Arc II, Chapitre 18 : Orphelins
Au milieu de la foule, le petit garçon courrait le plus vite possible en esquivant les passants avec des pas chassés ou en les bousculant. Quelques cris d'énervements à son encontre s'élevèrent mais il les ignora en s'engouffrant dans une petite ruelle perpendiculaire à la rue marchande. Dans cette même ruelle, une adolescente aux cheveux bruns sales et au corps massif l'attendait avec impatience. Derrière elle, il y avait quelques garçons du même âge qui compensaient leur maigreur par leur nombre.
- Enfin arrivé, cracha-t-elle avec une colère perceptible dans ses yeux marrons. Ça fait un moment que je t'attends.
Le garçon s'approcha encore, tentant en vain de supprimer l'inquiétude qui le rongeait. Un regard derrière elle ne l'aida pas à se calmer car il croisa celui d'un des garçons semblable à un loup dégustant des yeux un lapin.
La fille comprit la situation en voyant le visage pâle du garçon, mais elle ignora sa détresse et coupa net la distance les séparant et d'une main de fer attrapa ses cheveux pour forcer leurs regards à se croiser.
- C'est moi que tu devrais regarder, pas eux. Maintenant, dis-moi où en es-tu avec la mission que l'on t'a confié ?
Le garçon bredouilla quelques paroles incompréhensibles avant de baisser honteusement ses yeux. Il n'en fallut pas plus pour énerver l'adolescente qui le libéra de sa main droite pour le gifler avec violence de la gauche. Le cri du garçon alerta certains passants non loin qui baissèrent les yeux en accélérant le pas.
Le garçon s'accroupit, protégeant son corps frêle d'un bras et tenant sa joue de sa main libre. Cependant, elle n'en avait pas finit et le souleva du sol par son vêtement en collant quasiment son visage au sien.
- Tu m'avais dis que tu pouvais le faire, regarde les vêtements que je t'ais acheté. C'est comme ça que tu me remercies ?
- Je... Je suis désolé, j'ai fais de mon mieux mais il m'a vu et m'a attrapé !
- Il t'as attrapé ? Comment ?!
- Je ne sais pas, je te le jure Béa !
- Tu as dû mal géré la situation, c'est certainement de ta faute.
- Mais--
- File et rentre chez Aren avant que je m'énerve plus : tu peux oublier ton paiement.
Les yeux du garçon s'ouvrirent sous le choc avant de pleurnicher, la suppliant de lui donner de l'argent, mais elle resta ferme et le chassa d'un coup de pied.
- Bordel, je vais vraiment devoir le faire moi-même, maugréa-t-elle en tournant sa colère vers les garçons.
- On peut le faire à ta place si tu veux, proposa Broder en observant le garçon partir avec un regard complètement différent du prédateur qu'il était quelques instant plutôt .
- Non, si quelqu'un se fait encore attraper ça pourrait mal tourner.
Broder se tût, acceptant sans broncher ce que disait leur chef. Les autres se grattèrent la tête, embarrassés et inquiets à l'idée de la laisser faire le travail seule.
- Mais bon, de toute façon il va falloir que je me change, soupira Béatrice en regardant ses loques. Rentrons chez Aren.
Sans attendre plus longtemps elle commença à marcher et les autres lui emboîtèrent le pas presque immédiatement. Sur leur chemin la plupart des adultes les fuyaient du regard, ne cherchant pas à attirer l'attention de cette bande, mais certains les défiaient du regard comme s'ils regardaient une bande de chiens galeux.
- Regarde-moi ça, ricana un homme saoul en les regardant passer. Et dire que leur chef est une femme, regarde-moi cette horreur, c'est sûr qu'ils la suivent pour éviter qu'elle hante leurs cauchemars !
Son rire s'étrangla lorsque son regard croisa les yeux des garçons qui la suivait, pendant un instant ils étaient devenus des loups enragés, mais malgré tout aucun d'entre eux ne dévia sa trajectoire, continuant sans hésitation à suivre Béatrice à travers le dédale des bas-fonds.
Même pas une dizaine minute plus tard ils atteignirent une immense bâtisse singulière entourée d'un jardin magnifique. C'était un vieux manoir abîmé par le temps et les termites qui rongeaient lentement son bois. Certaines fenêtres étaient brisées et le balcon au-dessus de la porte d'entrée menaçait de s'écrouler à tout moment sur les habitants du lieu, pourtant ce lieu restait une maison immense pour tous les enfants comme eux.
Béatrice entra sans hésiter dans le jardin, seule fierté d'Aren qui en prenait soin tous les jours après ses corvées avec les enfants. Ce jardin était comme sortit d'un autre monde, tellement différent des débris servant de maison aux alentours qu'il avait fallut de nombreuses fois repousser les jaloux et voleurs cherchant à vendre tous ce qui leur tombe sous la main.
- Béa ! L'interpella une voix plutôt énervée.
Sans même avoir à localiser la provenance de la voix, un adulte sortit de la maison en catastrophe et manqua de tomber dans sa précipitation.
En un instant, Aren fut tout proche de Béatrice, la dominant d'une bonne tête au passage bien que son corps soit encore moins étoffé que cette dernière.
- C'est toi qui a giflée Thorin, tu sais qu'il est rentré en pleurant ?!
L'adolescente soutint son regard sans broncher et passa ses bras dans son dos, exposant au passage sa joue.
- Non ! Je veux que tu ailles t'excuser au près de lui, cria-t-il avant de grincer des dents.
- Je ne peux pas, répondit-elle simplement. Gifle-moi maintenant s'il te plait, j'ai quelque chose à faire.
- Encore à traîner avec les Rats ?! Tu sais pourtant bien que tu ne peux que mal finir avec eux !
- Je sais.
Il savait que si elle faisait tout cela, c'était pour les autres enfants et il ne pouvait ni l'en blâmer, ni l'en empêcher car elle ne souhaitait que le bonheur de tous. La frustration et la colère le rongeaient à chaque fois qu'il la voyait revenir avec des nouvelles cicatrices, presque autant que le dégoût envers lui-même ; ce dernier né de son incapacité à tout faire soit-même.
- Bordel, je t'ai déjà trouvé des travaux sur les quais à faire, acceptes-les ! S'énerva-t-il, cachant sa frustration en criant toujours plus fort.
- Je ne peux pas car ils payent moins que les Rats, Expliqua-t-elle avec la joue toujours tendue.
Soudain, il se colla à elle et la prit dans ses bras encore tremblants. Elle ne fut pas surprise ni elle tenta de se dégager, laissant son père adoptif la serrer contre elle. Béatrice l'enlaça à son tour et posa son oreille contre sa poitrine, entendant sa rage taper à l'intérieur.
Après quelques secondes d'étreinte, il recula et se poussa du chemin pour la laisser passer avec résignation, regardant avec sa tendresse attristée habituelle.
- Tu lui expliqueras quand même pourquoi tu l'as giflé, finit-il par dire avec une voix un peu plus fatiguée qu'auparavant.
Béatrice acquiesça et entra dans le manoir sans attendre plus longtemps, voulant passer à sa tâche le plus vite possible. Le bâtiment était trop grand pour être habité par une petite famille mais étant donné qu'il était devenu un orphelinat les espaces vides commençaient même à manquer.
- Tu es sûre de vouloir y aller seule ? Demanda Broder en salua d'autres jeunes adolescents dans les couloirs. Tu l'as dis toi-même que c'est dangereux.
- Si vous venez, vous me gênerez, expliqua-t-elle en marchant toujours aussi vite. Et puis si je me fais attraper je pourrais toujours m'en sortir tu sais bien.
- Au moins laisse Orn et Olson venir avec toi, ils sont---.
- Non et arrête de me le demander.
- Soit, dans ce cas je vais expliquer à Thorin le pourquoi du comment.
- Et fais bien attention qu'il se bouge les fesses après s'il ne veut pas finir comme les autres déchets.
- Je gère, ne t'inquiète pas.
Béatrice acquiesça avant d'entrer dans sa chambre qu'elle partager avec ses trois sœurs, pas biologiques évidemment. Rapidement, elle trouva sa commode et l'ouvrit pour y récupérer des vêtements plus convenables : un simple pantalon avec une chemise parfaitement normaux mais pour elle extraordinaires. Ils ont été les premiers vêtements qu'elle s'était achetée avec son propre argent et depuis elle les gardaient précieusement dans sa commode.
Elle était arrivée chez Aren à ses sept ans, l'une des premières à habiter avec lui dans cet orphelinat. Au début elle avait eu peur d'Aren, après tout c'était trop étrange qu'un homme offre gratuitement un toit à des enfants des rues, mais il était différent de tous ceux qu'elle avait rencontrée jusqu'à présent, différent ses propres parents. Il avait beau vouloir s'occuper d'eux, tout échoua trop rapidement au goût de Béatrice à cause des habitants des bas quartiers. Le potager du manoir qu'Aren avait construit avait été dévalisé dès les premières nuits et Aren s'était déjà fait agressé pour la nourriture qu'il possédait, laissant ainsi les enfants sans nourriture. À ce moment là, Aren a travaillé dur, cherchant partout de l'argent pour nourrir tous les enfants dont il était maintenant le seul pilier.
Il tint bon quelques années, suffisamment pour que Béatrice comprenne qu'elle pouvait l'aider à gagner de l'argent. Elle se tourna donc vers les Rats qui lui confièrent des missions, souvent d'espionnage en échange de quelques pièces dont elle donnait presque la totalité à Aren pour pouvoir nourrir tous les enfants. Mais selon elle, leur donner de la nourriture uniquement servait à rien et il fallait absolument leur apprendre à vivre par eux-même, donc ils ont mit la main à la pâte et gagnés des sous à leurs tours en travaillant. Sur la trentaine d'orphelins présent, une vingtaine l'aidait quand elle en avait besoin ou travailler de leur côté, le reste était trop peu âgé et donc restait à la maison avec Aren. Il existait quelques exceptions pour ceux qui étaient chargés de protéger le manoir des mauvaises personnes.
Pourtant, plus elle sentait le temps passer à faire des sales métiers et moins elle sentait prête à faire autre chose dans sa vie et son corps en était bien la preuve. Elle était affreuse pour les personnes, trop masculine et maintenant un peu trop musclée : des petits yeux avec un grand nez pointu et une forme de visage bien trop carrée pour être attirante.
Soudain la porte grinça et une adolescente entra dans la chambre, passant à côté de Béatrice qui était toujours en train de se changer.
- Que fais-tu ? L'interpella-t-elle en regardant le corps à peine vêtu de sa sœur. Tu fais quelque chose d'important après ?
- R-rien, bredouilla Béatrice avant de cacher son corps couvert de cicatrice avec honte. Qu'est-ce que tu fais là, Axil ?
- J'ai besoin d'une raison pour être dans ma chambre maintenant ? Demanda-t-elle avec un sourire en coin.
- Je dois partir travailler maintenant.
- Je peux venir t'aider, si tu veux.
- Certainement pas, tu ne sais pas te battre de toute façon.
- Mais je peux t'aider d'une manière ou d'une autre.
- Tu fais déjà toutes les corvées avec Aren, c'est suffisant.
Axil bouda un peu, montrant dans son regard un peu de déception infantile, Mais ainsi était les choses et pour Béatrice, jamais elle n'accepterait qu'Axil fasse des missions comme les siennes, elles étaient bien trop dangereuses pour elle. Axil était arrivée un an auparavant, fille abandonnée d'une famille de marchands ruinés comme il y en a toujours, en tant normal Béatrice l'aurait fait travailler durement pour gagner sa croûte et sa avait été son idée de base. Cependant Axil était une très belle femme et des pervers ne tardèrent pas à lui faire des demandes obscènes contre de l'argent, c'était à ce moment là que Béatrice s'était durement interposée et avait sûrement sauvée la vie de sa sœur. Depuis, la cheffe avait trop peur pour elle et l'interdisait de sortir du manoir ou de s'écarter du jardin où il y avait des garçons de sa bande à proximité. En même temps, avec ses yeux bleus et ses cheveux blonds paille elle était vraiment magnifique et s'était vraiment une chance pour elle qu'Aren la récupère avant d'autres. Son corps maigre et ses mains blanches épargnées par les callosités ou les traces de travail n'étaient en aucun cas faites pour travailler à la dure comme ils le faisaient tous, et quelque part elle refusait elle-même de lui permettre de s'abîmer là où elle n'avait pas eu le choix.
Pourtant, au fil des mois Axil avait montrée sa volonté de travailler aussi en dehors du manoir, chose toujours refusée par la cheffe naturellement.
- Béa ! L'interpella Broder de l'extérieur de la pièce, plus insistant que d'habitude.
- J'ouvre, déclara Axil en ouvrant la porte rapidement.
- Béa, des gars encapuchonnés sont en train de discuter avec Aren dans le salon, viens voir !
Piquée sur le vif, Béatrice fonça sous son lit où elle y récupéra une masse en bois qu'elle emporta avec elle avant de foncer vers les escaliers.
Elle courut à travers les couloirs jusqu'à atteindre le salon dont les portes étaient fermées, laissant devant des orphelins inquiets, mais Béatrice étant elle-même, elle ne perdit pas un instant et ouvrit les portes, l'arme à la main.
Dans le salon, il y avait quatre hommes : Aren et trois autres dont un qui avait retiré sa cape. Sous le vêtement, un homme dans sa quarantaine doté d'une pilosité taillée minutieusement ainsi qu'un ventre bien rond. Les deux autres étaient installés comme des gardes, de chaque côté du gros.
À son entrée dans le pièce, les deux hommes encapuchonnés dégainèrent leurs armes et n'hésitèrent pas à foncer sur elle sous les regards surpris d'Aren et l'autre.
- Arrêtez ! S'écria Aren alors que les gardes étaient sur le point de planter de leurs épées l'orpheline. C'est une enfant, elle ne fera aucun mal.
Béatrice s'apprêtait à leurs rétorqués qu'ils avaient intérêts à avoir peur mais un regard lourd d'Aren l'en dissuada.
- Range ton arme, demanda aimablement le gros avec un sourire. J'imagine que c'est donc de toi dont j'ai entendu parler.
- Vous êtes qui ? Cracha Béatrice en jetant son arme sur le sol face aux deux gardes.
- Je m'appelle Caëlan, je suis le bourgmestre.
- Le bourgmestre ne viendrait jamais dans un endroit comme celui-ci !
- Je suis venus pour toi, tu es bien connue en ville tu sais.
Béatrice observa longtemps Caëlan, l'invitant par son silence à continuer.
- Donc tu vois, j'ai entendus parler de toi par des sources te qualifiant avec tes... ta bande de chiens féroces. Et j'avoue ne pas être déçu.
- Tu veux quoi ?
- Je veux te proposer un travail, honnête bien sûr.
Béatrice retint un rire cynique avant de se rendre compte qu'il avait l'air de dire la vérité, parce qu'il avait peur. Le bourgmestre face à elle n'était pas dans son élément, entouré de dangers potentiels et loin du palais royal qui surplombait la ville du haut d'une falaise.
- Quel genre de travail ?
- Gardes.
- Gardes ?!
- Enfin gardes du corps pour être précis mais cela ne dépendra que de vous.
- Comment ça ?! Vous voulez que je sois une garde du corps ? De qui ?
- Je ne peux pas vous le dire, mais n'ayez crainte, vous serez logés et nourris tout en gagnant un salaire plus que convenable.
- De combien parle-t-on ?
- neuf sirènes d'argent par semaine.
Un murmure choqué s'éleva du groupe d'enfant derrière elle alors que sa mâchoire manquait de se décrocher sous le choc, le salaire qu'elle gagnait en travaillant pour les Rats était à peine de cinq sirènes de bronze, soit dix-huit fois moins que celui-ci !
- C'est trop louche votre histoire, enragea-t-elle en étant certaine de se faire berner. Qui nous proposait un salaire aussi élevé ?! Vous êtes forcément en train de mentir !
- Mais non, c'est tota---
- Tais-toi ! Tu ne m'auras pas !
- Dans ce cas j'irais seule, s'éleva une voix en provenance de la porte grande ouverte.
- Axil ?! Retourne d'où tu vi--
- Je dois aider aussi ! Monseigneur Caëlan, je veux travailler pour vous.
Caëlan dévisagea la nouvelle venue durement avant de tourner son regard sur Béatrice qui semblait complètement dépassée par la situation.
- Je pense que pour vous le métier de garde du corps ne soit pas réellement approprié.
- Non ! je pe--
- Cependant je pense qu'accepter votre demande ne serait pas une mauvaise idée, mais pas en tant que garde du corps.
Le visage d'Axil s'illumina alors que celui de Béatrice s'assombrissait.
- Elle va nulle part sans moi, grogna Béatrice en se plaçant entre eux. Je n'ai pas confiance en toi.
Le sourire jusque-là crispé de Caëlan devint sincère alors que qu'une partie de son être était immensément soulagé. Jamais il avait eu à faire ça et s'était sûrement l'une de ses pires expériences de sa vie. Maintenant qu'ils leurs restaient trois semaine avant le couronnement, son rendez-vous avec la reine avait été plus que mouvementé et stressant pour lui.
Elle lui avait fait une seule demande : lui trouver des gardes du corps loyaux inconditionnellement dans le peuple. Au départ il avait crût à une mauvaise blague car les gardes ne manquaient pas à l'île de la Lance, mais cette dernière était en fait un ordre royal à son grand désespoir.
- Bien, dans ce cas je vous propose de faire vos affaires et de me rejoindre demain matin sur les quais.
- Je ne peux pas forcer les autres à venir, maugréa Béatrice en se tournant vers les orphelins.
- Mais nous venons de toute façons, sourit Broder amicalement. On ne peut pas te laisser gagner l'argent seule.
- Mais il en faudra pour veiller sur la maison, rétorqua-t-elle en cherchant un quelconque soutient du côté
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