noir chez lui, il n'aimait pas les "lumières d'ambiance" comme les appelait sa femme. Son ex-femme ! Dans la cuisine, il regarda encore une fois l'immeuble en face. La voisine n'était pas rentrée seule de sa soirée. Un homme se trouvait derrière elle dans le salon, dans une position non-équivoque.

Annotations

Vous aimez lire Léa Labranche ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0