Arc II: chapitre 6: Réflexion.
-"Votre Altesse, je suis votre garde du corps."
Un silence lui répondit mais Abraham s'y attendait et il s'assit simplement sur un siège au coin de la pièce.
Une odeur de thé froid empestait la pièce et le soldat ne supporta pas cette odeur plus longtemps bien qu'il partit ouvrir la fenêtre alors qu'il venait tout juste de s'installer.
-"N'ouvre pas." Ordonna une voix rauque et faible.
Abraham suspendit son geste et dévisagea la princesse avant d'abandonner l'idée. Il avait devant lui une petite boule dévastée. Bah, il fallait s'y attendre avec la mort soudaine de Julia.
La mort était liée à une dose de poison inoculée dans le thé, c'était donc une chance que ce soit une servante qui le bu au lieu de la princesse elle-même.
Abraham prit un moment, hésitant à lui parler... Mais il n'était pas bon pour réconforter, il décida donc finalement d'aller s'asseoir et de faire son devoir.
À vrai dire, il n'avait jamais été dépêché sur place aussi rapidement. Cela faisait à peine quelques heures que la servante était morte et un messager avait déjà toqué à sa porte pour le faire venir sur ordre du roi.
Dans ce genre de moment, s'il avait appris une chose c'était qu'il fallait rester silencieux et attendre que la personne parle d'elle-même... Mais une question le gênait, pourquoi était-elle seule ? Normalement il devrait y avoir au moins le roi car même s'il ne le dit pas, Dag aime énormément sa fille.
L'odeur du thé interrompit les pensées d'Abraham qui ne put rester assit sans rien rien faire plus longtemps, il chercha donc un morceau de tissu pour nettoyer silencieusement les traces encore visibles sur le sol.
-"Je t'entends... Abraham." Murmura Aurora sans lever la tête.
-"Évidemment, frotter le parquet ne peut pas se faire discrètement." Soupira le boucler en s'asseyant sur ses talons.
-"Tu n'en as rien à foutre, pas vrai ?"
Abraham resta un moment surprit par le mot... Pas correct utilisé par la princesse, mais sentant la détresse de la pauvre fillette il ne répondit pas.
-"Pourquoi tout le monde s'inquiète pour moi ? Ce n'est pourtant pas moi..."
Il hésita encore une fois à parler... Mais il comprit que cela ne servirait rien, peu importe la façon dont il dirait les choses, il ferait sûrement plus de mal que de bien. Soupirant à sa propre inutilité, il finit par abandonner et à quitter le pièce en espérant que quelqu'un puisse la réconforter.
-"Pourquoi tu es déjà sorti ?" L'interpella une voix dure quand la porte se referma.
-"Je m'ennuyais."
-"Tu as été plutôt exclus de la pièce, non ?"
-"À vrai dire, je ne sais pas gérer ce genre de moment... Sûrement que j'ai trop l'habitude des morts."
La main de son interlocuteur tapota son épaule doucement.
-"Ne t'inquiète pas, je ne t'en veux pas.
-"Cela fait longtemps que tu attends là ?"
-"Depuis que la pauvre petite est morte."
Abraham hocha de la tête lentement, comprenant l'hésitation.
Une servante arriva en hâte, s'inclinant profondément devant le roi puis faisant une légère courbette pour l'ancien soldat.
-"Votre Majesté, Lorys Pilker est arrivé et souhaite s'entretenir avec la princesse Aurora."
Entendant le nom du père de la défunte servante Dag cracha quelques jurons, demandant pourquoi il était déjà au courant, puis il se gratte la tête, réfléchissant au mieux de ses capacités.
-"Je vais l'accueillir... Et le faire attendre un maximum."Soupira Dag en se tournant."Mais il va falloir qu'elle vienne... Je peux te confier cela, Abraham ?
Le jeune homme ne chercha pas à cacher son déplaisir et grimaça amèrement, cependant il finit par acquiescer avant de prendre son souffle lentement.
Une frappe lourde sur la porte et il entra dans la chambre nauséabonde. L'ancien soldat se boucha le nez et continua d'avancer en direction de la fillette roulée en boule dans un coin de la pièce.
De loin, il pouvait entendre des doux pleurs étouffés... Mais les pleurs et la souffrance ne lui faisaient plus rien depuis longtemps et c'est avec une triste indifférence qu'il s'accroupit près de sa cible.
-"Altesse, Pilker est là et veut vous voir..."Commença Abraham, prenant soin de délayer chaque syllabe pour plus de douceur."Je comprends que vous ne vouliez pas... Mais vous devez le voir."
-"Pour dire quoi?"Murmura Aurora."Pour lui dire que tout est de ma faute? Que je n'aurais jamais dû naître ?"
Abraham fronça les sourcils avant de soupirer, hésitant franchement à abandonner et retourner voir le père. Mais, Dag lui avait demandé de la faire sortir... Donc il le ferait.
-"C'est trop tard pour dire cela", commença-t-il en cherchant à la regarder dans ses yeux bien qu'elle ne pourrait de toute façons pas y répondre."Vous êtes née, vous avez survécu et vous allez être la prochaine reine."
-"Mais pourquoi il faut toujours que je leur montre ce que je peux faire ? Pourquoi ils ne peuvent pas accepter les choses ?! Je dois donc forcément mourir pour eux ? Je suis si inutile que ça ?!"
Alors que la voix tremblotante de la jeune fille reprenait le pas sur sa diction, Abraham resta à distance, ne sachant pas quoi lui dire autre que la vérité.
-"Parce que vous êtes aveugle, faible et une femme", finit-il par lâcher lourdement." Désolé, je ne sais pas mentir..."
À sa grande surprise, les sanglots de la princesse se firent silencieux et une tête d'épouvante finit par émerger de ses bras.
Les joues rouges et les yeux fatigués par les larmes, la princesse tenta tant bien que mal de se relever en se tenant aux murs.
-"Ça va être dur...", dit-elle d'une voix éteinte." Tu peux aller me chercher de l’eau ?"
Un peu surpris par la réussite inattendue de ses paroles, Abraham resta un peu sur le carreau avant de partir en vitesse chercher de l'eau.
Aurora, elle, resta debout et immobile là où elle s'était levée. Elle n'avait pas envie d'avancer à tâtons pour chercher le bureau... Pourtant, son nez sentant l'odeur maintenant agressive du thé manqua de la faire rechuter au sol.
Et dire qu'il y a quelques jours ou semaines elle s'était promise de ne plus jamais pleurer... La voilà pitoyable comme à chaque fois, sauf qu'elle avait toujours eu son appui avec elle.
La porte se rouvrit et les pas singuliers d'Abraham entrèrent. Une bassine d'eau se posa sur son bureau et l'ancien soldat vint chercher la jeune fille pour l'y mener.
En plongeant ses doigts dans l'eau froide, Aurora s'y sentit presque brûlée et retira ses doigts par réflexes. Mais l'eau avait quand même réveillée ses membres fourmillants et engourdis. Après une grande inspiration c'est toute la tête d'Aurora qui plongea sous l'eau pour s'y immoler l'esprit. Elle ressortit sa tête presque instantanément, soufflant l'eau coulant sur ses lèvres et ses cheveux qui se collaient à son front.
Abraham la regarda en se disant que des vêtements propres ne seraient pas de trop. Il interpella donc rapidement une servante qui passait dans le couloir par hasard.
La préparation fut brève, la servante aida la princesse à enfiler une nouvelle robe tandis que quelques coups de maquillages masquèrent sa mine affreuse.
-"Vous êtes prête, Altesse ?" Demanda Abraham en hésitant à la faire sortir de sa chambre.
Aurora regarda un long moment dans le vide, accrochée au bras de son nouveau garde du corps sans pouvoir parler, puis avec un long hochement de tête, ils quittèrent le bureau.
Les couloirs paraissaient beaucoup plus silencieux qu'ordinaires et seuls les bruits de pas bercèrent cette lugubre marche.
Bien qu'elle s'efforçait de tenir le rythme militarisé d'Abraham, son corps encore fragile manqua de la lâcher à plusieurs reprises et c'est avec difficultés qu'ils atteignirent le salon du roi.
Alors que le jeune homme s'apprêtait à toquer à la porte, il sentit un léger tremblement dans son dos et lorsqu'il se tourna, l'expression terrifiée d'Aurora lui sauta au visage. Il voulut parler et la conseiller, mais il se rendit compte qu'elle faisait déjà un effort surhumain pour être là, préparée à subir les conséquences.
Il resta quelques secondes immobiles, devant la porte, comme attendant le moment propice mais invisible aux sens.
Finalement, il ouvrit la porte d'une main lourde et le bruit jusqu'alors emprisonné dans le salon se déversa comme un torrent sur les deux jeunes.
-"Comment pouvez-vous dire que ma fille est morte en faisant son devoir ?!" Hurla Lorys d'une voix brisée.
L'ouverture de la porte déversa comme un seau d'eau froide sur la conversation, mais les braises de la colère étaient encore allumées et les regards des deux hommes étaient lourds de reproches.
Aurora suivit silencieusement Abraham qui la fit asseoir à côté de son père. Après qu'elle soit assise, personne ne parla et la princesse en profita pour calmer ses traits crispés du visage. Ce fût Dag qui reprit la conversation en parlant de sa voix forte et assurée.
-"Je comprends votre chagrin, mais nous ne pouvions pas savoir que quelqu'un tenterait d'assassiner l'héritière du trône... Mais je m'excuse quand même au nom de la couronne et je vous promets que nous retrouverons les coupables.
-"Eh, toi." Interpella une voix masculine."Tu en sais quelque chose de notre chagrin ?"
C'était une voix qu'elle n'avait pas entendue depuis longtemps et qu'elle haïssait toujours. Mais l'entendre maintenant fit peser sur son cœur comme un poids supplémentaire.
-"C'était ma sœur... Et par ta faute elle est morte ! Certes nous n'étions jamais d'accord, mais à cause de ton existence elle est morte ! Elle est morte !"
Les larmes se mêlèrent à sa voix, créant des vibrations qui retentirent en boucle dans les oreilles sensibles de l'aveugle. Elle voulut répondre, mais lorsque sa bouche s'ouvrit sa gorge étouffa tout son possible, laissant simplement son regard vitreux répondre pour elle.
-"Eh bien sûr que tu t'en fous ! Tu vas être reine et tu me hais donc j'imagine la joie que ça doit être pour toi, montre ! Si ça se trouve, c'est même toi qui a..."
-"Silence, gamin", Tonna Dag.
En temps normal, le roi aurait menacé et rabaissé le jeune Sam Pilker, mais en regardant le visage difficile de sa fille il comprit qu'il ne pourrait pas faire durer l'entretient très longtemps.
-"Je souhaite au moins être compensé", finit par dire Lorys d'une voix faible." Je veux que vous payiez les funérailles et... Rendez-moi ma fille, bon sang..."
La voix brisée par les sanglots du père souffla les voix des personnes présentes dans la pièce, laissant qu'un silence rythmé par des pleurs.
À ce moment, Aurora comprit que c'était le moment de parler. Sa respiration se calma lentement et sa gorge qui s'était desséchée se desserra un peu, laissant quelques mots rauques s’échapper :
-"Je vous amènerais la tête du responsable, je vous le promets... En attendant, nous vous offrons nos plus profondes condoléances et j'espère que votre chagrin ne deviendra pas un poignard à mon encontre mais plutôt envers le coupable."
Inclinant sa tête pour la première devant des gens, Aurora s'y cacha pour ne pas laisser transparaître sur son visage ses émotions si dures à voir.
-"Ma sœur ne reviendra jamais... Cependant, si tu m'apporte la tête du responsable... Non, je te détesterais toujours... Mais au moins tu la rendras fière."
Sur ses paroles nées d'un brasier de sentiment, Sam se leva et quitta la pièce en soutenant son père qui, maintenant, ne ressemblait a rien de plus qu'un vieil homme fatigué.
Lorsque la porte se ferma, un silence de plomb tomba.
-"Abraham, laisse un peu d'eau et sortons." Ordonna Dag en se levant."Il faut que j'aille voir Rockart."
Abraham hésita un moment, regardant le corps toujours fléchit d'Aurora avant d'acquiescer et de remplir un verre d'eau à l'aide d'une carafe posée à côté.
Tous deux sortirent, laissant seule la princesse.
En entendant la porte se fermer, Aurora tomba à genoux, serrant fort sa poitrine à l'endroit de son cœur. Sa respiration hagarde ne savait plus quoi faire face au flux d'émotions puissantes qui monter, ses yeux brûlaient mais ne pleuraient pas. La seule chose dont elle était sûre c'était qu'elle souffrait, énormément, comme si quelqu'un lui avait planté un autre couteau dans son dos, dans un coin inatteignable de son corps. Quelques secondes s'écoulèrent, ou des minutes, elle ne savait plus très bien, mais sa libération vint d'un cri horrible, mélangeant toutes ses émotions colporteuses de sa souffrance.
Les larmes coulèrent enfin sur ses joues, mais là où elles étaient d'habitudes chaudes, elles étaient à présent brûlantes... Et au milieu de ses pleurs elle se promit une chose... Plus jamais.
Annotations
Versions