Arc II, Chapitre 19 : Un instructeur.
Au petit matin, tous attendaient patiemment sur le port. Leur peur en poche et les regards qui vadrouillaient, ils ne se sentaient pas à leur place. Les travailleurs passaient près d'eux, les regardant avec mépris et méfiance. En même temps, lorsque des orphelins sont sur des lieux marchands important, c'est rarement de bonne augure.
Pourtant, Béatrice rendait les regards avec force et colère. Elle ne voulait pas être ici, mais par la faute d'Axil la voilà présente avec une dizaine de ses garçons.
- Je suis désolée, tenta Axil un peu timide. Mais je suis sûre que tout se passera bien.
Béatrice la foudroya du regard et l'adolescente se tût, visiblement embêtée de l'avoir énervée. Mais ce n'était pas la colère qui dominait Béatrice, c’était une anxiété terrible qui la rongeait. Qu'allait-il leur arriver ? Comment assurer la survie du groupe ? Trop de questions pour un être humain comme elle.
Elle était jeune et pourtant ses responsabilités étaient celles d'une adulte, voire d'une reine. Néanmoins si elle pouvait attraper le roi ou son héritière pour lui parler de tous les problèmes qu'elle rencontrait, elle le ferait avec un plaisir immense, bien que quelques claques risqueraient de se perdre en chemin.
Prise d'une soudaine migraine, Béatrice soupira amèrement avant de s'asseoir sur une caisse à proximité.
- Eh la moche, l'interpella un marin. Dégage de cette caisse !
- Viens m'en dégager si t'en as les couilles, rétorqua-t-elle en faisant un clin d'oeil à Broder qui jouait tranquillement avec un bout de bois.
Bien sûr le clin d'oeil n'échappa au matelot qui se sentit en danger. Après quelques insultes échangées, il partit furieusement chercher les gardes bien qu'elle s'en fichait royalement. Quelques minutes après des gardes arrivèrent avec le matelot, des rivières de menaces et d'insultes s'écoulèrent de toutes ces bouches médisantes. Les choses commencèrent à sentir le roussit alors que les épées étaient sur le point d'être dégainées, un nouveau groupe arriva.
Des beaux soldats avec des capes, des boucliers gravés et des armures en cuir magnifiques. À leurs arrivées, les gardes de ville se crispèrent et se mirent en rang, une soudaine sueur coulant sur leurs fronts. Béatrice avait quant à elle reconnue sans soucis le gros bonhomme derrière le groupe et grimaça. Non seulement il était un vrai petit noble mais en plus ses vêtements de riches faisaient ressortir son ventre de façons démesurée.
Béatrice n'aimait pas du tout la situation, d'autant plus que Caëlan arborait un sourire narquois devant sa mine déconfite.
- Messieurs, Dit Caëlan avec son petit sourire. Je vous demande pardon pour l'inconvénient, ces jeunes gens ont été appelés sur le port par moi-même.
- Je me suis fait menacer, s'indigna le marin en pointant du doigt Béatrice. Cette fillette m'a dit que si je continuais à m'approcher elle me briserait les os !
L'intéressée siffla en fronçant les sourcils. Ce petit marin osait mentir en plus ! S'il n'y avait pas eu tous ces gardes présents, elle l'aurait frappé pour lui apprendre à ne pas mentir. Elle aurait bien notifié le gros tas de l'injustice, mais elle n'avait pas envie de lui parler non plus.
- Je suis certain qu'elle n'aurait rien fait de toute façons, répondit amicalement le bourgmestre. Vous savez, les chiens aboient mais ne mordent pas souvent.
Le marin ouvrit la bouche pour protester mais l'homme s'était déjà tourné vers Béatrice, l'invitant à le rejoindre. Cette dernière cracha avec mépris avant d'obéir et le rejoindre, accompagnée de ses compagnons.
- Combien êtes-vous ? Demanda Caëlan en essayant lui-même de compter avec ses yeux.
- quatorze, maugréa Béatrice.
Le gros se gratta un peu le menton d'un air pensif alors que le marin commençait à s'énerver.
- Ce sera suffisant j'imagine, hésita-t-il un instant avec de soupirer. Bon suivez-moi, on a du chemin à faire.
- Putain de noble, aboya le marin, rouge de colère. Toujours à ignorer le peuple pour se concentrer sur son propre intérêt !
Sans attendre l'accord de Caëlan un garde du corps s'approcha du marin et le frappa dans la mâchoire. Bien que surprise par la soudaine violence de l'homme en armure, Béatrice se sentit bien satisfaite quelque part. D'un mouvement de main Caëlan fit signe d'ignorer l'homme gémissant de douleur et de le suivre. Malgré les regards lourds de reproche des autres citoyens ayant assistés à la scène, le noble traça son chemin dans la foule tranquillement.
Le groupe quitta donc le lieu et avança sur les docks. Béatrice n'avait pas envie de parler, elle suivit donc docilement la tête de file en l'observant plus en détail.
De tous les hommes qu'elle avait rencontrés dans sa vie, il devait bien être le moins masculin de tous. Son visage rond et ses cheveux blonds bouclés lui donnaient une allure jouet fabriqué avec humour. Pas le moindre muscle, ni poil au menton. S'il n'était pas un noble, personne n'aura voulu de lui dans un quelconque domaine. Et pourtant il était là en tant que bourgmestre d'Oslaw.
- Pourquoi tu as laissé faire ton gars ? Finit par demander Broder, trop curieux pour se taire.
Béatrice le foudroya du regard mais le garçon évita soigneusement de le croiser, faisant comme s'il n'était rien.
- Il m'a insulté, répondit tranquillement Caëlan.
- Mais y'a pas eu d'avertissement, ni d'explication du contexte, continua Broder, insatisfait par sa réponse.
Caëlan soupira et s'arrêta sur un dock plus éloigné de ceux des marchands.
- Montez sur le bateau, ordonna-t-il en désignant du double menton un navire de plusieurs dizaines de mètre de longueur. Et pour finir, je n'ai aucune raison de perdre mon temps avec lui. Je suis très très occupé et même si je l'expliquais, ils trouveraient un moyen de se plaindre.
- Si vous êtes si occupés de ça pourquoi venir nous chercher vous-même ? Rétorqua moqueusement Béatrice sans cacher son sourire mesquin.
- Tu comprendras pourquoi d'ici quelques semaines.
Béatrice s'apprêtait à s'énerver, mais une main lui attrapa doucement le bras. Axil lui faisait comprendre qu'il ne valait mieux ne pas tergiverser plus et obéir. L'adolescente cracha avec mépris aux pieds du noble avant de se rendre au bateau.
- Combien de semaines, Monsieur Caëlan ? Demanda Axil en traînant du pied.
- Axil ! Rugit Béatrice en lui faisant signe de venir.
- Deux, répondit Caëlan en se dirigeant à son tour vers le navire.
Axil acquiesça et rattrapa Béatrice rapidement, plongée dans de nouvelles réflexions.
Ils embarquèrent rapidement et le bateau quitta la baie tout aussi vite. Pour la plupart des orphelins, c'était la première fois qu'ils montaient sur un navire et une curiosité s'installa rapidement. Certains s'éclipsèrent discrètement quand Béatrice ne regaridait pas pour visiter les cales ou le poste de navigation. Quelques altercations entre l'équipage et les adolescents eurent lieu mais rien de grave.
- Béa, l'interpella Axil en s'approchant d'elle. C'est ta première fois sur un bateau, non ?
La cheffe du groupe acquiesça, son regard toujours plongé dans la mer. L'adolescente qui était en colère il y a peu était maintenant comme en transe. Bercée par les vagues s'écrasant contre la coque, elle humait une chanson qu'Aren leur avait toujours chanté. Au loin, Broder cria haut et fort qu'ils allaient tous devenir riche, sous le regard amusé d'Axil, mais Béatrice fronça des sourcils avec une certaine appréhension visible.
- Je suis sûre qu'il n'y a pas de quoi s’inquiéter, Tenta la blonde en lui caressant du bout des doigts son épaule.
Béatrice apprécia silencieusement la caresse avant de répondre, d'un ton plus doux qu'ordinaire :
- Il nous déteste, je le vois. Comment je peux être en confiance dans ce cas-là ?
- C'est justement parce qu'il nous déteste que nous sommes en sécurité !
Béatrice gloussa un peu, regardant le gros monsieur à la barre qui semblait crier sur quelques orphelins.
- Quelle genre de logique tu as ?
- De son plein gré, jamais il ne serait venu nous chercher. Souviens-toi de sa tête quand il était dans le salon avec Aren.
- ce n'est pas pour autant qu'il ne cherche pas à nous tuer.
La caresse d'Axil se transforma en tape agacée sur son épaule, Béatrice répondit avec un œil mauvais mais l'écoute quand même.
- Mais non ! S'il le fait, c'est qu'on le force.
- Mais bien sûr, qui lui ordonnerait de venir chercher des orphelins pour les emmener ailleurs ?
- Je ne sais pas encore, mais je suis sûre qu'on le saura rapidement.
Béatrice renâcla avant de s'éloigner d'Axil en secouant de la tête.
Même si elle ne disait rien, il était facile de deviner ce qu'elle pensait. Axil eut un peu honte sur le moment, mais elle se ressaisit rapidement. De toute façon, si elle s'assurait que tous se passe bien alors ils seraient riches.
Le voyage passa rapidement, un peu trop même au goût des orphelins qui aimaient vraiment le voyage en bateau. Mais l'île à laquelle ils arrivèrent les obnubila comme une créature incroyable.
Un immense rocher au milieu de l'océan, surplombé par une forteresse immense et d'une tour touchant presque les nuages. Seul point d'amarrage, un dock démesurément grand et aligné avec un petit chemin sinuant jusqu'au sommet.
- L'île de la Lance, répondit Caëlan, soupirant aux questions incessantes des jeunes adolescents. C'est ici que vous allez vivre vos prochaines semaines.
Broder fut le premier à descendre, se jetant sur le dock. D'un sourire enthousiaste, il invita les autres orphelins à le rejoindre, ce qu'ils firent avec hésitation. Béatrice fut la dernière à descendre après avoir patiemment attendue que le bourgmestre descende avec Axil.
Ils montèrent tous les escaliers, lentement. Le seul plaisir qu'eut Béatrice lors de l'ascension était celui de voir le gros suer sa masse en trop. L'effort fut terrible, même pour les orphelins, pourtant habitués aux longues marches. Pour atteindre le sommet, ils mirent plusieurs heures, sautant sur les marches comme pour éviter les braises, puis avec lenteur comme dans du sable. Ils ne firent pas de pause, malgré Caëlan qui semblait être sur le point de s'évanouir à chaque instant.
Au sommet, une immense porte ouverte les attendait. Gardée par des hommes en cuir épais et sombre. À l'intérieur de la forteresse, Caëlan les fit attendre au milieu de la cour pendant qu'il allait chercher le commandant. Mais les jeunes ne l'entendaient plus, regardant les yeux écarquillés le Fort Lance.
Une cour immense entourait le pic qui était en fait l'intérieur un bâtiment. Plusieurs tours délimitaient les portions de rempart entourant cet espace. Les remparts étaient très petits, à peine cinq mètres, mais vu la hauteur à laquelle ils étaient personne ne voudrait les prendre. Au sommet des tours, guère plus hautes que le rempart, des armes de sièges étaient installées. Mais l'élément le plus incroyable était le reste des parois de la montagne qui enveloppait la base de la tour. Des gravures, petites comme grandes, travaillées ou non, représentant des mythes ou les rois passés. Toutes étaient différentes et unique, ce mélange donnant une sculpture magnifique qui semblait régner sur l'île.
Les minutes défilèrent sans que les jeunes adolescents ne bronchent, laissant les soldats du fort leur passer à côtés, parfois même alors qu'ils les regardaient de travers. Ce fut Caëlan qui les sorti de leurs torpeur, accompagné d'un géant torse nu et balafré de partout.
Malgré le froid cinglant inné aux îles, l'homme ne broncha pas et observa minutieusement le groupe. Il était l'homme le plus grand que Béatrice ait vue de sa vie, à côté Caëlan semblait être un nain. Ses cheveux noirs étaient coupés court, comme sa barbe, sûrement pour ne pas être dérangé avec. Ses muscles luisants à cause de la sueur indiquaient qu'il avait été interrompu lors d'un entrainement. Partout sur son corps, des balafres énormes faisaient frissonner quant à leur provenance. Une particulièrement lui barrait le côté du visage, allant de sa canine gauche à sa tempe.
- Ce sont les jeunes que j'aimerais te confier, Rikkes, présenta Caëlan en montrant le groupe d'un mouvement de main. La cheffe du groupe est Béatrice.
Il pointa du doigt Béatrice qui ne put s'empêcher de bomber le torse. Mais Rikkes retint un ricanement en voyant le groupe avant de remarquer Axil dans le groupe et de siffler.
- Eh ben, en voilà une beauté, dit-il moqueusement. Tu veux en faire une guerrière, elle aussi ? Ce serait gâcher son joli minois.
- Non, elle restera avec moi, rétorqua Caëlan avec une pointe de dégoût mal dissimulée. Je vais en faire une servante efficace.
- Pardon ?! Rugit Béatrice en s'avançant. Tu me l'avais pas dit !
- Du calme la moche, cracha Rikkes en se plaçant devant elle. T'as pas le droit de le tutoyer, sale clocharde. Si ça ne tenait qu'à moi, t'as petite copine me servirait bien à réchauffer mon lit, tu as de la chance que le bourgmestre soit un homme de parole.
Béatrice vit rouge et sauta sur le géant, le frappant au visage de toute sa force. Rikkes fut surprit et il tomba sous les coups de l'orpheline qui se redressa rapidement. Alors que son regard plein de colère se tournait vers Caëlan, un violent coup de pied l'envoya valser sur plusieurs mètres.
Alors qu'elle cherchait à reprendre sa respiration, elle put voir Rikkes se relever avec un sourire béant. Cependant, elle n'était pas seule et Broder réagit en premier en attrapant le bras du géant. La suite fut confuse, les orphelins se jetèrent contre le géant alors que les soldats intervenaient. En quelques minutes, les adolescents étaient maîtrisés et Broder était au sol, se tenant son nez pissant le sang. Un soldat attrapa Béatrice et l'emmena avec difficulté vers Rikkes qui attendait patiemment, assit par terre.
- Moi qui pensait que j'allais juste devoir éduquer quelques brebis de merde, grimaça Rikkes en essuyant le sang qui coulait de ses lèvres. Je me n’attendais pas à ce que tu me ramène des chiens enragés, Caëlan.
- Je voulais que Rockart en fasse des vrais gardes du corps, soupira Caëlan en aidant Broder à arrêter son saignement. Mais je vais les confier à toi, je te payerais grassement.
Rikkes s'approcha de Béatrice qui ne manqua pas cette opportunité pour lui cracher au visage.
- En temps normal je t'aurais fait tuer pour ça, grogna-t-il en essuyant sa joue. Mais tu vas me rapporter gros.
- Je m'en contrefous, Rétorqua-t-elle en assassinant du regard Caëlan. Axil ne quittera pas le groupe.
-Axil ? Ah, la beauté. Elle fera un excellent objet de décoration.
Béatrice donna un coup de coude violent au soldat qui la tenait avant de donner un coup de poing à Rikkes, mais cette fois-ci, il était préparé et son bras bloqua le coup sans effort.
- Elle le sera, répondit-il calmement en broyant le poing de l'adolescente, lui arrachant un cri de douleur. Caëlan, tu leur as dit pourquoi ils sont là au moins ?
- Non, avoua le bourgmestre dans un soupir. Je n'ai pas vraiment eu le temps depuis hier.
le géant lâcha le poing de Béatrice avant de se tourner vers Caëlan avec colère.
- Tu m'étonne qu'ils soient en colère, tu les embarque sans rien leur dire !
Caêlan haussa des épaules sans répondre, donnant comme son approbation par son regard appuyé dans celui de Rikkes.
- Bon, fit sèchement le soldat en chopant Béatrice par le visage. Si vous êtes là, c'est pour devenir des gardes du corps. Toi et ta petite troupe avaient deux semaines pour être capable de protéger cette future reine des îles.
Tous les orphelins ouvrirent les yeux alors que leurs luttes se stoppaient soudainement. Ils crûrent pendant un moment que leurs oreilles leurs avaient jouées des mauvais tours, mais les expressions graves des personnes présentes les convainquirent.
- Crois-moi, je déteste cette petite prétentieuse, lui confia tout bas son nouvel instructeur. Mais si ça peut me permettre d'être invité au palais et de lui tordre le cou, alors je te jure que toi et ta bande allez bosser jusqu'au sang.
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Note d'auteur : Désolé pour la petite pause dans les publications, j'en avais besoin. Maintenant je vais poster sans m'arrêter jusqu'à la fin de l'Arc II, merci de toujours lire :)
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