Arc II, chapitre 20 : Femmes

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Ce sont des petites frappes à la porte qui tirèrent Aurora de sa lecture. Un peu surprise de recevoir de la visite à ce moment-là elle invita la personne à rentrer. La princesse n'était pas réellement préparée pour sortir, habillée d'une simple chemise ample et d'un pantalon bouffant. Elle se redressa tout de même de son lit et s'assit sur son bord, toute attentive.

- Coucou ma chérie ! Salua la mère en glissant le pas dans la chambre.

- Que fais-tu ici ? Demanda Aurora, intriguée.

Sans répondre, sa mère se balada dans la chambre, toute joyeuse. Rapidement elle jeta son dévolu sur la commode aux angles arrondis. Les tiroirs s'ouvrirent sur les vêtements de la jeune femme, ceux commandés aux tailleurs il y a peu.

- Pourquoi porter de tels vêtements ? Se désola Chloé en dépliant tous ses vêtements. Ils ne te vont pas du tout.

Sa remarque déplu à Aurora qui s'entreprit de l'ignorer en continuant à glisser son doigt sur le journal de Jobbs. Chloé sembla remarquer son agacement et cela l'amusa un peu, avec un petit rire en coin elle s'approcha de sa fille.

- Ne t'approche pas, ordonna cette dernière froidement. Je suis occupée donc si tu n'as rien à me conter, je t'invite à aller chanter plus loin.

Chloé l'ignora à son tour, sautant sur ses côtés et passant sa main dans les cheveux courts de sa fille. Malgré son comportement enfantin, Aurora ne put s'empêcher les marques de vieillesse dans ses mouvements, dans son toucher. Bien qu'elle était plus jeune que Dag, elle n'en restait pas moins touchée par la vieillesse, d'autant plus que la vie s'usait vite dans les îles.

- Pourquoi tu as fait tout ça ? lui murmura Chloé avec une douceur maternelle.

Aurora ne ressenti rien, ses caresses étaient si vides comparées à celles de Mélissandre, ou peut-être que c'était son sceau le problème. Quoiqu'il en soit la princesse écarta la main de sa mère d'un mouvement sec de poignet.

- Évite ce genre d'attention, dit-elle sèchement. Je suis la future reine.

Chloé retira sa main un peu, mais n'attendit pas longtemps avant de la reposer sur la sienne.

- Viens avec moi, l'invita-t-elle en tirant un peu sa main.

- Où souhaite-tu aller ?

La reine se leva et tenta en vain de tirer la main qu'elle tenait d'une façon à la fois ferme et douce.

- Dans les jardins, je vais recevoir quelques amies qui devraient déjà être arrivées.

- Qui sont tes amies ?

- Je ne sais pas exactement qui viendra, mais je te laisse la surprise.

Aurora hésita un moment en se demandant en quoi cela pourrait l'intéresser, mais plus elle y réfléchissait moins l'idée l'intéressait d'une quelconque manière. Soudain, une idée apparu dans son esprit, charmante.

D'un mouvement elle posa le journal de Jobbs de côté et se leva avant de fausser un sourire amical. Sa mère sembla enchantée par son initiative et l'emmena sans tarder avant que la princesse ne s'arrête près de la sortie.

- Je n'ai pas de chaussures, fit remarquer Aurora en dégageant sa main, plus doucement cette fois.

Sa mère sembla se rendre compte soudainement de l'accoutrement ridicule de sa fille. D'un pas précipité elle ouvrit les tiroirs à la recherche de vêtements corrects. La princesse crût se souvenir que ses paires de chaussures étaient quelque part au pied de son lit, elle s'y dirigea donc lentement, avec toujours l'appréhension qu'il y ait un obstacle sur son passage. Elle se serait bien mise à quatre patte, ce qui serait plus rapide et pratique, mais elle s'était résolue depuis un moment déjà à ne plus jamais se déplacer comme ça.

- Où sont donc tes robes ? Râla sa mère en ouvrant et fermant les tiroirs avec énergie.

- Je crois qu'elles ont été jetées, hésita un instant la princesse en continuant d'avancer. Ou bien elles sont ailleurs.

- Je ne peux pas te faire sortir avec des vêtements pour hommes, je vais les chercher.

- Je ne sors que comme ça, mère.

Aurora s'accroupit après avoir trouvée ses chaussures du pied, tâtant les trois paires pour savoir laquelle prendre. Au final elle choisit des courtes bottines en cuir qui semblaient être les plus confortables. Après s'être posée sur le bord du lit, elle les enfila méticuleusement en ignorant les protestations de sa mère. Finalement sa mère ronchonna un peu avant de prendre le bras de sa fille.

Dans le couloir devant les appartements, l'air frais du matin une odeur de terre humide qui chatouilla gentiment l'odorat de la future reine qui apprécia cet instant.

- Abraham, Interpella la reine en grelottant dans le froid. Vous souhaitez venir aussi ?

L'intéressé semblait être assit dans le couloir discrètement, effaçant sa présence au point qu'Aurora ne savait même pas qu'il était là avant qu'il ne réponde.

- Non.

Aurora oscilla entre demander pourquoi il était là et pourquoi cet endroit en particulier, mais elle se ravisa, satisfaite qu'il n'ait pas abandonné ses responsabilités à cause d'une bête dispute.

- Vous n'allez rien dire ?

Sa question eut raison d'un froncement de sourcil, il voulait provoquer une réaction de sa part.

- Non, rétorqua-t-elle, un peu sèche. Je suis satisfaite que vous n'ayez pas abandonné vos responsabilités.

- Ce ne sont pas mes responsabilités, mais ma promesse.

La princesse répondit d'un haussement d'épaule avant de recommencer à marcher. Dans son dos elle entendit néanmoins Abraham se lever de son fauteuil et leur emboîter le pas.

- Je croyais que vous ne vouliez pas venir, fit Chloé un peu surprise.

- Je dois venir, nuance.

La reine gloussa doucement avant de complimenter un peu son sens du devoir. Ils avancèrent rapidement jusqu'à arriver aux jardins. Ces espaces verts étaient proches du hall principal du palais, anciennement le cœur du château qui servait de salle du trône et des fêtes. Chaque jardin étant placé à un angle différent, celui-ci était le plus grand de tous, côté nord-ouest.

Là-bas plusieurs femmes attendaient, riantes et bruyantes. Au centre des jardins semblaient être installées plusieurs tables mises en cercle avec au centre des confiseries et boissons. Au moment où le pied de la princesse toucha la terre humide, ces bruits s'estompèrent brusquement. L'air se changea en une surprise générale avant qu'une femme parle à vive voix.

- Chloé, s'exclama-t-elle avec une énergie décuplée. Tu aurais dû nous dire qu'il y aurait ta fille !

- Si je l'avais dit ce ne serait plus une surprise, répondit la reine toute contente.

- Et voici même le fameux Abraham ! Approchez donc.

- Non merci, répondit-il avec un sourire clairement forcé.

- Il est là pour ma sécurité, ajouta Aurora platement. Vous pouvez l'ignorer.

Un malaise s'installa brièvement avant que Chloé se remette en mouvement. En saluant les autres femmes présentes et récupéra une chaise où elle y fit asseoir sa fille. Les présentations suivirent rapidement, la femme a la grosse voix était la comtesse Torvanne, l'une des meilleures amies à la reine. Les autres étaient oubliables, des femmes de noble sans importance. Les premières remarques sur la prétendue beauté de la reine ne se firent pas attendre. Étrangement, Aurora n'eut pas le droit de son lot de compliments fades, sûrement était-ce dû à sa tenue très masculine et nonchalante.

Une tasse se posa devant Aurora, dégageant un arôme qu'elle reconnue instantanément. Sans perdre une seconde elle plaqua sa main contre sa bouche et coupa sa respiration pour retenir un haut-le-cœur violent.

- Enlevez-moi ça ! Gronda Aurora en essayant de chasser l'odeur de sa main libre.

Les femmes la regardèrent, choquées par sa soudaine réaction. Pourtant des pas lourds agirent rapidement et retirèrent la tasse, éloignant cette odeur nauséabonde.

- Ma chérie ! S'exclama Chloée. Qu'est-ce qu'il y a ?!

- Pas de thé, répondit sobrement Abraham qui jeta la tasse loin dans les herbes.

Aurora n'ajouta rien, retenant son dégoût inaltérable. Devant la réaction de la princesse, les actions confuses se suivirent, chassant rapidement le thé de la table. Le malaise s'installa à nouveau, mais la princesse était trop occupée à chasser ce goût qui semblait coller au fond de sa gorge.

La conversation recommença mollement, animée par une Chloé embarrassée. La discussion tourna autour du temps, des fleurs du jardin et du froid mordant. Des mondanités indémodables qui étaient toujours aussi vides de sens comme d'émotions. Puis les sujets dérivèrent, les mariages, les nouveautés dans les familles.

- Et donc maintenant elle va être fiancée à un riche marchand, acheva la Comtesse Torvanne en riant. Un bon garçon, je l'ai déjà rencontré.

- Elle l'aime au moins ? Demanda Chloé en regardant tristement son verre d'eau.

- Elle est intelligente, elle sait que son bonheur est à portée de main.

- Et pour Aurora ? Demanda une autre femme. Elle a trouvé un fiancé ? Elle va être reine quand même !

- Nous sommes en train d'y réfléchir, répondit courtoisement Chloé en croquant un petit gâteau.

- Non, Intervient Aurora. Il n'y a pas réfléchir, ce n'est pas une priorité.

- Pourquoi donc ? Il est important d'avoir un héritier pour le trône.

- Pourquoi perdre du temps à avoir un enfant alors que je peux me faire tuer à tout instant ?

Certaines s'agacèrent, d'autres eurent pitié et les dernières firent les choquées. Chloé choisit la pitié et posa sa main sur celle de sa fille, la caressant avec douceur.

- Me marier me mettrais en danger, reprit Aurora en faisant semblant de réfléchir à son discours déjà bien huilé. Les hommes ont tendances à prendre le pouvoir pour eux. Les femmes ne sont que des objets.

- Aurora ! La coupa Chloé en lançant des regards d'excuses à droite et à gauche.

- Mais c'est vrai, continua Aurora en dégageant sa main. Je vais être la reine et pourtant vous me traitez comme une femme banale. Dois-je vous rappeler la différence entre nos positions ? Si j'avais été un homme le choses auraient été largement différentes. Comme je le pensais, avoir une nouvelle tenue n'est pas suffisant, cela choque simplement.

- Mon mari est bien plus capable que moi, ria Torvanne, quelque peu agaçée par la princesse. Il possède tous les titres, tout l'or et le pouvoir. Comment vous feriez pour avoir le pouvoir dans ces conditions ?

- Pourquoi me parler d'hypothèses ? À la fin de la semaine prochaine, je serais la reine. Pour les capacités, ce sont vous-même qui vous retenez au sol. Votre situation ne relève que de votre propre volonté.

L'orage de la colère approcha, causé par les grondements des offensées. Chloé resta bouche bée, regardant sa fille se mettre à dos tous ses invités en une simple discussion. Aurora sembla pourtant satisfaite des réactions et sans attendre elle se leva en tendant le bras sur le côté.

- Votre colère est compréhensible, essayez simplement de chercher pourquoi vous l'êtes. Et informez-en vos maris.

Abraham comprit et récupéra mollement le bras de la princesse, blasé comme jamais il ne l'avait été auparavant. Lentement la princesse se dégagea de la chaise et commença à quitter les jardins.

- Quel en était l'intérêt ? Demanda Abraham. C'est une manie d'attaquer vos interlocuteurs.

- Leurs maris, répondit Aurora, très attentive quant à son environnement. Elles ne sont que des objets idiots se complaisant dans leur prétendue puissance qui ne leur appartiennent même pas. Par contre, elles en parleront à leurs maris et eux se sentiront en danger.

- En danger ?

- Je viens de m'introduire dans leur vie privée, s'ils ne me prenaient pas sérieusement jusque-là, ils vont s'intéresser un peu plus à moi.

Soudainement, des pas de courses s'approchèrent par le dos, beaucoup trop proches. À cause de sa propre voix, la princesse ne les avait pas entendus et n'eut pas le temps de réagir alors que sa chemise fut levée jusqu'à ses épaules. La future reine se dégagea violemment et fit volte-face, ne comprenant pas pourquoi Abraham ne sortait pas son épée.

- Je n'y croyais pas quand Dag me l'a dit, vibra de colère sa mère. Tout ça à cause de ce tatouage, mais ne t'inqui--.

Le souffle de sa voix fut coupé violemment par le revers de la main d'Aurora. Les paroles d'Aurora résonnèrent dans le couloir vide de monde :

- Restez à votre place, mère. Vous n'êtes qu'un objet parmi tant d'autre.

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