Le son était assourdissant, les cris de joies s'entendaient à travers toute la ville mais le nouveau roi n'y prêtait plus attention.

Son regard balaya la foule vaguement, cherchant seulement à satisfaire le besoin d'attention du peuple.

Cependant, l'euphorie générale finit par affecter Dag qui se fendit en un maigre sourire.

-"Tu ne dois pas sourire ! Tu t'abaisse à leur niveau."Lui cracha au visage un homme voûté."Tu es leur roi, pas leur ami."

Le sourire de Dag se transforma en une expression de dégoût alors que son regard se portait sur son père, maintenant plus petit que lui.

Du haut de ses seize ans, Dag était la quintessence même du roi fort et charismatique. Dans la ville, les gens s'égosillaient à vanter ses mérites, son physique et son regard puissant. Tous disaient qu'il était le roi tant attendu.

Il était devenu le roi hier seulement et avait réalisé toutes les cérémonies hormis deux : le bal avec les royaumes voisins et celui qu'il réalisait à cet instant précis, sa présentation au peuple en tant que souverain.

-"Dois-je encore rester longtemps ici, Duc Martel ?" Demanda Dag d'un ton sérieux et impassible."J'ai déjà salué le bourgmestre et fais le tour du quartier au moins six fois."

-"Le soir arrive, ne vous inquiétez pas, nous partirons bientôt,"répondit l'homme âgé avec un sourire bienveillant.

Un roi ne doit pas soupirer, Dag retint donc cette envie frustrante et acquiesça tout simplement avant de resaluer la foule.

Ils repartirent lentement après quelques heures encore et le palais ne fut atteint qu'après la nuit tombée.

Le nouveau roi se rendit par lui-même dans sa nouvelle suite bien vide et fit préparer un bain. Mais une convocation de son père lui gâcha son plaisir. Il n'avait aucune obligation d'y aller maintenant qu'il était le roi... Mais il avait trop peur de ce son père ferait s'il lui faisait faux bon.

Trois frappes puissantes résonnèrent dans le palais désert. Sans attendre la réponse, Dag entra dans la suite de son père, le trouvant assit sur son fauteuil.

-"Qu'est-ce que tu me voulais ?" Demanda le fils avec une pointe de dégoût qui n'échappa à son père.

D'un coup d'œil suivit d'un hochement de tête, l'ancien roi lui fit signe de s'asseoir.

-"Non, je ne compte pas rester ici éternellement, Atle."

Atle regarda son fils et son visage se tordit en un rictus mauvais, quelque peu effrayant pour le jeune homme.

-"Comment tu te sens alors ? Avec la bénédiction du Dieu Vent, tu dois te sentir tout puissant."

-"Pas plus qu'avant."

-"Mais tu sais que tu ne pourras pas mourir de maladie, et contrairement à moi à ton âge, tu as un corps en parfaite condition."

La santé de son père avait toujours été mauvaise, et Dag ne savait pas comment il avait fait pour vivre aussi longtemps jusqu'à qu'il apprenne pour la bénédiction. C'était un secret transmit à chaque souverain pour éviter toute jalousie des vassaux.

La bénédiction en elle-même était assez simple, elle garantissait une bonne santé jusqu'à la fin du règne qui était fixé aux cinquante ans, car passé cet âge la bénédiction était pratiquement inutile face à la décadence du corps.

-"Voyons, ne fais pas cette tête, viens donc boire un peu." L'appela Atle en tapotant le siège.

-"Non. Si tu n'as rien d'autre à dire, je vais partir."

-"Si attends, j'ai une dernière chose."

Dag s'arrêta pour écouter son père, sa main posée sur la poignée.

-"Je t'ai vus sourire tout à l'heure et fraterniser avec les autres. Tu ne comprends donc rien à rien."

Le nouveau roi ouvrit la porte, agacé.

-"Si tu quittes cette pièce, tu le regretteras."

-"Et si je ne quitte pas cette pièce, tu le regretteras."

-"Dans ce cas je vais faire court. Tu es le seul sur le trône et tu dois comprendre qu'ils veulent tous ta place, et c'est pour ça que je t'ai choisis pour monter sur le trône. Tu étais le seul assez fort pour prendre la position de roi, mais je me suis visiblement trompé."

-"Sinon tu m'aurais tué comme Orn et Sven ?"

-"Tes deux frères étaient faibles ! Mais s'ils avaient survécu, ils auraient créés un contre-pouvoir contre le nouveau roi."

-"Tu me répugnes, tu ne t'ai jamais souciés de nous. Tu nous élève pour accomplir tes dessins."

-"J'élève un roi, pas un enfant. La compassion est l'outil du peuple, pas de leur seigneur."

Claquant sa langue avec mépris, Dag s'apprêtait à sortit quand une idée traversa brièvement son esprit.

-"Atle, Tu ne comptes quand même pas tuer Gots?" Demanda le jeune roi d'un ton menaçant.

-"Tu écoutes ce que je dis ?" Répondit tranquillement l'interrogé." Pas de contre-pouvoir."

Fou de rage, le jeune roi fonça sur son père, l'attrapa à la gorge et le souleva du son siège par la force.

-"Tu ne tueras personne !"

Soudain, une douleur perçante au niveau de l'abdomen lui fit lâcher prise et son père chuta lourdement sur le sol, tenant fermement une dague teintée de sang.

Dag pressa ses mains contre sa plaie, reculant avec une expression de choc peinte sur le visage.

-"Père!"Hurla un jeune garçon en entrant dans la pièce.

Le jeune garçon accourut vers son père et se pressa pour l'aider à se relever.

-"Ne t'inquiète pas mon garçon, je vais bien." Répondit Atle en se relevant."Regarde, je suis encore assez fort pour me défendre."

-" Gots, écarte-toi de lui !" Cria Dag à son petit frère.

Mais Gots ne l'écouta pas et lui jeta un regard plein de haine.

-"Donc père avait raison ! Tu voulais tellement le pouvoir que tu as tué Sven et Orn. Monstre !"

Dag resta bouche bée, essayant d'enregistrer ce qu'il venait d'entendre avant que le rictus mauvais de son père lui fit tout comprendre.

Ses yeux s'injectèrent de sang alors que la douleur de sa blessure disparaissait dans un néant de haine.

Il chargea Atle qui peinait à se relever et le plaqua au sol violemment, écartant d'un coup d'épaule son frère.

Il attrapa le crâne de son père et le fracassa contre le sol, encore et encore. Les yeux de son père brillèrent une dernière fois, mélangeant fierté et peur, avant qu'un craquement sourd les fassent s'éteindre.

Les mains pleines de sang, Dag commença à réaliser ce qu'il venait de faire en entendant les pleurs de son frère derrière lui.

***

-"Vous comptez rester ici encore longtemps, Votre majesté ?" Demanda Caëlan en grelottant.

Tiré de sa rêverie, Dag se contenta de lancer un regard lourd sur son conseiller qui se tût immédiatement.

Il faisait presque nuit et Aurora n'était toujours pas revenue de l'île de la Lance. En temps normal, il n'aurait nullement été inquiet, mais avec la disparition de son fils il commençait sérieusement à remettre en question la sécurité du trône.

Cela devait bien faire une bonne heure qu'il attendait l'apparition du bateau sur lequel avait embarqué Aurora et le soleil avait commencé sa plongée dans l'océan.

Mais il n'attendit plus très longtemps avant d'apercevoir le bateau entrer dans le port. Le navire était un deux-mât fabriqué pour le transport des personnes rapidement.

Il fallut une éternité supplémentaire pour permettre au navire d'accoster et de poser son ponton.

Dag attendit patiemment tout ce temps pour finalement voir Aurora descendre lentement guidée au pas par sa fidèle servante. Julia, qui avait remarqué la présence du roi, s'approcha de lui en tenant par la main la princesse.

-"Il est tard, on rentre." Dit simplement Dag en se tournant vers Caëlan qui s'empressa d'aller chercher la carriole.

-"Qu'est-ce que vous faites là, père ?" Demanda Aurora, fronçant les sourcils." Je peux parfaitement rentrer seule avec Julia."

-"Ne faites pas la tête à votre père, Votre Altesse."Ricana Jobbs en arrivant." Je suis sûre qu'il a beaucoup patienté pour vous."

-"Je n'ai pas demandée à ce qu'il soit là."

-"Bah, ce ne sont pas mes affaires. Je vous laisse à présent ici, Votre Altesse. J'ai passé une journée très agréable à vos côtés."

-"De même, Duchesse Duncan. Je vous souhaite un agréable retour."

D'un coup sur la manche de sa servante, Aurora lui fit comprendre son intention de partir, ce que Julia exécuta rapidement, laissant seuls le Roi et Jobbs.

-"Elle est encore une enfant, Votre Majesté."Soupira la duchesse en regardant la princesse partir."Vous êtes certain que c'est elle que vous voulez sur le trône ?"

-"À vrai dire, je ne pense pas que c'est de l'immaturité. J'accuserais plutôt un manque d'expérience... Et d'importance.

-"Je ne fais pas bénévole dans un orphelinat. Je veux bien l'aider de mon mieux à lui faire comprendre ses nouvelles responsabilités, mais cela prendra plus qu'une simple après-midi."

-"Je ne doute pas de ton honnêteté, et je te remercie d'avoir écouté ma requête."

-"Ne vous en faites pas, cela m'a fait plaisir d'aller irriter ce vieux Rockart."

Dag soupira à son tour et s'excusa auprès de la duchesse avant de monter dans la carriole à son tour. Il ne fallut que quelques minutes pour que celle-ci se mette en branle en direction du palais.

-"Pourquoi tu me semble si insatisfaite de ta journée, Aurora ?"

-"Ça ne vous regarde pas, père."

-"Et pourquoi donc ?"

-"Car c'est à moi de faire mes preuves, encore."

-"Donc j'en déduis qu'elle ne t'a pas racontée comment elle est devenue duchesse."

Le roi comprit qu'il avait fait mouche en voyant l'expression brûlante de frustration de la princesse. Il hésita pendant une seconde à se moquer, comprenant que s'il le faisait elle risquait de fermer tout dialogue avec elle.

-"Tu ne peux pas gagner la confiance de quelqu'un aussi facilement, même toi tu ne le ferais pas."

-"Mais je suis la future reine ! C'est moi qui posséderait les rênes du royaume, ce n'est pas normal qu'on n'accorde pas un minimum de confiance..."

-"Chaque chose en son temps, tu dois d'abord montrer par la diligence et l'honneur que tu es quelqu'un sur qui ils peuvent compter."

-"Je suis sûr que Madame y arrivera." Confirma avec confiance Julia en posant ses mains sur la jambe de sa maîtresse.

Aurora rit doucement avant de remercier son amie.

-"D'ailleurs, c'est demain que tu reçois les premiers papiers en reliefs pour l'écriture je crois."

-"Oui, c'est le teinturier d'Oslaw qui s'en occupe."

-"Je passerais sûrement voir."

-"Tu n'as pas à le faire, tu finiras par savoir si je m'en sors bien avec ou non."

-"Dans ce cas je rectifie, je passerais voir."

Aurora tira une grimace et se tût, laissant la carriole arriver en paix au palais des Damoclès.