Arc II , Chapitre 16 : Soleil en mer
Les oiseaux chantaient sur les îles durant cette après-midi d'une douce chaleur rare, sûrement l'une des dernières avant l'arrivée de l'hiver.
L'intérieur du palais était donc lumineux quel que soit les pièces. Comme pour profiter de cette dernière après-midi, les servantes s'affairaient pour faire sécher les lessives ou bien prendre soin des jardins.
-"Madame," Interpella la servante aux boucles noires."Ne vaudrait-il pas mieux aller votre mari ?"
Chloé releva la tête, surprise par la proposition de sa fidèle servante.
Bien que la reine soit âgée elle n'en restait pas moins très belle et 'comme jeune' comme elle aimait le dire, il faut dire que ses cheveux jadis argentés et brillants étaient maintenant ternes et triste, mais ils étaient soigneusement bouclés, ce qui donnait au visage un air plus royale et élégant qu'elle n'avait jamais eu auparavant.
-"Pourquoi donc ?" finit par demander la reine en caressant du dos de la main une fleur de son petit carré à elle."Il est bien assez grand pour ce débrouiller seul."
-"Mais... Depuis la réunion avec votre fille il passe trop de temps enfermé dans son bureau."
Chloé leva les yeux au ciel en soupirant. Plutôt que de répondre, elle continua à arroser ses dernières fleurs en chuchotant une petite chanson de son pays d'origine. Si elle avait bien appris quelque chose dans sa vie c'est que discuter avec le roi était complètement futile, notamment à cause de sa personnalité un peu trop dominatrice.
Et puis, dès qu'il avait quelque chose à lui dire il ne s'était jamais privé pour le faire quitte à écraser la maigre résistance de sa femme.
Soudainement assoiffée, la reine se redressa en tenant son douloureux dos avant de se retourner vers Aby qui tenait un long plateau comportant plein de douceurs pour les papilles sensibles de la reine qui se régala sans hésiter en s'hydratant.
-"Tu sais," Dit la reine en observant les nuages." Si Dag a un souci, il viendra me chercher. Jamais j'irais de moi-même le voir pour qu'il me pourrisse encore un peu plus l'existence."
Au moment où elle acheva sa phrase, dans un coin de son champ de vision, un homme en tenue de velours s'approcha en sa direction.
-"Tu m'apporte vraiment la poisse avec tes paroles !" jura-t-elle envers sa servante.
Naturellement l'homme s'arrêta respectueusement à une vingtaine de pas et exécuta une courbette parfaite avant de parler sans pour autant redresser son visage :
-"Ma Reine, Sa majesté le roi vous demande."
Chloé ne put s'empêcher de siffler son mécontentement en foudroyant du regard Aby qui se contenta d'un maigre sourire en guise de réponse.
Cependant ces mots-là étaient des ordres et elle savait que trop bien qu'il fallait obéir aux ordres du roi. Elle se redressa donc vivement et captura un petit gâteau avant de suivre le serviteur qui navigua gracieusement dans les couloirs du palais pour la guider au bureau du roi.
La porte uniquement annonçait le couloir avec ses gonds d'un acier brillant et des ornements en or pur ravissant les yeux des visiteurs.
D'un geste rapide et beaucoup moins gracieux, le serviteur ouvrit la porte sans toquer et avec un pas de côté il invita la reine à rentrer la pièce plongée dans le noir.
La reine passa le serviteur et se servit de la lumière que cette ouverture lui offrait pour s'avancer dans la pièce. Elle dû rapidement faire attention où elle mettait les pieds à cause des dizaines, voire des centaines de papiers qui jonchaient le sol dans un bazar rageur.
La porte se ferma, laissant la reine seule avec le roi qui était assis négligemment sur sa chaise de bureau.
Ses yeux finirent par s'habituer à la pénombre et elle remarqua que la seule fenêtre de la pièce, censée éclairée le bureau toute la journée était obstruée par des draps accrochés maladroitement au-dessus.
La pièce était une alcôve dans le mur droit du palais pour lui permettre cette fine fenêtre barrant de gauche à droite cette pièce. Très large vide, elle était souvent laissée pratiquement vide pour laisser le roi, quelques bibliothèques collées au mur de l'entrée et quelques meubles décoratifs par-ci par-là. Cependant cette pièce restait très luxurieuse avec son immense tapis rouge vif aux fils d'or fait pour représenter un arbre enserré dans une étreinte par un serpent titanesque.
Enfin, il était comme ceci dans les souvenirs de la reine car il était maintenant invisible sous les papiers.
Elle était maintenant proche au bureau devant lequel les chaises avaient été retirées laissant le magnifique présider la pièce.
-"Que fais-tu ?" demanda Chloé en fronçant les sourcils.
L'homme semblait l'ignorer et continuer à porter une bouteille à ses lèvres maladroitement, laissant un peu de liquide couler dans sa barbe.
-"Je bois," répondit Dag en posant la bouteille sur le bureau.
-"J'ai bien remarqué, tu aimes également rester dans le noir ?"
Un bruit de bouche désagréable avant que la bouteille soit de nouveau levée vers la bouche.
-"C'est parce que j'ai envie de te parler."
-"Me parler ? Donc j'imagine que je vais devoir te répondre, ce serait une première."
-"Prend un papier et jettes-y un coup d'œil, tu comprendras."
-"Bien sûr, surtout que je peux bien lire dans ce noir."
Après un bref grognement Dag se leva et commença à arracher les draps uns à uns, laissant la lumière du jour rentrer avec violence dans la pièce.
La reine cligna plusieurs fois des yeux, cherchant à se réhabituer à la lumière. Le roi vacilla un instant sous le coup de la lumière et finit par se rasseoir en cachant ses yeux sous ses épaisses mains.
-"Tu as vraiment vidé toutes ces bouteilles ?" demanda Chloé en regardant la petite pile de bouteilles jonchant sur le sol.
-"j'ai commencé hier, elles sont pas toutes vides."soupira-t-il en commençant à s'habituer à la lumière."Lis un papier."
La reine obéit et se pencha, choisissant le papier le moins froissé, et le remonta avant de le lire silencieusement.
-"Une réclamation ?" hésita-t-elle avant que son visage se durcisse." Envers Aurora ?"
-"Contre elle," rectifia le roi en prenant lui-même un autre papier." Toutes ces lettres sont pour la même raison, toutes."
Sans dire la raison, la reine la lut entre ces lignes écrites par des nobles sans vergogne.
-"J'imagine que tu es fier." Cracha-t-elle en tournant son regard noir vers son mari.
-"Que veux-tu que je dise ?" S'indigna-t-il en levant les bras." Je n'avais pas vraiment le choix, Jayce est parti."
-"Oh, donc ce n'est pas de la faute de ta merveilleuse éducation digne d'un roi."
Un violent coup de poing sur la table la fit tressaillir malgré elle alors que le roi se redressait, portant un visage dur à qualifier.
-"Où ai-je échouer ? Pourquoi tout aller si bien avant que---."
-"Parce que tout s’est toujours bien passé ?! Dois-je te rappeler tout ce que tu as fait ?"
-"Je ne sais pas... Je ne sais plus. C'était des erreurs de jeunesses, je ne suis plus comme ça."
-"Evidemment."
Le roi hésita un long moment, comme luttant contre lui-même, avant de se retourner en direction de la lumière.
-"Si je t'ai appelé, c'est pour te lever ton interdiction."
Chloé pencha sa tête sur le côté, perplexe, avant qu'elle comprenne la signification.
-"Ahaha ! Sérieusement ?! Après dix-sept ans, tu me le dis aujourd'hui ?"
-"Tu n'avais pas besoin de respecter cette règle idiote... J'ai essayé de te le faire comprendre plus d'une fois."
-"La seule fois que j'avais tenté de m'occuper d'elle alors que tu me l'avais interdit tu m'avais enfermé combien de temps déjà ? Une semaine ou deux ?"
Il resta silencieux et immobile, laissant sa femme lui s'énerver dans son dos, lui crachant des injures avec mépris. Si elle avait eu un couteau, il est possible qu'il ait été poignardé sur l'instant.
-"Laisse-moi te dire une chose," finit-elle par dire, un peu fatiguée après avoir levée longtemps la voix." Je ne te hais plus, ça fais trop longtemps. Mais j'ai toujours trouvé que tu es un piètre roi. Au moins maintenant je vais pouvoir voir m'occuper de ma fille comme je le souhaite maintenant."
Elle se retourna et quitta la pièce promptement, mais elle entendit une dernière phrase qui l'interpella plus que le reste :
-"Regarde son dos, tu verras à quoi elle est réduite, notre fille."
***
Le bruit des vagues s'écrasant sur les quais berça Jobbs qui tentait en vain de souffler au loin son stress. Alors que sa respiration se calmait, une voix masculine la fit sursauter :
-"T'inquiète pas, si on fait attention y'aura pas de soucis."
Jobbs fit volte-face et dévisagea son amie avant de soupirer.
-"J'espère que ça en vaudra le coup," répondit-elle en récupérant sa sacoche à ses pieds.
-" Évidemment ! je suis certaine que les îles nous réservent pleins de bonnes surprises. J'ai entendue dire que le sang des sirènes vaut une vraie fortune, avec ça on pourra devenir riche."
Jobbs s'énerva et frappa avec son sac son amie avant de l'attraper par le col et se coller à elle avec un air menaçant.
-"Et tu sais ce qu'il peut nous arriver s’ils découvrent que nous sommes des femmes ? Donc non, on ne parle pas d'être riche avant d'être loin d'ici avec l'argent, clair ? De plus, je suis certaine que ton père ne soit pas d'accord avec ce que tu es en train de faire, Rena."
Rena gloussa et se dégagea doucement de son emprise avant de faire courir ses doigts sur les bras de son amie.
-"Mais l'une comme l'autre nous n'avons pas le choix, donc faisons de notre mieux, n'est-ce pas ?"
Jobbs se dégagea, encore agacée, et ajusta sa tenue serrée autour de son corps. D'un regard noir, elle invita Rena à faire de même, cette dernière sourit chaleureusement avant de jeter un simple coup d'œil à son corps.
Après la rapide vérification, les deux femmes cherchèrent sur les quais l'homme avec qui elles avaient rendez-vous. Elles le trouvèrent rapidement, assit et observant les allées et venues des personnes sur le bateau.
-"Bonjour, capitaine." l'interpella Jobbs en prenant une voix bien grave."Vous vous rappelez de nous ?"
L'homme releva la tête et après avoir dévisagé longuement les deux il acquiesça vaguement.
-"Jobbs et Ron, c'est ça ? Si vous voulez abandonner maintenant vous pouvez, mais à partir du moment où vous montez sur mon bateau, il n'y aura pas de retour en arrière." Expliqua le capitaine tranquillement.
Sans même donner une réponse, Jobbs hocha de la tête avant de monter d'un pas décidé sur le bateau. Rena n'attendit pas longtemps avant de la suivre, légèrement hésitante quant à son comportement envers le capitaine.
Sur le bateau, le quartier-maître fut facilement trouvé et il guida ses nouveaux compagnons vers le dortoir commun où elles déposèrent leurs affaires.
D'un coup d'œil, Jobbs surveilla chaque action de sa camarade, sachant que la moindre erreur de sa part la mettrait en danger elle. Après tout, selon la longueur du voyage les risques de se faire repérer ne manquait pas et il fallait faire attention jusque dans les détails.
Le dortoir était littéralement un couloir avec des creux sur le côté où les hamacs s'alignaient en optimisant au mieux possible l'espace disponible si bien qu'il y avait à peine l'espace de se déplacer. Jobbs grimaça à l'idée que son hamac touche celui d'un autre matelot bien gros et gras.
À son grand plaisir, Rena ne fit rien de stupide et glissa bêtement sous le hamac son sac, bien camouflé pour qu'aucun de leurs nouveaux compagnons n'est l'idée saugrenu de fouiller.
-"Vous avez finit ?" S'impatienta l'homme carré comme une armoire."Y'a d'autres nouveaux qui vont arriver."
Jobbs et Rena quittèrent les dortoirs et l'homme leur fit visiter le bateau en se présentant. Son nom était Royan et il suivait depuis toujours le capitaine Andros dans ses expéditions jusque-là peu fructueuses.
Jobbs fut affectée au nettoyage du pont et Rena aux cuisines ce qui la soulagea grandement, au moins son amie n'était à un poste dangereux.
Le dernier passage fut devant les râteliers d'armes sous le pont rangé proprement. Royan s'arrêta devant et sortit l'une des armes avant de la passer dans les mains de Rena.
-"Ce seront vos armes pour aller chasser les sirènes, on appelle ça des harpons." Expliqua-t-il, concentré."Vous aurez des entrainements avec car, une fois face à elles vous n'avez pas deux essais. Si vous la ratée, non seulement l'arme est perdue mais vous risquez de vous faire arracher la tête. Vous avez déjà vu des sirènes ?"
D'un hochement de tête négatif elles lui répondirent et il eut un bref éclat de rire avant de taper l'épaule de Rena avec force, manquant de la faire lâcher le harpon.
-"Bah vous n’inquiétez pas, tant que faites attention et que vous nous écoutez-vous devriez rentrer vivant à Mortreux."
-"Les sirènes sont-elles si dangereuses que ça ?" demanda Jobbs, curieuse." Pourtant ça reste des poissons."
À ses mots le visage de Royan s'assombrit et il dévisagea amèrement Jobbs avant de lui mettre un autre harpon dans les mains.
-"Un sirène a une apparence humaine, mais ce n'est qu'une apparence." expliqua-t-il avec un ton plus dur." Ce sont de véritables monstres avec des rangées de dents tranchantes pour déchiqueter la chair, mais le pire ce sont leur intelligence, je pense honnêtement qu'elles le sont autant que les humains tout en restant des animaux. Enfin bref, dans tous les cas je vous conseille de ne surtout pas les sous-estimer, les gars."
Jobbs lui répondit avec un regard éloquent avant de lui rendre lui harpon avec force. Rena suivit le mouvement et rangea son arme avec un sourire.
La visite se finit sur ça et la suite fut une rencontre avec leurs nouveaux compagnons tandis que le bateau quittait le port discrètement. Le voyage durera une semaine d'après le capitaine Andros qui échangea seulement quelques mots avec l'équipage avant de s'enfermer dans ses quartiers.
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