Pourquoi sans être objective ? Parce que je suis maîtresse d'école, institutrice, même si ce mot a été remplacé par la notion de "professeur des écoles". Depuis que j'ai l'âge de six ans, je sais que je veux être maîtresse, que je veux être dans une classe, faire classe et transmettre des connaissances.
J'ai grandi avec tout un cordon de maîtres et de maîtresses qui ont laissé une forte impression sur moi, tout comme les professeurs au collège, au lycée, puis à l'université. Et dans les écoles où j'ai commencé mon métier, des enseignants passionnés et chevronnés m'ont mis le pied à l'étrier et m'ont laissé faire mes premiers pas. J'ai, dans mon dos, le souffle d'un Joseph Pagnol, instituteur à Marseille. Ça peut faire rire cette image du passé, mais c'est ainsi que je conçois mon métier, au-delà des défis, des difficultés et des obstacles de notre société. Partout j'entends dire que la profession est décriée, que plus personne ne nous accorde aucun crédit, que nous ne sommes pas respectés. Je sais ce que je fais dans ma classe, je n'attends pas qu'on m'accorde un quelconque crédit, je l'ai en moi. Je sais pourquoi je fais ce métier, je sais que la société marche sur la tête, que l'éducation n'est pas simple, que les enfants sont paumés, que les parents sont paumés, mais je sais aussi que chacun fait ce qu'il peut, du mieux qu'il peut avec ce qu'il est, avec ce qu'il a reçu comme passé, comme éducation. Je sais où sont mes valeurs, mes principes, je fais classe avec mes tripes, avec toute mon authenticité, tout mon engagement et toute ma sincérité. Je mets ma sensibilité, ma créativité au service des enfants pour les aider à avancer sur le chemin. Un enfant a naturellement envie d'apprendre, à moi de lui donner les outils pour l'aider à développer tout un tas de compétences, à montrer le meilleur de lui. Cela passe par la confiance, l'estime de soi et l'envie de dépasser des obstacles.
Je bassine les élèves avec l'idée de faire des efforts et de prendre du plaisir à ouvir un livre, que lire devienne une distraction, pas une punition. Je fais classe avec les albums de Tintin, j'invite les enfants à jouer avec les mots pour devenir meilleurs en orthographe. Oui, on fait des dictées, mais on compte les réussites, le mot "faute" est banni de ma classe. On compte les réussites et on ouvre un dictionnaire phonétique pour vérifier l'orthographe des mots. On dessine les mots pour associer leur sens et leur orthographe. On joue avec des images pour manier la conjugaison : l'auxilliaire "être" devient un radiateur pour réchauffer le "Verbe" en pyjama, qui enfile un tee-shirt, en fonction du pronom personnel qui vient jouer avec lui.
Je raconte les petites histoires de la grande Histoire, pour leur montrer que le passé a tout un tas de choses à nous enseigner, y compris les bêtises et le manque de bon sens. Parce que chaque époque a eu du bon et du mauvais. A nous d'en garder les leçons et de poursuivre les bonnes idées de chaque époque, pour avancer vers l'avenir.
On parle des racines, des différentes cultures, on chante ensemble, on fait de la percussion ensemble, pour ressentir l'essentiel : la musique en notre coeur et la force des émotions. Montrer que nous pleurons tous de la même couleur quand des mots nous blessent, attaquent notre âme.
Mon école, elle n'est pas parfaite, mais elle donne une chance à beaucoup d'enfants : ceux qui ont des troubles de l'apprentissage, ceux qui sont autistes, ceux qui ont un comportement compliqué. A tous, on essaie de donner une chance. Dans ma classe, je distribue des sourires, je donne un cadre et je multiplie les projets pour donner aux enfants l'envie de se lever le matin pour faire les efforts que je demande. Et quand les parents me disent que leur enfant est toujours content de venir, c'est ma plus belle récompense. C'est basé sur la communication et la confiance. Alors c'est vrai que je râle, c'est vrai que je demande à être vouvoyée, c'est vrai que je crois à la nécessité des limites et des règles; je garantis à chaque enfant tranquillité et calme. Je n'ai pas de baguette magique, je n'ai pas le pouvoir d'empêcher les conflits et les bagarres, mais je fais de mon mieux pour poser mon regard sur la vie dans la cour de récréation. Je repère les regards de défi et les gestes provocateurs et j'interviens très vite, pour éteindre les étincelles d'embrouilles, avant que ça ne devienne échanges d'insultes et de coups de poings.
Je crois en l'humain et j'aime aider les parents. "On n'est pas trop d'un village pour élever un enfant" est une expression pleine de sagesse que j'aime beaucoup.