Arc II, Chapitre 17 : Chambre partagée.

8 minutes de lecture

Aurora passait une nuit calme, loin de tous ces cauchemars répétitifs et morbides qui aimait la hanter après chaque crépuscule. Pour la première fois elle se posait là à son alcôve favorite pour y réfléchir, profitant ainsi du vent glacial de la mer. La princesse avait donc refusée de boire son infusion pour rester éveillée, laissant Abraham s'endormir toujours au même endroit, dans le fauteuil.

Il ne tuera personne. Ses mots dont le sens lui avaient échappés durant la journée faisaient maintenant écho au danger qu'elle représentait. Les gens avaient peur d'elle et sûrement que lui aussi. Pourtant elle savait que malgré la froideur qui pouvait émaner de sa personnalité, la moitié des choses dites et pensées serait complètement irréalisable. Après tout, elle y perdrait beaucoup trop et le moindre noble devait être rallié à sa cause sans violence si possible. La peur n'était qu'un moyen éphémère de créer une loyauté permettant au souverain de rester sur le trône suffisamment longtemps pour qu'une confiance mutuelle s'installe.

Mais comment faire savoir aux autres qu'elle restait toujours la même malgré tout ? Elle ne voulait pas qu'Abraham ait peur, même s'il était sûrement trop tard. Malgré toutes les personnes qui devaient la haïr, elle ne voulait pas être complètement seule durant ses nuits sans pouvoir se confier à quiconque... Bien qu'elle ne le faisait pas non plus à cause de sa fatigue chronique. Mais si elle était fatiguée, alors elle ne pouvait pas imaginer ce qu'il en était de son garde du corps toujours là et prêt à la protéger, dormant dans un misérable fauteuil dans sa chambre par sa faute.

Abraham était toujours proche, tellement proche qu'il était comme un bijou qu'elle arborait partout où elle se rendait. Une idée tellement méchante qu'elle la rejetait en boucle mais qui pourtant lui collait à la peau. La princesse avait peur qu'il la déteste, ce n'était pas de l'amour ou ni de l'affection, mais une simple peur égocentrique. Une peur qui tournait autour de la solitude.

Depuis qu'elle était partie chez la Duchesse à Hofen, l'aveugle n'avait pas eu de rendez-vous avec quiconque, ni même de visiteurs. Son père qui avait été présent ces dernières semaines s’étaient enfermé dans son bureau et n'en sortait plus depuis un moment déjà. Pourtant la date du couronnement approchait rapidement, les rendez-vous qu'elle avait déjà prévues semblaient toujours aussi lointain, malgré qu'elle avait rendez-vous demain avec Caëlan. Pour le duc Kholl, la date était fixée à quelques jours avant le couronnement et pour les deux derniers n'ayant pas participé à la réunion, la princesse avait décidé que ce se sera selon son envie du moment.

Un bâillement soudain l'arracha à ses pensées et elle tourna par réflexe la tête vers l'homme au fauteuil.

- Tu ne dors pas, remarqua Aurora un peu gênée. Ça ne sert à rien de faire semblant maintenant.

Il ne répondit pas, restant parfaitement immobile. Peut-être qu'il ne voulait simplement pas parler avec elle. Si c'était le cas elle le comprendrait, mais lui en voudrait un peu quand même.

Décision prise, Aurora ferma la fenêtre rapidement et se jeta sur ses jambes avant d'avancer vers lui en cherchant à contrôler sa peur maladive agitant son cœur.

- Abraham, pourquoi vous ne me répondez pas ?

- Pourquoi devrais-je vous répondre ?

Entendant sa voix toute proche, Aurora se guida lentement mais sûrement.

- Vous ais-je fais quelque chose d'impardonnable, Abraham ?

- Non.

Maintenant à quelques pas seulement, Aurora posa ses mains sur son accoudoir. Bien qu'elle ne pouvait pas voir, elle pouvait sentir son appréhension et l'entendre s'agiter nerveusement.

- Dans ce cas, peut-être que vous me détestez ?

- Non.

Le cœur de la princesse s'assombrit en l'entendant, elle ne pouvait pas imaginer ce qu'il ressentait ni même ce qu'il pensait de tout ça, alors qu'il l'avait tellement aidé. Elle craignit sa prochaine question comme la peste, mais il était important pour elle de la lui poser.

- Vous avez peur de moi ?

- Non.

Un vent de soulagement souffla sur son cœur, soufflant ses craintes et animant de vieilles braises pendant un instant.

- Qu'est-ce que vous pensez alors, je voudrais savoir.

- Je n'ai pas à penser, je suis un garde.

- Abraham, je ne veux pas te l'ordonner...

- Dans ce cas ne le faites pas

- Arrêtez d'être aussi borné !

- Est-ce un ordre ?

- Non !

- Dans ce cas je ne vais pas obéir.

Aurora s'énerva et tapa du poing l'accoudoir avant de se balancer d'avant en arrière en cherchant quelque chose à lui dire, ou comment lui demander.

- Bon, commençons simple, décris-toi.

Abraham parut surprit par sa soudaine demande et cogita un moment sans pour autant s'écarter du coin de son siège.

- Je dirais que je suis de taill--.

- Ça ne m'intéresse pas, je veux une description de ta personnalité.

- Et en quoi cela vous intéresse plus ?

- Vous ne--

- Et si vous décidiez entre le vouvoiement et le tutoiement ?

- Ne me coupe pas ! Je veux que tu me décrives ta personnalité.

- Est-ce un ordre ?

- Si tu me pose encore une fois cette question, tu le regretteras !

Pendant un court instant, la princesse crût entendre un souffle de nez, le genre à être moqueur.

- Je ne sais pas comment me décrire, Vous le pourriez, vous ?

La princesse faillit répondre positivement par réflexe, mais son mot ne franchit pas ses lèvres. Frustrée, elle réfléchit à toute vitesse en cherchant à lui répondre le plus rapidement possible.

- Votre silence est éloquent.

- Je n'y ait pas réfléchis, c'est tout.

- Et moi donc.

- Abraham... Pourquoi es-tu ici ?

Abraham s'immobilisa un moment, comme tranquillisé par cette question si soudaine. Puis il s'installa confortablement dans son siège, posant son coude près des mains de la princesse.

- Parce que votre père me l'a demandé.

- Mais il n'y a pas que ça ! Tu en fais beaucoup trop.

- Je ne sais pas.

- Quoi ? Comment tu ne peux pas savoir ?

- Vous savez, je suis un simple soldat. Je ne suis pas né dans une grande famille noble, mais plutôt dans une petite baronnie. J'ai toujours combattus pour les intérêts des autres et j'ai faillis en mourir d'innombrables fois. Pourtant, il m'a suffi d'une fois où un tir de baliste m'a frôlé le visage, emportant un ami qui avançait avec moi. Et c'est à ce moment-là, quand j'ai vus son visage crispé d'incompréhension et de souffrance, que j'ai eu peur. Peur de mourir sans comprendre pourquoi, de disparaître sans savoir ce qu'est la paix, la tranquillité. À la fin de la bataille, on m'a traité comme un héros de guerre, mais pour moi, si j'ai survécu, c'était parce que j'ai arrêté de me battre pour d'autres. Alors depuis je fais ce qu'il me plaît, je suis le moindre de mes désirs même si je ne les comprends pas moi-même.

Aurora resta bouche bée, jamais elle ne se serait attendue à ce qu'il parle de lui. Elle n'osa pas répondre, soudainement un peu embarrassée.

- Mais... tu n'es pas tranquille ici.

- Savez-vous ce qu'un champ de bataille peut-être ?

- non, mais tu dors dans ce fauteuil chaque nuit, tu me suis comme mon ombre alors que je peux mourir à chaque instant donc toi aussi. C'est pour ça que j'ai fait partir Mélissandre !

- C'est vrai, je veux vivre pourtant, mais je ne veux rien regretter également.

Aurora se retira du fauteuil doucement, faisant courir ses mains le long de ses cuisses avant d'attraper sa chambre de nuit.

- Donc c'est pour ça ?

- Quoi donc ?

- Que tu m'as dit que tu ne tuerais personne.

- En quelque sorte.

- Tu sais... Quand nous sommes seuls, tu peux me parler comme tu le souhaite, comme au bal auquel tu m'as aidé.

- Ce n'est pas comme ça qu'on parle à une reine.

- Pourtant tu as l'air de bien t'entendre avec mon père.

- Votre père est celui qui m'a sauvé du cercle vicieux du héros.

- Le cercle vicieux du héros ?

- Un héros est une réponse à tout, un parfait petit objet à utilisation politique. Si je meurs, c'est que je n'aurais été assez héroïque, si je survis alors je serais utilisable à nouveau pour sauver une situation.

- Dans ce cas, que dois-je faire pour qu'on s'entende bien ?

- Restez-vous même, simplement.

- Mais je suis toujours moi-même.

- Dans ce cas, pourquoi vous vous souciez de moi la nuit alors que la journée vous traitez les autres comme des outils sans sentiments ?

La princesse baissa la tête honteusement, elle savait pertinemment qu'elle avait tort d'être comme cela, mais elle n'en avait pas le choix non plus.

-Mais je n'ai pas le choix, Abraham. Il faut qu’ils m’obéissent, sinon ce sera la fin du royaume, de ma famille.

- Mais pourquoi vous devez vous soucier du royaume ? Souvenez-vous du bal, ils vous détestent tous, ils vous veulent tous morte alors pourquoi la fin d'un royaume ennemi devrez-vous inquiéter ?

- C'est justement parce qu'ils me veulent morte que je ne peux pas m'abaisser. Je vais être reine, ils me doivent le respect.

À sa grande surprise, Abraham se leva de son siège et commença une lente marche autour d'elle. Lentement mais sûrement ses mots s'infiltrèrent dans sa tête, comme une pensée familièrement étrangère.

- Mais personne n'a jamais respecté quelqu'un à cause de son rôle, c'est la personne qui impose le respect.

- Pourtant cela ne les a pas empêchés de me haïr.

- C'est comme ça, vous ne pourrez pas changer ceci.

Aurora se mordit la lèvre et s'assit à sur le fauteuil bien chaud. Elle savait déjà tout cela après tout ce temps consacré à la réflexion.

- Je vais devoir leur faire peur, Abraham. Suffisamment peur pour qu'ils n'osent pas me contredire et seulement après je gagnerais ce respect.

- Mais vous vous coupez également des conseils possibles.

- Je n'ai besoin que des trois ducs, les autres ne sont pas plus importants que cela.

- C'est pour ça que j'ai dit que je ne tuerais personne, vous n'aurez jamais raison et je ne veux pas mourir par votre faute ni ôter la vie.

- Dans ce cas part ! Tu n'as plus à être mon garde du corps, je me débrouillerais !

- Votre Altesse, je tiens à ce que vous viviez.

Frustrée, Aurora enfonça ses ongles dans l'accoudoir, retenant avec difficulté la rage de déborder de son cœur.

- Je ne te comprend pas ! Pourquoi tu veux que je vive si tu n'es pas prêt à tuer qui que ce soit ?! S'il y a un assassin qui rentre tu seras forcément obligé de le tuer !

- Non, je peux simplement l’assommer.

- Soit réaliste !

- Je le suis.

Soudaine prise par la colère, Aurora se leva et poussa son garde loin d'elle, mais au moment où sa main entra en contact avec son torse, une main agrippa son coude lui faisant perdre toute sa force.

- Aurora, réfléchissez à ce que vous êtes en train de devenir.

- Lâche-moi !

Elle se dégagea avec violence et recula sans chercher à savoir où elle allait. Son dos finit par entrer durement en contact avec un meuble, cassant un vase et faisant grogner de douleur la princesse.

- Tu ne peux pas me comprendre ! Tu as des yeux toi ! Tu es comme les autres, un enfoiré qui pense tout savoir mais qui faite ne sait rien à rien.

Dans sa rage, elle s'attendait néanmoins à une réponse, mais Abraham ne pipa mot et tourna les talons. Le bruit singulier de la porte claquant la fit tressaillir avant qu'un silence solitaire s'installe. Aurora resta un moment sur place, ses émotions commençaient à se ranger lentement, mais trop lentement. 

- Mél, je regrette tellement. 

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Martel Chaffers ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0